Invité de Chips dans une interview exclusive réalisé par OTP, Arthur Perticoz, CEO de la Karmine Corp, est revenu en détail sur l’organisation du LEC à Paris, les défis d’un tel événement, les limites du modèle actuel, et sa vision à long terme pour la scène européenne de League of Legends.

Derrière les coulisses des Arènes de la KCorp

Quelques jours après l’événement LEC Roadtrip à Paris organisé dans les Arènes d'Evry, Arthur Perticoz s’est exprimé pour clarifier ce qu’il s’est passé, notamment sur l’interruption technique qui a surpris les spectateurs juste avant le coup d'envoi du match de la KC. Contrairement aux rumeurs, il n’y a pas eu d’incendie ni d’explosion. « Je peux révéler ce qu’il s’est passé parce qu’il n’y a pas de grands secrets. On a fumé l’entrée des joueurs, la porte du sas ne s’est pas refermée complètement, il y a eu de la fumée qui est rentrée. »

La fumée a déclenché un détecteur incendie, qui a conduit à un shutdown automatique du plateau. « Le plateau est équipé de ce qu’on appelle un gaz inerte, pour protéger les serveurs. Et à partir du moment où ça se déclenche, tout s’arrête. » Une fois ce système désamorcé, la production a redémarré normalement. Au-delà de cet incident, Arthur assume le choix d’avoir utilisé le plateau d’RMC Sport à Paris. Ce lieu, « pensé pour les Jeux Olympiques », permettait une vraie immersion studio, un format qu’il voulait reproduire hors de Berlin : « Moi, ce que je voulais, c’était refaire ce qu’il se passe à Berlin en France. »

Une coproduction complexe avec Riot

L’événement de Paris n’était pas organisé uniquement par la Karmine Corp. Il s’agissait d’une coproduction entre Riot Games, Riot France et KC. « C’est une triple, quadruple décision sur tout. Ce qui est unique, pas forcément problématique, mais inédit. » Arthur insiste sur la complexité de ce format, où chaque élément, de l’habillage à la lumière, doit être validé par plusieurs instances. « Ce n’est pas KC qui fait ce qu’elle veut, ce n’est pas Riot qui fait ce qu’elle veut. C’est vraiment un truc qu’on a co-construit. »

Il rappelle que le projet a démarré bien avant l’annonce officielle : « L’idée, elle est née l’été dernier. Et ça fait des mois qu’on bosse sur cet événement. » Pour Arthur, cette configuration marque une évolution dans le modèle LEC, et il espère que d’autres clubs suivront. « Ce qu’on a fait là, je pense que d’autres vont le faire. »

Le rêve d’un LEC itinérant en Europe

Dans un passage fort de l’interview, Arthur partage une vision ambitieuse : celle d’un LEC itinérant, organisé dans toute l’Europe. « Mon rêve absolu, c’est que les splits se jouent dans toute l’Europe. Qu’il y ait deux journées à Paris, deux journées à Berlin, deux journées à Rome, deux journées à Londres, deux journées à Madrid. » Il déplore que l’Europe soit encore structurée comme une ligue centralisée, à la différence de certains circuits américains ou asiatiques. « Pourquoi ça se passe toujours à Berlin ? Je pense qu’on arrive à la fin d’un modèle monoville. » Pour lui, rapprocher les clubs de leurs bases de fans est essentiel, y compris dans une ère numérique. « On a besoin de reconnecter les clubs à leur territoire. »

Arthur évoque aussi les possibilités futures en France, et rappelle que le système français est l’un des rares en Europe à avoir à la fois une ERL très forte, une base de fans massive et des clubs ancrés localement. Une configuration unique qui justifie, selon lui, de pousser plus loin cette logique de territorialisation.

Un modèle économique équilibré mais non lucratif

Arthur l’affirme clairement : la Karmine Corp n’a pas gagné d’argent sur cet événement. Le but était ailleurs. « On ne gagne jamais d’argent sur l’événementiel. On le fait pour l’expérience, pour la passion, et pour que les fans aient un truc à vivre. » Il détaille tout de même les proportions budgétaires : « C’est 60 % billetterie, 40 % sponsor. »

La billetterie, bien que solide, ne suffit pas à rendre l’événement rentable. Mais elle permet de limiter les pertes. L’équilibre est recherché, mais jamais garanti. « C’est ce qu’on a essayé de faire ici. Et on n’en est pas loin. » Au passage, Arthur souligne que la Karmine Corp n’aurait pas pu assumer un événement dans une salle comme Bercy pour un match simple de saison régulière. « Ce n’est pas la même économie que les KCX. Ce n’est pas un format spectacle, c’est un format studio. »

Une inquiétude sur l’état du vivier en Europe

Arthur profite de l’entretien pour livrer une analyse sur la santé de la scène européenne, notamment côté formation. Il alerte sur le vieillissement général des talents. « Il y a des joueurs de notre équipe LEC qui sont plus jeunes que ceux de notre équipe Div 2. Et ça, c’est inquiétant. »

Selon lui, il manque une vraie structuration du passage des jeunes joueurs vers le haut niveau. « C’est la phase 15-18 ans qui est critique. Le moment où tu joues beaucoup, où tu veux progresser, mais où t’es pas encore prêt pour la Div 2. Il faut encadrer ça. » Il évoque l’idée d’un projet futur, encore à l’étude : la création d’une structure de développement en amont de la Div 2, pour former et accompagner les jeunes joueurs. « Aujourd’hui, il y a une énorme marche entre le ladder et les ERL. Il faut combler ça. »

Une prise de parole au nom d’un écosystème

Tout au long de l’entretien, Arthur évite de tirer la couverture à la Karmine Corp. À plusieurs reprises, il insiste sur la dimension collective de ce qu’il s’est passé à Paris. « Je ne vois pas ça comme une démonstration de force de la Karmine, je vois ça comme une démonstration de force de la France. »

Il remercie OTP, Riot France, Webedia, les fans, les autres clubs, et rend hommage à la scène française dans son ensemble. « Ce qu’on a montré, c’est qu’on est capables de faire un truc ensemble. Et ça, ça me rend fier. » Dans une interview dense, Arthur Perticoz livre une réflexion stratégique sur l’avenir de l’esport League of Legends en Europe. Entre ambition locale, volonté de rupture avec le modèle centralisé, et lucidité sur les enjeux économiques, le dirigeant de la Karmine Corp se positionne comme un acteur structurant d’une scène en pleine transition.