Les cas de cyberharcèlement ne manquent pas. Que ce soit en France ou à l'étranger, bon nombre de personnes en ont été victimes, comme Ultia récemment, lors du Z Event et de « l'affaire Inoxtag ». Aujourd'hui, Game and Rules et la rédac' *aAa* en abordent le cadre juridique.


Game and Rules est une société d'accompagnement juridique qui s'est spécialisée dans le secteur « Esport et Gaming ». Elle accompagne les acteurs du secteur dans tous leurs besoins juridiques : contrats, créations de structure, entretiens personnalisés, gestion administrative, analyses juridiques de vos projets...
La rédac' *aAa* et Game and Rules collaborent pour vous proposer des articles abordant des sujets juridiques qui touchent de près ou de loin à l'esport.

Cyberharcèlement : fléau 2.0

Le cyberharcèlement, aussi appelé « cyberintimidation », « cyberbullying » ou « cyberstalking », est un véritable fléau 2.0 qui n’épargne pas l’univers du gaming. Il peut toucher tout le monde, y compris les acteurs des jeux vidéo et de l’esport. 

On se rappellera par exemple, du « Gamergate », un mouvement de joueurs de jeux vidéo qui est né en 2014 aux États-Unis après une série de cas de harcèlements sexistes contre des femmes de l’industrie vidéoludique. La développeuse de jeux indépendante, Zoe Quinn, en fut la première victime1.

Des gameuses témoignent souvent du harcèlement qu’elles subissent ou ont subi, à l’instar d'Ultia récemment ou de Marie-Laure Norindr, alias Kayane, joueuse ayant remporté de nombreux titres dans l'univers des jeux de combat2 et animatrice, notamment sur la chaîne Game One. Des compétiteurs professionnels de League of Legends, membres d’équipes de la LCK, ont dû également affronter des critiques malveillantes (insultes, menaces…) de la part de leur communauté3.

L’autorégulation des discours haineux en ligne par un certain nombre de plateformes n’est pas suffisante pour enrayer ce phénomène de grande ampleur. De façon générale, 62% des Français déclarent avoir subi des incivilités en ligne selon le Safer Internet Day 20204. Et d’après une récente enquête réalisée par l’association e-Enfance, 20% des jeunes affirment avoir déjà été confrontés à une situation de cyberharcèlement5. Nombre d’affaires judiciaires ont d’ailleurs défrayé la chronique ces dernières années (« Ligue du LOL »6, Nadia Daam7, Mila8...). 

Cependant, sachez que les cyberviolences (incivilités numériques) peuvent se combattre avec l’arsenal juridique déjà en vigueur et que l’impunité des auteurs est loin d’être assurée. Un tour d’horizon juridique s’impose donc car « nul n’est censé ignorer la loi » !
 


I. Le cadre juridique du cyberharcèlement

A- Définition du cyberharcèlement

Le « cyberharcèlement » (littéralement harcèlement en ligne) n'est pas un terme juridique à proprement parler. Il s’agit plutôt d'une expression employée dans le langage courant pour désigner du harcèlement virtuel. Il est acquis depuis la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, que la liberté d'expression ne doit pas nuire à autrui. C'est pourquoi, après avoir sanctionné le harcèlement en présence (offline), le législateur s'est emparé de la question des violences numériques.

Il a cependant fallu attendre la loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes pour que soient introduites dans le Code pénal des dispositions réprimant comme délit le harcèlement « commis par l'utilisation d'un service de communication au public en ligne ».

Depuis la loi du 3 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, dite loi « Schiappa »9, le harcèlement moral ou sexuel est devenu un délit aggravé notamment lorsqu’il est « commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne » ou au moyen d’un « support numérique ou électronique ». Le cyberharcèlement peut donc être sanctionné non seulement lorsqu’il s’exprime de façon publique mais aussi sur des canaux ou supports privés (réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter, Twitch, YouTube ; messageries ; téléphones ; forums ; chats, jeux vidéo en ligne ; SMS ; blogs ; vidéos...).


En août 2018, la loi « Schiappa » a été approuvée par le Parlement

Pensez au proverbe latin : « Verba volant, scripta manent » (« les paroles s'envolent, les écrits restent »). Car celui-ci est toujours et partout d'actualité, y compris sur internet et les réseaux sociaux. En d'autres termes, toutes vos données ainsi que ce que vous écrivez ou enregistrez (quel que soit le support : papier ou numérique) peuvent être retrouvés et se retourner contre vous. L'inverse est également vrai, c'est-à-dire que vous pouvez utiliser les éléments écrits ou numériques d'une personne qui vous « cible » comme éléments de preuve à son encontre.

Potentiellement, nous pouvons tous et toutes être victimes de comportements ou propos harcelants. Mais nous pouvons également, volontairement ou par inadvertance, se retrouver dans le camp des harceleurs. La frontière est parfois subtile et il se peut, parfois, que la personne accusée d'harcèlement en subisse à son tour. Ainsi, Andréas Honnet, connu sous le pseudonyme de Sardoche, s'était plaint en 2020, de recevoir des messages haineux et insultants pendant ses parties de League of Legends et même d’avoir été la cible de « swatting »10 et de « stream sniping »11, alors qu'il lui avait été reproché par certaines personnes de s'être livré lui-même à du cyberharcèlement.

B- Les formes de cyberharcèlement

A l’instar du harcèlement dit classique, le cyberharcèlement peut être d’ordre moral ou sexuel.

  • Harcèlement moral : il s'agit du « fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale »12.

    Le cyberharcèlement moral peut se manifester de bien des façons différentes et notamment par l’envoi de propos menaçants et/ou insultants (moqueries, menaces, humiliations...) ou encore par la création d’un groupe, d’une page ou d’un faux profil à l’encontre d’une personne.
     
  • Harcèlement sexuel : il s'agit du « fait d'imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante »13.

    Le cyberharcèlement sexuel peut se manifester, par exemple, par la publication de photos sexuellement explicites ou humiliantes ou par du « slut shaming », pratique consistant à blâmer des filles ou des femmes en raison notamment de leur apparence, de leur tenue vestimentaire, de leur maquillage ou encore de leur orientation sexuelle.

Si l’on reprend les critères légaux, l'infraction de cyberharcèlement n’est constituée que si les faits de harcèlement :

  1. se sont produits de façon répétée ; un acte isolé et unique de harcèlement n’est donc pas suffisant;
     
  2. et ont entraîné des conséquences négatives sur la vie de la victime (« altération de la santé physique et mentale » concernant le harcèlement moral ; « atteinte à la dignité ou création d’une situation intimidante, hostile ou offensante » concernant le harcèlement sexuel).

C’est donc à la victime du cyberharcèlement de prouver que ces conditions sont réunies. A côté des propos ou comportements relevant du harcèlement, il existe des infractions autonomes et distinctes, spécifiquement sanctionnées, telles que :

  • Le « happy slapping » : diffusion sur les réseaux sociaux de vidéos d’agressions physiques14.
     
  • Le « revenge porn » (vengeance pornographique), pratique consistant à diffuser auprès du public ou d’un tiers des photographies ou vidéos présentant un caractère sexuel, sans l’accord de la personne concernée15.
     
  •  Le « doxing » : diffusion d’informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens16.
     
  • Le délit dit « de captation, d’enregistrement et de transmission d’images impudiques », commis à l’insu ou sans le consentement de la personne17.