Les cas de cyberharcèlement ne manquent pas. Que ce soit en France ou à l'étranger, bon nombre de personnes en ont été victimes, comme Ultia récemment, lors du Z Event et de « l'affaire Inoxtag ». Aujourd'hui, Game and Rules et la rédac' *aAa* en abordent le cadre juridique.


III. Moyens juridiques de lutte contre le cyberharcèlement

Si l’on veut être efficace, lutter contre le cyberharcèlement ne s’improvise pas. La vigilance et le combat s’opèrent dès la première manifestation des faits de cyberviolences.

Il faut être organisé et procéder par étapes. La collecte et la sauvegarde des preuves doivent constituer le premier réflexe car le ou les auteurs du cyberharcèlement pourraient supprimer les traces de leurs propos ou agissements. Il s’agit donc d’un préalable indispensable à toute action juridique que la victime pourrait entreprendre.

A- Collecte et conservation des preuves 

S’agissant de faits de harcèlement numérique, la preuve est libre. Cela signifie qu’elle peut être apportée par tout moyen, sous réserve naturellement qu’elle n’ait pas été falsifiée.

Pour avoir force probante, la preuve doit être authentique et fiable. L’objectif étant d’établir l’existence des propos et agissements concernés mais aussi d’identifier leur auteur, lorsque cela est possible.

Idéalement, la victime se rapprochera d’un Huissier de justice pour faire dresser un procès-verbal de constat. L’Huissier ne pourra procéder qu’à des constatations matérielles, sans pouvoir donner son avis sur les conséquences pouvant en résulter. Ses constatations font foi jusqu’à preuve contraire, sauf en matière pénale où elles ont valeur de simples renseignements25.

A défaut, il conviendra de procéder, par exemple, à des enregistrements vidéo ou sonores, des copies des liens, des captures d’écran horodatées (« screenshot ») de l’ensemble des messages et preuves constitutifs du cyberharcèlement. La victime devra veiller à s’assurer de l’authenticité et de la fiabilité technique des éléments de preuves pour ne pas risquer un rejet par le juge. 

Les preuves rassemblées serviront à justifier notamment de l’identité de l’agresseur, de la date et de la nature de l’infraction, du nombre de messages et des éventuels co-auteurs.  

Par ailleurs, il est conseillé de bloquer immédiatement l’accès à votre ou vos comptes sociaux ou de bannir les personnes indésirables. Il est également important de ne jamais répondre aux cyberharceleurs afin de ne pas alimenter la « shitstorm » et surtout d’éviter que vos réponses ne puissent se retourner contre vous. 

B- Actions juridiques

Une fois les preuves collectées et sauvegardées, la victime pourra mettre en œuvre une action civile et/ou pénale à l’encontre des personnes physiques ou morales responsables directement ou indirectement des faits de cyberharcèlement.

1. Signalement 

Dans un premier temps, il est judicieux de procéder immédiatement à un signalement.

Ce signalement peut s’effectuer auprès de la plateforme en ligne sur laquelle les propos ou agissements dénoncés sont diffusés. Il conviendra de suivre au préalable la procédure propre à la plateforme qui figure généralement dans ses conditions générales d’utilisation (dite « charte d’utilisation »). 

Dès réception de cette notification, la plateforme analysera si les contenus en cause constituent une violation de sa charte d’utilisation et/ou de la loi. Si tel est le cas, elle devra retirer rapidement les contenus illicites ou rendre leur accès impossible, sous peine de voir sa responsabilité potentiellement engagée. Une copie de ce signalement devra être conservée.

Il est également possible de procéder à un signalement auprès de la police et de la gendarmerie notamment via PHAROS (Plateforme d’harmonisation, d’analyse, de recoupement et d’orientation des signalement), portail du Ministère de l’Intérieur26. PHAROS a, avant tout, une mission d’alerte auprès des autorités compétentes. 

Selon l’appréciation et la nature de la gravité des faits, une enquête pourra être ouverte sous l’autorité du procureur de la République. Si le ou les auteurs du cyberharcèlement agissent sous pseudonymat (anonymat), PHAROS aura la capacité de requérir auprès des opérateurs techniques, dont les fournisseurs d’accès, les données (adresses IP, mails, identité…) permettant d’identifier le titulaire de la ligne d’où émane le message ou propos incriminé. 


Le Parquet de Paris et la plateforme PHAROS agissent ensemble sur internet (c) LP/Olivier Boitet 

2. Action civile et/ou pénale

La victime a naturellement toujours la possibilité d’agir devant les autorités judiciaires. Etant précisé que les juridictions françaises sont compétentes pour connaître des atteintes aux droits sur internet dès lors que les contenus litigieux sont accessibles en France.
 
Le cyberharcèlement étant un délit, la victime pourra porter plainte, soit contre personne dénommée, soit contre X si l’auteur est sous pseudonymat. Il faut cependant tenir compte du délai de prescription pour la poursuite pénale des délits, qui est de 6 ans à compter du jour où l’infraction a été commise.

Le dépôt de plainte peut être effectué de plusieurs manières :

  • en ligne sous forme de pré-plainte27
  • par un courrier adressé au Procureur de la République du Tribunal judiciaire compétent
  • ou en se rendant directement dans un commissariat de police ou une gendarmerie

Il faut savoir que les agents de police ou les gendarmes ont l’obligation d’enregistrer la plainte et ce, sans émettre d’observations sur la qualification pénale des faits. La plainte sera alors transmise au Procureur de la République qui appréciera l’opportunité des poursuites et décidera donc seul soit d’y donner suite, soit de classer la plainte sans suite28.

Lorsque la plainte est classée sans suite ou qu’aucune suite n’est concrètement apportée depuis trois mois, la victime du cyberharcèlement a la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile29

Cette plainte, qui doit être déposée devant le juge d’instruction du tribunal compétent, permettra d’ouvrir une information judiciaire, c’est-à-dire une enquête.

Par contre, si l’identité de l’auteur du cyberharcèlement est connue et que la preuve est apportée, la personne cyberharcelée pourra saisir directement le tribunal correctionnel par voie de citation directe. En d’autres termes, l’auteur des faits sera convoqué à une audience judiciaire par un acte d’huissier. Ce sera à la victime de choisir le moyen d’action souhaité, au besoin avec l’aide d’un Avocat.

3. Renforcement des moyens de lutte

Le Pôle national de lutte contre la haine en ligne (dit « parquet numérique »), pôle spécialisé rattaché au parquet de Paris30, a été créé en 2021 en vertu de la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, dite loi Avia. 

Cette juridiction est compétente au niveau national pour l’enquête, la poursuite, l’instruction et le jugement des délits de harcèlement sexuel ou moral aggravé par le caractère discriminatoire, dès lors que les faits sont commis sur internet et que la plainte a été adressée par voie électronique.

Selon une circulaire du 24 novembre 202031, les critères de saisine du parquet de Paris sont :

  • la complexité de la procédure (résultant de la technicité de l'enquête, de vérifications internationales, de la multiplicité d'auteurs notamment lorsqu'ils sont localisés en de multiples points du territoire)
  • le fort trouble à l'ordre public engendré par les faits (notamment en cas de retentissement médiatique important ou de sensibilité particulière de l'affaire)

En revanche, ledit parquet n'a pas vocation à connaître de ces infractions lorsque, bien que publiques et commises par voie numérique, elles interviennent dans un cadre interpersonnel, notamment familial ou professionnel. Il en est de même lorsque ces infractions sont commises par des mineurs.

La circulaire indique également que le parquet de Paris est désormais l'interlocuteur judiciaire exclusif de la plateforme PHAROS pour tous les aspects ayant trait aux signalements reçus sur la haine en ligne. En outre, le parquet numérique collabore avec les représentants des réseaux sociaux, dans l’objectif d’apporter une réponse judiciaire plus efficace.

L’Affaire Mila (jeune fille qui avait reçu des milliers de messages de haine et de menaces après une vidéo polémique sur l'Islam) est le premier dossier à avoir été coordonné par le Pôle national de lutte contre la haine en ligne. 

Par ailleurs, la France est associée à la volonté de l’Europe de « bâtir un monde digital régulé » dans l’objectif de « garantir aux citoyens européens leur sécurité en ligne et les protéger contre tout abus »32. Ainsi, le projet de règlement européen de « Législation sur les services numériques » ou « Digital Services Act » (DSA) publié le 15 décembre 2020 vise à contraindre les plateformes numériques à modérer ou supprimer les contenus illicites qui y sont publiés et à en assumer la responsabilité.

La France devrait mettre ce texte au cœur de ses priorités dans le cadre de la présidence de l’Union européenne qu’elle occupera à partir de janvier 2022.