À Chengdu, en marge de la finale des Worlds, John Needham, patron mondial de l’esport chez Riot, s’est longuement exprimé auprès d’OTP sur l’avenir de l’Europe, la fragilité des ligues régionales, l’ouverture possible du LEC, la place des tournois tiers et les revenus digitaux. Des annonces sont promises pour 2026.
Une Europe “à faire évoluer”, entre fragilité des ligues régionales et promesses d’annonces
La scène européenne traverse une période de tension rappelée d’entrée par OTP, entre signaux économiques compliqués pour certains acteurs, essoufflement supposé d’un cycle et interrogations sur la suite à donner au modèle ERL/EMEA Masters. Face à ce constat, John Needham, présent à Chengdu pour la finale mondiale, expose une ligne claire sur la place de l’Europe dans la stratégie Riot, tout en laissant volontairement une partie du plan hors micro, avec une échéance annoncée pour l’année suivante.
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D’emblée, le responsable insiste sur l’attachement personnel et la priorité donnée au marché européen, tout en reconnaissant des difficultés opérationnelles autour de l’écosystème régional. Il résume sa position avec une déclaration très directe sur le poids de la région, expliquant notamment « l’Europe est un marché vraiment important pour Riot, pour League of Legends, pour nos esports. Elle a les fans les plus passionnés, je pense, sur la planète ». Il contextualise ce lien en rappelant son passé de dirigeant en Europe et son vécu du lancement du LEC, estimant avoir « une vraie appréciation des différences de culture à travers l’Europe », tout en décrivant un continent « unifié d’une certaine manière en tant qu’Européens ».
Sur l’état du tissu régional, il ne nie pas les turbulences et parle explicitement de difficultés du côté de certains partenaires. Il glisse ainsi « nous avons été très fiers de l’infrastructure ERL. Je sais qu’on a des défis en ce moment (…) et certains de nos organisateurs de tournois ne sont pas dans la meilleure situation pour produire certaines ligues régionales ». Mais, sans entrer dans le détail, il promet un axe de travail prioritaire « on trouvera un moyen de renforcer ça. On a des plans dont je ne parlerai pas aujourd’hui, mais dont on parlera à un moment l’an prochain, sur la façon dont on peut être plus local avec notre sport et toucher plus de fans ».
Cette idée de “retour au terrain” revient plusieurs fois, avec un exemple concret mis en avant comme un indicateur de la direction que Riot veut prendre. John Needham explique avoir beaucoup observé les événements délocalisés « on a vraiment aimé les road trips qu’on a faits l’an dernier avec KCorp et MKOI. On a vu une très bonne affluence, beaucoup de passion, et on a vu ça comme des indications pour l’avenir ». L’objectif, selon lui, est d’augmenter la présence physique, plutôt que de rester concentré sur un modèle trop centralisé « on doit simplement sortir davantage et aller toucher plus de fans ».
ERL, EMEA Masters et pipeline de talents, “garder le rêve vivant”
Au-delà de la popularité du LEC, le cœur de l’argumentation repose sur la fonction structurante des ligues régionales, vues comme un moteur de formation et de renouvellement. John Needham déroule un constat comparatif, formulé comme une règle générale « quand je regarde à travers le monde, les régions qui compétitionnent au plus haut niveau ont les meilleures infrastructures de ligues régionales ». Puis il rattache immédiatement cette idée à l’Europe en rappelant ce que Riot revendique avoir construit « j’étais très fier de ce qu’on a bâti en Europe, avec tous ces pays, et le nombre de joueurs professionnels que ça “sortait” chaque année, qui allaient ensuite en LEC ».
Il revendique même une réussite majeure à ses yeux, en assumant que le sujet est ancien dans son discours « si vous retournez voir de vieilles interviews, c’est l’un des accomplissements les plus importants, construire un pipeline de talents ». Et il fixe une priorité qui dépasse les formats et la politique de ligue « on veut toujours garder le rêve vivant pour nos joueurs, l’idée que nos meilleurs joueurs peuvent construire une carrière significative en jouant à League of Legends ». La conclusion est nette sur la hiérarchie des enjeux « à la fin, c’est probablement la chose la plus importante pour nous ».
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Sans promettre une solution immédiate, il renvoie à une reconstruction par “pièces” si certains maillons lâchent « si on a des problèmes avec nos organisateurs de tournois, on trouvera comment “recoller” la scène régionale d’une manière qui garde cet espoir vivant pour les joueurs ». Le message est clair pour l’Europe, mais également pour les pays qui voient leurs ligues nationales fragilisées, car il pose les ERL comme une condition de santé compétitive sur le long terme, pas comme un simple produit annexe.
Ouvrir davantage le LEC, mais sous contraintes du modèle de partenariat
Un des points les plus sensibles de l’échange porte sur l’ouverture possible du LEC, et la crainte d’un choc de confiance côté investisseurs si le principe d’accès garanti est remis en cause. Sur ce sujet, John Needham détaille une limite structurelle, qu’il rattache au coût d’entrée payé par les organisations « le modèle de partenariat League of Legends nous contraint de beaucoup de façons, parce que les équipes ont payé beaucoup d’argent pour participer au plus haut niveau de l’esport en Europe ». Dans le même souffle, il reconnaît que cette réalité réduit la marge de manœuvre « ça nous rend un peu moins flexibles sur jusqu’où on peut ouvrir le LEC ».
Pour autant, il ne ferme pas la porte à des mécanismes d’ouverture partielle, en parlant d’accès borné dans le temps, pensé comme un levier d’audience plus que comme une refonte totale. Il explique ainsi qu’il existe « de bonnes façons, même pour les équipes qui ont “acheté” leur place dans la ligue, de faire entrer de nouvelles équipes pour une très courte période, pour essayer de compétitionner et simplement attirer plus de fans à regarder la ligue et nos compétitions ». La formule la plus importante ici est la notion de test et d’expérimentation « on va essayer des choses. On a un tas d’idées pour équilibrer les deux ».
Cette logique s’inscrit dans une volonté plus large, répétée dans plusieurs réponses, d’“ouvrir l’écosystème” de manière progressive « on doit essayer d’ouvrir davantage nos écosystèmes pour permettre à de nouvelles équipes d’arriver et d’essayer de compétitionner ». Mais, au regard du discours, cette ouverture est présentée comme un réglage fin, à construire autour du modèle existant, pas comme une rupture soudaine.
Le franchising, “probablement pas de la même manière”
Interrogé sur le franchising et la tradition sportive européenne de montée/descente, John Needham livre une réponse qui tranche avec le langage habituellement très verrouillé sur ce thème. Il ne renie pas le principe, mais regrette le manque de flexibilité accordé à l’époque, au point de dire que la décision serait différente si elle devait être rejouée « probablement pas de la même manière. Je pense qu’on aurait permis plus de flexibilité dans la structure, parce que je pense que c’est bon pour la ligue de pouvoir évoluer ». Il nuance immédiatement en rappelant que le partenariat reste défendable « je pense que le modèle de partenariat qu’on a dans League of Legends est un bon modèle », avant de conclure sur la limite clé « ce n’est probablement pas le meilleur modèle pour nous permettre la flexibilité ».
Autre thème majeur, la montée en puissance des organisateurs tiers et l’apparition d’événements externes à l’écosystème classique. Là encore, la réponse est sans ambiguïté « on veut vraiment ouvrir davantage notre écosystème pour permettre plus de tournois tiers ». John Needham cite l’essor de partenaires déjà présents, et insiste sur le fait que l’écosystème est plus large qu’on ne le perçoit « quand je regarde la liste, on a environ 20 partenaires en Occident qui font des tournois. Beaucoup sont petits, vous n’en entendez pas parler ».
Il justifie ce choix par l’expérience fan et la demande d’international, en liant les deux « d’abord, ça donnera aux fans un autre “goût” de compétition à apprécier. Les fans veulent toujours plus de compétitions internationales. C’est une bonne façon de livrer davantage de compétitions au style international ». Mais il ajoute un argument économique, essentiel dans le contexte actuel « c’est aussi bon pour les équipes, c’est une manière pour elles d’avoir des revenus d’autres façons, qui ne sont pas directement liés à notre écosystème ».
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Sur ce point, la phrase qui résume la philosophie est directe « on pense que c’est une très bonne chose pour nos joueurs pro et nos équipes, parce que la soutenabilité reste un objectif important pour nous ». Et même si le responsable ne donne ni calendrier ni chiffres précis, il conclut en soulignant « on est très proches » du cap visé, formulation qui marque une forme d’optimisme, sans promettre un retournement immédiat.
Trois splits, formats qui bougent et synchronisation avec le jeu
Sur la question des formats, OTP pointe une critique très répandue, liée à la brièveté ressentie des splits et à la difficulté de faire exister des “histoires” sur la durée. John Needham répond en replaçant la réforme dans une logique globale Riot, pensée autour de la cohérence des temps forts de l’entreprise « on est contents du modèle à 3 splits en ce moment pour une raison différente, parce qu’il se connecte aux saisons qui se passent avec le jeu ». Il décrit ensuite un objectif de synchronisation plus large, au-delà du simple calendrier compétitif « l’une des choses que j’essaie de faire dans mon nouveau rôle, qui couvre publishing et esports, c’est de synchroniser les moments du jeu à travers toutes nos capacités ».
La justification, chez Riot, n’est pas uniquement sportive, elle est aussi produit et culture, assumée comme telle « on a l’esport, mais on a aussi la musique, les produits, de grands “beats” de publishing, de grandes choses dans le jeu avec des champions qui sortent. Et plus on peut synchroniser tout ça pour en faire des moments culturels plus grands, plus mémorables, c’est important ». Dans ce cadre, il annonce que l’entreprise continuera à ajuster « on regardera constamment les formats, la structure des splits, on a fait beaucoup de changements au fil des années, on continuera », tout en rappelant une idée récurrente dans l’entretien, l’arbitrage se fait à la fois pour “le sport” et “le jeu” « ce sera aussi en partie ce qui est le mieux pour le jeu. Comment on rassemble tout pour créer ces moments pour les fans ».
Quand OTP insiste sur la confusion possible des publics, face à des changements fréquents, John Needham renvoie d’abord la balle à Riot sur un point très concret, le marketing « je pense que c’est surtout un échec de notre capacité à marketer nos sports ». Il oppose les forces et les lacunes « on sait qu’on est très bons pour marketer des jeux (…) mais on n’a pas encore réglé les bases du marketing sportif ». Et il décrit ces bases comme des évidences « l’une des bases, c’est de dire aux fans quand les matchs ont lieu, pourquoi ils sont importants, ce que les deux équipes apportent à la compétition ». Il explique que le regroupement publishing/esports doit aider, jusque dans sa terminologie interne « maintenant qu’on a mis esports et publishing dans une seule organisation, qu’on appelle “pub sports”, je pense qu’on va être meilleurs pour dire quand sont les matchs, qui joue, et pourquoi regarder ». En revanche, il ne promet pas une stabilité rapide « je ne peux pas vous dire qu’on ne changera pas. On a LEC Versus l’an prochain, c’est nouveau. On a eu beaucoup de changements cette année avec Fearless Draft et d’autres choses qu’on a essayées ».
Enfin, sur l’idée d’un format unifié mondial, il reconnaît avoir changé d’avis « si vous m’aviez demandé ça il y a 3 ou 4 ans, j’aurais dit oui sans hésiter. Mais j’ai appris à apprécier que les fans en Corée regardent l’esport différemment des fans en Europe, en Amérique du Nord, au Brésil ». Sa conclusion est une défense de l’adaptation locale, quitte à accepter la diversité des modèles « on essaie d’adapter nos formats et la structure de nos ligues à ce que nos fans attendent ». Et il appuie avec un exemple de consommation « en Corée, ils regardent tous les soirs (…) en LPL, ils diffusent 6 soirs par semaine, parfois 7 ». Le raisonnement est constant, ce sont les habitudes de visionnage qui guident le modèle, pas l’inverse.
Investissement, stratégie et revenus digitaux, Riot réfute un désengagement
L’échange aborde aussi le sentiment, chez une partie du public, que Riot investirait moins dans l’esport, notamment après des changements de gouvernance évoqués par OTP. John Needham répond sans détour « en fait non, on n’investit pas moins. On investit la même quantité qu’on investit dans l’esport depuis plus de 10 ans ». Il précise que cet investissement est structurel parce que l’esport est une pièce du cycle d’engagement de Riot « l’esport est notre manière de fournir ce chemin vers le pro pour nos meilleurs joueurs, et d’inspirer les joueurs à aller jouer ». Il détaille un mécanisme qu’il présente comme documenté « on parle beaucoup de cette boucle “play watch”. Regarder l’esport, être inspiré, aller jouer. On a beaucoup de “science” sur le fait que c’est une manière très efficace d’engager les joueurs sur de très longues périodes ».
Sur la soutenabilité, il insiste sur le fait que ce n’est pas une posture nouvelle « si vous remontez à il y a 4 ans et regardez des interviews ou des blogs, je parlais déjà de soutenabilité avant Dylan ». Et surtout, il justifie ce cap par la nécessité de préserver le sport lui-même « on a des équipes, on a des joueurs. On doit construire un business réussi pour eux. Si on n’a pas d’équipes et pas de joueurs pros, on n’a pas de sport ». Il projette enfin le sujet dans le temps long « on pense à des générations de joueurs. On est dans l’esport pour le long terme. On va faire de ça un bon business profitable pour nos équipes. On n’y est pas encore, mais on a appris beaucoup et on a fait des progrès ces 2 dernières années ».
Sur la monétisation, il évoque un levier récent, présenté comme un outil de redistribution et de focus sur le digital « on a lancé ce “global revenue pool” cette année. Son but est exactement de nous concentrer davantage sur les sources de revenus digitaux, et de travailler avec les équipes du jeu sur plus d’items digitaux liés à l’esport ». Et il appuie son propos avec une statistique qu’il met en avant comme révélatrice du comportement des joueurs « si vous regardez les 10 items digitaux les plus populaires de l’histoire de Riot sur League of Legends, 6 sont liés à l’esport ». Il donne aussi une interprétation de ce succès « nos joueurs achètent ces items en partie parce qu’ils savent que ça soutient les équipes d’esport, et ça surperforme en ventes par rapport à la plupart des “skin lines” qu’on fait ».
Enfin, il explique la direction business prise ces dernières années, centrée sur le partage de revenus, et la continuité de l’effort « on a changé notre modèle pour partager les revenus digitaux avec les équipes et on a eu de bons résultats à la fois sur League et Valorant ». Et, à la question d’OTP sur le manque perçu d’items in-game, il répond par une promesse simple « on va continuer à s’appuyer davantage sur le digital ».
Un message au public français, et la place de la France dans la stratégie événementielle
La fin de l’échange se conclut sur un message adressé à la communauté française, dans une logique très “événementiel”, liée à l’énergie du public. John Needham remercie « merci pour toute votre passion au fil des années. J’adore venir en France avec nos événements parce que je sais que je vais avoir l’une des foules les plus passionnées, les plus énergiques ». Il illustre son propos avec une anecdote récente autour des supporters de Karmine Corp « c’était drôle cette année, à notre premier tournoi à Séoul. Les fans KC Corp étaient dehors, à l’extérieur de l’arène. Ils faisaient tellement de bruit que ça “débordait” dans notre broadcast à l’intérieur, et on a dû aller leur demander de se calmer ». La conclusion est un signal simple sur la géographie des futurs événements « c’est comme ça qu’on récupère notre énergie (…) on veut aller dans les endroits où on a les meilleurs fans, et la France en fait clairement partie ».
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