Nicolas « Meteora » Di Martino est à la tête de l'agence de production ZQSD qui organise de nombreux événements et qui, avec Adrien « ZeratoR » Nougaret, dirige l'équipe Mandatory. La rédaction a profité de ce début d'année 2024 pour lui poser quelques questions. Entretien.
A la renconte de Nicolas « Meteora » Di Martino
Certains te connaissent sûrement sous ta casquette de responsable de ZQSD. Peux-tu détailler ton rôle chez Mandatory ?
Mandatory est une marque de ZQSD, j’en suis donc également le PDG, en association avec ZeratoR en ce qui concerne le club. Mon rôle au quotidien est de veiller à mettre nos joueurs dans les meilleures conditions. Au début, cela passait par l’organisation régulière de bootcamps, veiller à ce qu’ils aient le meilleur matériel possible, un accompagnement au niveau mental et développer plus globalement une relation étroite avec les joueurs et les coachs afin que tout le monde tire le maximum de son potentiel.
Cela est devenu plus facile récemment, d’une part car les joueurs ont maintenant des locaux dédiés où ils peuvent s'entraîner tous les jours, au plus près du staff ; et d’autre part, grâce au recrutement de Féfé qui a davantage le profil d’un manager sportif complet que d’un simple coach. Il prend les devants sur de nombreux aspects du quotidien de l’équipe et du bien-être des joueurs, ce qui me fait gagner beaucoup de temps.
Je travaille également sur les transferts et globalement dans tous les aspects du club avec l’aide précieuse d’un staff très impliqué (communication, sponsoring, vidéo, etc.).
L'agence ZQSD a posé ses valises à Montpellier dans de nouveaux locaux (c) ZQSD
Mandatory a deux ans. Quel est ton meilleur et ton pire souvenir depuis sa création ?
Mes meilleurs souvenirs sont certainement ceux de la période de fin 2022, avec notre double victoire à la Coupe de France et à la Lyon e-Sport. On était vraiment dans une bonne dynamique et surtout, cela faisait du bien de voir du Valorant sur scène, avec du public. Cela n’arrive pas souvent et c’est vraiment dommage car l'ambiance était électrique et cela a marqué un moment fort pour notre équipe et nos supporters.
Mon pire souvenir... Un terrible 1-13 contre les incontournables KCorp. Match aller du second split de 2022, de mémoire. Au-delà du score, on était vraiment passé à côté de notre match, avec le sentiment de ne pas du tout avoir déployé notre jeu. C’était très frustrant, mais on en a tiré beaucoup de leçons. Heureusement, on a pris notre revanche quelques semaines plus tard !
Vous avez réalisé deux fois un Top 2 contre Gentles Mates en VCL l’année dernière. Quel bilan tires-tu de l’année 2023 et quels sont vos objectifs pour 2024 ?
C’était une bonne saison, si on oublie la Coupe de France. On a rivalisé de très près avec M8 au classement et avec des matchs très serrés quand on les a affrontés. Quand on voit leur parcours par la suite, cela est rassurant concernant le potentiel de notre équipe. Comme chaque saison, l’objectif sera de faire mieux que la précédente et de continuer notre progression. On espère bien remporter les splits et réaliser un bon parcours en ascension.
Mandatory semble vouloir se positionner comme un club formateur avec la volonté de grossir à “notre rythme”. Comment concilies-tu cela avec l'ambition affichée par ZeratoR d'aller en VCT ?
Effectivement, nous voulons y aller à notre rythme, sans pression négative, mais non, nous ne souhaitons vraiment pas nous positionner comme un club formateur. Nous sommes ambitieux et notre objectif est d’aller en VCT et de les gagner un jour. Mais oui, nous voulons y arriver à notre façon, prendre le temps de faire évoluer le club en le construisant sur des bases solides et non pas sur une équipe de mercenaires surdoués. Nous voulons aussi le faire sainement et ne pas nous lancer dans une équipe qui perd des millions chaque année. Je verrais cela plus comme un cheat code ; la victoire n’aurait aucune saveur.
Cependant, construire sainement et sur de bonnes bases ne signifie pas non plus qu’il faille s’éterniser au niveau actuel. À nous de trouver les bons leviers pour accéder au VCT le plus rapidement possible.
Vous avez aujourd’hui une équipe Valorant en Ligue française et une équipe World of Warcraft. Avez-vous l’intention de vous lancer prochainement sur d'autres jeux ou ce n’est pas d’actualité ?
Nous avons toujours voulu trois équipes pour Mandatory. Deux sur des jeux très orientés esport et une sur un jeu plus inattendu mais qui colle à notre ADN et à celui de ZeratoR (WoW en l'occurrence). Nous attendons patiemment de trouver ce troisième jeu qui nous inspire, mais pour l’instant, rien à l’horizon.
Mandatory a récemment acquis des locaux pour les joueurs Valorant. D'où vient cette volonté de rassembler tous les joueurs au même endroit ?
C’est tout simplement la meilleure façon de travailler selon nous. Les joueurs disposent d’un matériel au top grâce à nos partenaires Razer et Materiel.net, d’un cadre de travail professionnel et peuvent échanger beaucoup plus directement. À moyen terme, je suis certain que les liens entre eux seront beaucoup plus forts et que cela se ressentira sur les performances de l’équipe. Nous commençons déjà à en voir les effets au quotidien.
C’est aussi super pour tout le staff d’avoir les joueurs plus près de nous, pour créer des contenus vidéo, des interviews, des vlogs, des documentaires sur la vie de l’équipe, etc. Nous avons pas mal de choses qui arrivent de ce côté-là.
Vous avez effectué plusieurs changements au sein de l'équipe. Pourrais-tu nous expliquer ces choix ?
kAdavra souhaitait mettre toutes les chances de son côté pour être recruté en VCT. Nous l’avons donc libéré pour qu’il puisse effectuer un maximum de tests avec d’autres équipes, des tests qui, hélas, coïncidaient avec la Coupe de France.
SoOn est venu le remplacer, avec un profil différent qui nous fait beaucoup de bien. C’est un spécialiste à son poste, il vient stabiliser l’équipe après une saison où nous avons changé de rôles très souvent. C’est aussi un joueur qui travaille beaucoup, sait se mettre dans les bonnes conditions et qui ne passe quasiment jamais à côté d’un match. Il a vraiment une présence rassurante au sein du roster.
Nous avons ensuite recruté CyvOph avec une stratégie atypique à six joueurs. Cela nous permet d’être plus flexibles face aux différents patchs et au format en BO3 de cette saison. C’est un joueur très talentueux, qui n’a peur de rien et qui insuffle beaucoup d’énergie et de spontanéité dans l’équipe, ce dont nous manquions parfois dans un roster aux profils très calmes et réfléchis.
Féfé a évoqué la constitution d'un staff axé sur le sport. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet ?
C’était une de nos volontés en rassemblant les joueurs dans des locaux, de progressivement leur construire un accompagnement sain à tous les niveaux. Féfé a pris les devants sur ce point et nous a permis d’aller bien plus vite que prévu. Nous avons depuis un moment un kinésithérapeute qui prend soin des joueurs chaque semaine et des séances de boxe pour que les joueurs progressent sur leur condition physique et mentale.
Nous faisons aussi des matchs toutes les semaines avec les joueurs, le staff et les streamers montpelliérains, ce qui fait du bien à tout le monde (sauf à quelques égos…).
La saison de Valorant a repris après une pause de plus de six mois. Comment avez-vous géré cette interruption du calendrier et pensez-vous que le calendrier actuel est satisfaisant en termes de nombre de matchs ?
C’est long, très très long. Les joueurs ont besoin de compétition bien plus régulièrement que cela. Tout le monde a besoin d’événements aussi ; les clubs ont besoin de rencontrer leurs fans et rien ne remplacera jamais l’adrénaline d’une LAN et d’une scène. Je pense que le format avec deux splits et une off-season avec plusieurs événements en ligne et LAN est parfait.
Nous espérons que Riot encouragera cette direction à l’avenir en favorisant les événements plutôt qu’un troisième split. Le succès d’un jeu esport et de sa scène se fait en construisant avec la communauté, comme on a pu le voir sur LoL et avant cela sur CS, avec énormément de LANs et de contenus communautaires. Je crois beaucoup moins aux jeux qui ne se construisent que par le haut, comme cela a pu être le cas avec Overwatch, par exemple.
Riot a annoncé des changements pour la Challenger League. Quelle est ton opinion à ce sujet ?
J’aime beaucoup le format en BO3 que nous avons actuellement, il a beaucoup plus de sens pour tout le monde et permet aux équipes de vraiment se départager.
Sinon, les principaux changements concernent les partenariats et prêts de joueurs entre les équipes VCT et Challengers. Je pense que c’est une très bonne chose, cela évite aux équipes VCT d’avoir un joueur sur le banc toute la saison, qui ne progresse pas et ne s’exprime pas. Cela permet aussi de créer des ponts entre les équipes Challengers et le plus haut niveau, avec peut-être l’opportunité pour un joueur qui le mérite d’aller faire une pige en VCT. C’est top pour tout le monde.
Ces changements ont conduit à un partenariat avec Fnatic. Comment s'est créé ce partenariat, pourquoi Fnatic et qui a souhaité ce partenariat en premier lieu ?
C’est Fnatic qui est venu vers nous en premier lieu et avec une approche très saine. Il a été clair dès le début qu’ils ne recherchaient pas une équipe académie mais un partenaire de niveau équivalent. Une vision partagée qui a permis de construire un partenariat sur de très bonnes bases. Notre entente dépasse largement le prêt de joueurs, avec de la communication des deux côtés, l’organisation de bootcamps communs, la mise en relation de nos staffs, la diffusion des matchs Fnatic par ZeratoR et HyP et peut-être même un peu d’événementiel.
Honnêtement, nous n’étions vraiment pas chauds à l’idée de nous lier à un club VCT quand nous avons vu les annonces de Riot. C’est probablement prétentieux à dire aujourd’hui, mais tant pis : nous comptons bien finir en VCT le plus tôt possible. Notre rôle n’est clairement pas celui d’une académie ; nous existons pour battre ces équipes.
Fnatic est un super club et depuis longtemps. Je pense que c’est un super partenariat qui va nous faire progresser, permettre à Fnatic de renforcer son image en France et de commencer à nous faire connaître à l’international.
— FNATIC (@FNATIC) January 18, 2024
Partages-tu l'opinion selon laquelle cela pourrait être perçu comme une équipe A et une équipe B ?
Oui, je comprends tout à fait cela car j’imagine que c’est le cas pour 99 % de ces liens entre équipes VCT et Challengers, qui se basent uniquement sur la possibilité de piocher un joueur en Challengers en cas de besoin. Mais nous ne sommes pas dans cette configuration.
Récemment, Karmine Corp a effectué une levée de fonds. Penses-tu que c'est nécessaire pour un club qui souhaite évoluer et grandir ? Avez-vous l’intention de suivre ce pas que de nombreuses structures ont franchi ?
Karmine Corp est une exception à tous les niveaux et ils font un super travail. Cette levée est peut-être pertinente dans leur cas précis, je n’ai pas encore assez de recul pour en juger.
De manière plus générale, franchement non, je pense que notre milieu s’est totalement perdu ces dernières années avec des levées de fonds à répétition et de la spéculation sans fin. Une levée de fonds n’est pas anodine ; cela sous-entend de céder une partie de son club à un investisseur. Cet investisseur, lorsqu’il donne 1 €, veut en récupérer 5. Et en général, il n’est pas aussi passionné que nous. Cela booste les clubs à très court terme mais, si la rentabilité n’est pas là, cela peut vite les détruire à petit feu de l’intérieur. Et plus un club fait de levées de fonds, moins son fondateur a de parts. D’autant plus que franchement, est-on vraiment certain qu’un club dans lequel on investit 5 M€ en 2024 vaudra 20 M€ de plus dans 3 ou 5 ans ? J’ai plutôt le sentiment qu’on s’est enfermé dans une bulle avec des investissements irrationnels ces dernières années, qu’on a fait artificiellement monter la valeur des slots et des clubs. Et les bulles, hélas, finissent par éclater, laissant beaucoup de monde sur le carreau.
Je crois très fort dans notre secteur, je suis persuadé qu’il va continuer à se développer et rapidement, mais il ne faut pas non plus brûler les étapes et tomber dans la spéculation à outrance. Et puis, je ne suis pas pressé de voir tous les passionnés être remplacés par des financiers.
Beaucoup d’équipes françaises de haut niveau ont été fondées par des personnalités connues. Est-ce le seul modèle économique viable aujourd’hui ?
Le seul non, heureusement, mais je pense que c’est vraiment un énorme avantage. Construire un club à partir de rien, sans l’aura d’une personnalité, demande beaucoup de temps, d’investissements, des génies de la communication et du succès au niveau sportif pour finalement se construire une fanbase petit à petit. C’est possible mais c’est évidemment beaucoup plus difficile et plus long.
Après, il y a aussi un enjeu pour ces clubs de créer leur propre identité et leur propre fanbase, indépendamment du streamer qui est derrière. C’est un travail de longue haleine mais indispensable pour le succès du club à long terme.
À quel point la présence et la popularité de ZeratoR aident-elles l’équipe à signer des sponsors ?
Cela aide beaucoup ; les audiences de ZeratoR sur les réseaux sociaux et à chaque match sont très importantes et sans lui, le club ne pourrait pas évoluer à ce niveau de sponsoring. Cela a aussi permis au club d’avoir des fans dès la première heure et surtout une identité propre. ZeratoR a sa propre façon de commenter, de vulgariser, de tourner en dérision et de mettre du fun dans n’importe quelle situation. Cela pose tout de suite l’identité de l’équipe et il y a d’ailleurs grandement contribué dès le départ, notamment en suggérant le tag MDR que peu d’équipes se seraient autorisées à prendre.
Malgré le grand nombre de licenciements chez Riot Games, es-tu serein pour l'avenir ?
Il est trop tôt pour voir si cela aura un impact, mais je pense que cela ne rassure personne. Après, nous ne paniquons pas non plus ; Valorant est un jeu majeur pour Riot, je les imagine mal l’abandonner ou le mettre en difficulté.