Le sniper ukrainien de 23 ans est parmi les meilleurs joueurs mondiaux au niveau de ses statistiques individuelles et a réalisé une saison 2021 ainsi qu'un début d'année 2022 tout simplement ahurissants. Pourtant il ne trouve pas de contrat chez les professionnels, pourquoi un tel décalage pour celui qui est surnommé le nouveau s1mple » ?

Le nouveau s1mple ?

Il a reçu ce surnom de « nouveau s1mple » l'année dernière, quand le 25 mai 2021 lui et son équipe Akuma parvenaient à écraser les Natus Vincere 2-0 (02-16 Mirage / 10-16 Inferno) en quart de finale de l'EPIC CIS League Spring 2021, événement de la zone russophone qualificatif pour le PGL Major Stockholm 2021. Cette performance avait beaucoup fait réagir et aura permis, peut-être pas comme il l'aurait souhaité, de braquer les projecteurs sur ce joueur déjà controversé mais dont les statistiques à l'époque, et encore aujourd'hui, faisaient de lui l'un des 5 meilleurs snipers du monde. Cette raclée infligée à la vedette ukrainienne Oleksandr "s1mple" Kostyliev aura été considérée comme telle par celui qui remportera le Major quelques mois plus tard et sera élu meilleur joueur du monde cette année là. A l'issue de cette rencontre d'ailleurs, dans de ce tournoi qui se jouait en ligne pour cause de pandémie de COVID-19, Dmytro "SENSEi" Shvorak se situait à la première place de la compétition au niveau statistique avec un rating de 1,44, le second n'était autre que le capitaine des Virtus.pro Dzhami "Jame" Ali qui lui pointait à 1,29. Bref vous l'avez compris, même si l'Europe savait déjà que dans le subtop SENSEi était un joueur dont il fallait se méfier, être à un niveau de performance aussi élevé lorsque vous jouez le top 10 mondial, c'est tout simplement suspect.


Dmytro "SENSEi" Shvorak chez CR4ZY en 2020

Et pourtant, malgré les accusations de triche et une lettre signée par la majorité des équipes présentes lors de ce RMR (Regional Major Ranking), à l'exception des Akuma de SENSEi et des ex-Marlian depuis partis chez B8 Esports et également sous le coup de forts soupçons de triche, aujourd'hui encore le sniper ukrainien reste l'un des meilleurs à son poste au niveau mondial. Alors quand on sait que les clubs sont prêts à débourser des sommes aux alentours du demi-million de dollars pour se payer un tireur de précision, pourquoi personne ne s'intéresse donc à Dmytro "SENSEi" Shvorak qui, rappelons le, n'est sous le coup d'aucune sanction de l'Esports Integrity Commission (ESIC) ou de la part de Valve et est totalement gratuit ? Revenons donc sur l'historique du sniper pour tenter de comprendre le pourquoi de cette situation.

Originaire de la ville de Kryvyï Rih, citée industrielle d'Ukraine orientale et proche de la frontière Russe, il a été frappé par le conflit qui a éclaté dès 2014 dans la région du Donbass. Jeune joueur de football, il aurait pu également s'orienter dans une carrière d'athlète du fait de ses résultats avec le ballon rond mais également en athlétisme ou en gymnastique, deux autres sports dans lesquels il a montré certaines prédispositions. Pourtant c'est vers l'esport qui va se tourner, car Dmytro "SENSEi" Shvorak va découvrir Counter-Strike grâce à son frère aîné. Il a expliqué son entrée tardive au plus haut niveau du fait du refus de ses parents qui insistaient pour qu'il finisse ses études. En effet il n'a débuté dans le circuit compétitif qu'en 2018, alors qu'il avait déjà 19 ans, au sein du mix ukrainien MAJESTY et c'est au début de l'année 2020, quelques semaines seulement avant le début de l'ère du tout en ligne lié à la pandémie, qu'il se fait remarquer en étant recruté par la structure Project X. Initialement fan de la légende Yehor "markeloff" Markelov, qui a évolué chez NAVI de 2010 à 2013 sur Counter-Strike 1.6 puis Global Offensive, c'est ensuite tout naturellement qu'il a suivi l'évolution de l'autre star de son pays : Oleksandr "s1mple" Kostyliev. Déjà son attrait pour le fusil à lunette vert est très marqué et il s'oriente vers une carrière qu'il rêve similaire à ses deux idoles.

J'ai commencé à jouer à Counter-Strike à cause de mon frère, je l'ai suivi, j'ai aimé ça. Au début, je jouais pour m'amuser avec des amis, puis j'ai commencé à collectionner les équipes. Sur 1.6 j'ai plutôt bien réussi, après un certain temps je suis passé à CSGO. Une fois j'ai vu un match professionnel. Comme tous les Ukrainiens, j'ai suivi NAVI, j'ai beaucoup aimé cette équipe. J'ai aimé la scène : les émotions qu'elle procure, les actions. Même de l'extérieur, tout cela avait l'air très cool. J'étais plutôt bon à CS donc j'ai voulu m'y mettre à fond. Quand j'avais 14 ans, mes parents m'ont interdit de jouer jusque tard le soir, ils m'ont dit que je devais étudier car c'est la chose la plus importante dans la vie. À cause de cela, j'ai pris du retard dans ma progression.

Dmytro "SENSEi" Shvorak - Escore News.com

L'un des éléments à charge contre l'Ukrainien c'est justement son incroyable progression lorsque les LANs se sont terminées. Il est effectivement passé entre les trois premiers mois de 2020 (période pré-confinement) et le reste de l'année de 1,09 de rating à 1,17 (+7,34%). Dans le détail, c'est dans toutes les catégories statistiques que son évolution est fulgurante le faisant évoluer de facto de joueur inconnu à espoir du Counter-Strike mondial. Il n'a alors de 21 ans et en rejoignant Project X, il ne le sait peut-être pas encore, mais il vient de prendre une mauvaise direction qui le poursuivra toute sa carrière. Déjà il rencontre ceux qui deviendront ses coéquipiers chez Akuma Oleksandr "Psycho" Zlobin, Serhii "DemQQ" Demchenko et son capitaine Serhii "Sergiz" Atamanchuk. Ensuite ils mettent les pieds au sein d'un club dont le propriétaire est un parieur et un arrangeur de matchs avéré qui sera exclu de la scène plus tard après avoir été convaincu de sa culpabilité par l'ESIC. Bref entre la progression fulgurante, l'entourage de joueurs encore aujourd'hui controversés et un club qui participe activement dans un réseau pour arranger les rencontres, on se doute que le cocktail est plutôt détonnant.


Les performances de SENSEi avant et après la pandémie en 2020 (c) HLTV

Toutefois à sa décharge l'équipe Project X sera transférée chez les plus reconnus CR4ZY dès le mois de février 2020, et un autre joueur a réussi à obtenir un contrat pro malgré son passage sous ce tag, il s'agit du nouveau sniper de la Team Spirit Ihor "w0nderful" Zhdanov. De plus le procès qui est fait quant à la progression de SENSEi, qui serait en parfaite corrélation avec la fin des LANs, est difficilement vérifiable puisqu'en 2019 déjà, le joueur avait réalisé d'excellentes performances et qu'il avait terminé cette saison à 1,15 de rating, ce qui démontrait un certain potentiel chez lui. Et puis dans le subtop ce n'est plus aussi monnaie courante qu'avant de participer à des LANs. En revanche lorsque vous vous retrouvez dans une compétition aussi importante qu'une qualification RMR au Major, on vous scrute et tous vos exploits sont examinés.

Accusés d'avoir triché, notamment via l'utilisation d'un « radar hack » ou à l'aide d'un administrateur qui aurait permis aux joueurs Akuma d'avoir accès à la retransmission en direct de leurs matchs, aucune sanction ni conclusion d'une quelconque enquête ne seront publiées à l'issue de cette compétition où les Ukrainiens termineront à la surprise générale troisièmes. En revanche, l'ESIC diffusera une note conseillant de ne plus faire jouer ensemble ces joueurs sans plus d'explications. Et Dmytro "SENSEi" Shvorak sera l'un des premiers d'ailleurs à claquer la porte, avec son coéquipier Evhen "j3kie" Serhachev. Porte qu'ils s'empresseront de rouvrir quatre jours plus tard certainement pour conserver leurs chances de participer aux PGL Major Stockholm 2021. Au cours de toute cette saison dernière particulièrement éprouvante pour lui du fait de la polémique qui l'entoure, SENSEi n'aura pas l'occasion de prouver sa valeur en LAN puisqu'il ne jouera que des compétitions en ligne. Il terminera malgré tout avec un rating de 1,24 (nouvelle progression fulgurante) ce qui lui permet de terminé l'année à la 12ème place mondiale, au même niveau que le Russe Dmitriy "sh1ro" Sokolov ou que l'Anglais Owen "smooya" Butterfield. Pour ne rien arranger à cela, quelques jours seulement après la polémique l'Ukrainien s'est fait bannir sa chaîne Twitch pour des propos jugés non conformes, lui qui s'amusait des accusations en diffusant ses parties avec un radar dessiné sur papier qu'il regardait en souriant et qu'il appelait le radar premium.


Le radar premium dessiné à sa gauche (c) Twitch

Une réaction à ajouter aux erreurs dans la communication du sniper qui, s'il n'a jamais été confondu, reste malgré tout un personnage qui ne possède pas nécessairement les codes qui correspondent à ce qu'attend un club professionnel. Provocant, s'exprimant parfois trop et sachant aussi être carrément toxique, il ne se présente pas comme étant un coéquipier particulièrement sympathique à intégrer.

Si l'on ajoute à cela l'échec pour se qualifier au PGL Major Stockholm et les performances extrêmement décevantes des Akuma alors qu'ils étaient particulièrement scrutés (SENSEi termine le dernier RMR de l'année 2021 avec un rating de 0,98 totalement inhabituel), mèneront à nouveau le sniper en coulisses dans le subtop européen où il continuera d'évoluer. Toutefois son nom est récemment revenu sur le devant de la scène, tout simplement car son début de saison 2022 est tonitruant (1,25 de rating à l'heure actuelle) et surtout il a enfin participé à une LAN. C'était l'European Championship 2022 organisée par l'European Esports Federation, une sorte de Coupe d'Europe qualificative pour la Coupe du Monde (IESF World Esports Championship 2022) qui se jouait à Oradea en Roumanie et où chaque équipe devait être composée en intégralité de joueurs de la même nationalité. Pour l'Ukraine donc on retrouvait les ex-Akuma et ils termineront ensemble à la seconde place de l'événement derrière BLUEJAYS qui représentait la Macédoine du Nord. Une défaite en finale 1-2 (16-05 Dust2 / 05-16 Mirage / 13-16 Vertigo) qui n'empêchera pas le sniper de recevoir le titre de meilleur joueur de la compétition grâce à ses performances stratosphériques tout le long du tournoi.


SENSEi devant s1mple,sdy, mir et Jame (c) HLTV

Alors dernièrement il a été en test du côté des Entropiq où son nom a été envisagé pour remplacer Aleksey "El1an" Gusev. Toutefois quatre matchs plus tard pour le compte de la qualification fermée pour l'ESL Challenger Rotterdam 2022 et l'Ukrainien a été libéré au profit d'un nouveau joueur mis en test, l'Anglais Alex "znx" Webster. Précisons toutefois que lorsque la polémique autour des Akuma avait éclaté au printemps 2021, l'actuel entraîneur des Entropiq Dmitriy "hooch" Bogdanov avait été l'un des signataires de la lettre d'accusation à l'encontre de l'équipe. Aujourd'hui SENSEi a retrouvé un autre club, il s'agit du plus modeste Esports Club Kyiv (56ème mondial). Basé en Ukraine il y a retrouvé une place à l'essai aux côtés de son ancien camarade Evgeniy "j3kie" Sergachev, cette fois peut-être va-t-il pouvoir se poser et prouver définitivement sa valeur ? Car aujourd'hui encore nul ne saurait conclure de manière définitive que le sniper ne fait pas réellement partie des meilleurs mondiaux. Une chose est certaine, sa communication et ses choix de carrière auront eu des conséquences désastreuses sur son parcours et cela jusqu'à aujourd'hui.

Composition Esports Club Kyiv

  • Yaroslav "byr9" Buryak
  • Kyrylo "s4ltovsk1yy" Lytvynov
  • Vladislav "Kvem" Korol
  • Dmitriy "SENSEi" Shvorak (en test)
  • Evgeniy "j3kie" Sergachev (en test)
     
  • Mikhaylo "kane" Blagin (entraîneur)