Au moment où les consoles de salon sont de plus en plus puissantes, elles ont un impact notable, de différentes manières, à la fois sur la place des jeux vidéos sur PC et celle des Jeux de Stratégie en Temps Réel (RTS) de manière générale.

Electronic Arts Los Angeles (EALA) est un studio qui est confronté aux deux phénomènes, notamment avec Command & Conquer. Le Directeur du studio Sean Decker, interviewé par GamesIndustry.biz, parle de ces deux sujets, et explique pourquoi tout le monde ne veut pas du mode multi-joueurs.

 

 

GamesIndustry.biz : Commence se passent les affaires à EALA ?

Sean Decker: Bien, très bien, nous avons beaucoup de gens qui travaillent sur beaucoup de choses très intéressantes, évidemment Command & Conquer qui est ce que nous avons montré à la GamesCom. Je suis au studio depuis 4 mois désormais, j'étais manager général chez DICE, donc je m'en rends compte.

Ils ont fait de très bons jeux Command & Conquer au fil des ans, donc arriver comme moi à la moitié d'un jeu, en voyant les choses comme elles sont, c'est fantastique.


GamesIndustry.biz : Pourquoi avoir quitté DICE, c'était quelque chose que vous vouliez faire, ou est-ce que l'entreprise vous a suggéré que vous seriez meilleur à LA?

Sean Decker : Un peu des deux, ma famille est américaine et nous vivions en Suède depuis 6 ans. Ca faisait longtemps, mais l'autre élément est que mon rôle original chez EA était en rapport avec Westwood; Command & Conquer était la première franchise sur laquelle j'ai jamais travaillé. Bien sûr j'ai fait des shooters à DICE, et d'autres jeux qui correspondent au portefeuille EALA.

GamesIndustry.biz : Il y a beaucoup de diversité dans les jeux qui sortent d'EALA, comment sentez vous que celà montre les talents du studio ?

Sean Decker : Oui, en effet. EALA résulte de la fusion de trois studios différents: Dreamworks, Westwood et enfin le studio EA d'origine qui était aussi là, et c'est de là que vient tout ce talent. Bien sûr c'était il y a longtemps et des gens sont arrivés, d'autres sont partis, mais je pense que c'est un excellent mélange.

J'ai adoré le travail chez DICE et je suis prêt à y rétourner, mais c'est très centré sur les jeux à la première personne (que ce soit Mirror's Edge, Battlefield, ou quoi que ce soit d'autre), et c'est sympa de changer un peu. Pour les gens qui sont super créatifs c'est génial d'essayer quelquechose qui est un peu différent, et de se rendre à plein d'endroits différents pour faire celà.

Donc c'est un bon site, et le campus héberge aussi EA Mobile et EA Play, il y a beaucoup de talents créatifs dans les parages, et c'est bien pour lui.


GamesIndustry.biz : Avec tous les studios dans le monde, échangez-vous beaucoup de technologies ?

Sean Decker : A l'intérieur des studios, çà ressemble beaucoup à une ville-état, où vous choisissez ce que vous aimez, et travaillez avec les gens avec qui vous vous entendez le mieux. Aucun technologie n'est parfaite, et EA a déjà connu quelques succès et quelques échecs.

Il y a ce système appelé Ant, qui a été développé à l'origine par les équipes des jeux de sport pour les animations de qualité qu'ils font dans FIFA et NHL. Beaucoup d'autres studios ont adopté cela dans leurs technologies, ce n'était pas quelque chose que quelqu'un nous a dit un jour de faire, c'est littérallement que que quelqu'un l'a vu, a trouvé cela sympa et a voulu y jeter un oeil.

Tout le monde l'adore maintenant, et la plupart des gens l'utilisent. Je pense que la plupart des jeux que vous verrez sortir dans les deux ou trois prochaines années auront du Ant a l'intérieur quelque part, mais ce sont les "sportifs" qui ont commencé la technologie et les autres l'ont réutilisée. Je pense qu'il y a beaucoup de partages très constructifs, mais c'est fait sur la base du volontariat.

Si vous regardez les technologies que chaque studio utilise, tout le monde a des préférences en matière de goûts, qui correspondent à leurs styles de jeux. Les développeurs de Dante et Dead Space utilisent Le Parrain et le moteur original du jeu. Beaucoup de gens utilisent Unreal, à DICE nous avions créé le moteur Frostbite parce que c'est quelque chose que nous voulions pour Battlefield... vous faites ce que vous voulez, mais vous pouvez en quelque sorte le voler à tout le monde.


GamesIndustry.biz : Avec des coûts de développements aussi élevés qu'aujourd'hui, ce doit être une bonne façon de les réduire ?

Sean Decker : Le cout réduit est vraiment un plus, mais d'un autre côté vous ne voulez pas à la fin de votre journée avoir passé la moitié de votre temps a créer des technologies, vous voulez le passer a créer un jeu. Si vous avez un artiste qui peut s'asseoir là et créer du contenu rapidement, et passer son temps à faire du travail créatif, a l'opposé de quelque chose qui n'arrive pas au bout... Dans ce cas, ce n'est plus du travail, c'est de la frustration, et à partir de là ils n'arrivent plus à obtenir ce qu'ils veulent faire et se demandent ce qu'ils sont venus faire chez EA.

Je pense que c'est vraiment en rapport à çà, je ferais le rapport coût/bénéfices un jour, mais ce n'est pas aussi bien que les gens peuvent le pensez. Souvent, quand vous prenez une nouvelle technologie, vous devez l'apprendre. Mais une fois que vous la maitrisez, et qu'elle est stable, c'est fantastique pour les designeurs, les artistes, et tout le monde.


GamesIndustry.biz : Vous êtes arrivés à EALA après que les mesures de réduction des effectifs se soient terminées, est-ce que tout s'est calmé maintenant ?

Sean Decker : Ca fait maintenant 15 ans que je travaille dans l'industrie du jeu vidéo et je ne l'ai jamais vu statique, elle est toujours en changement. Si vous réusissez, vous êtes en croissance et sinon, vous ne l'êtes pas. Tout revient à cela au final, et nous sommes heureux de fonctionner à notre taille actuelle, et d'être sur les titres sur lesquels nous travaillons.

Si les choses se passent mieux et que nous travaillons bien, nous connaîtrons à nouveau probablement la croissance... sinon ce ne sera pas le cas.


GamesIndustry.biz : Comment voyez-vous les ventes sur la plateforme PC en ce moment ?

Sean Decker : Et bien, c'est un peu comme l'industrie de la musique quand on en vient aux ventes de CD. Il y en a encore beaucoup, mais elles se déplacent, et c'est tout. Chez DICE, Battlefield: Heroes est un exemple, tout est vraiment dans la recherche de la façon dont laquelle le joueur veut obtenir les jeux auxquels il veut jouer - tout revient à çà.

Ils veulent l'avoir directement à la maison et le télécharger? Très bien. Ils veulent l'acheter dans un magasin? Très bien. Nous devons être présents aux différents endroits. Je pense que c'est la loi du marché... Je suis un grand amateur de nouvelles technologies, j'adore les gadgets, et je pense que la distribution numérique quelle que soit la forme qu'elle prendra sera le futur. Est-ce que ce sera demain ? Non, mais je pense que c'est de cette façon que les joueurs obtiendront leurs jeux à terme.

C'est pareil pour la console, quand on y regarde de près, ils font des jeux à la demande maintenant, et je pense que les jeux en boite sont encore un bon marché pour quelques années sur le PC... mais au final tout se fera en ligne.


GamesIndustry.biz : Comment voyez-vous la scène du jeu PC en ce moment ? Il y a des gens qui disent qu'elle est mourrante, mais il y a toujours des genres et des franchises qu'on ne retrouve sur PC...

Sean Decker : Ca ne fait que se déplacer, l'argent se déplace d'un endroit sur le PC, vers un autre sur le PC. Les revenus des ventes numériques ne cessent de croitre année après année. Les MMO, les plateformes comme Pogo, se débrouillent très bien, et il y a aussi le marché Asiatique qui est presque exclusivement PC.

Donc oui, c'est un peu exagéré de dire que le marché est mourrant...


GamesIndustry.biz : En regardant les RTS, peut-être que le genre a été un peu désservi ces dernières années, mais il y a quelques acteurs clés qui sortent leurs produits dans les 6 prochains mois... est-ce la renaissance du genre, ou juste une coincidence de plannings ?

Sean Decker : Je pense qu'il y a un peu des deux, il y a quelques studios fantastiques qui font de superbes jeux RTS, et je pense que Command & Conquer a été un gage de qualité année après année. Je pense que vous continuerez à le voir, que ce soit sur console ou sur PC, c'est un retour aux sources et aux attentes de l'utilisateur.

Le marché des RTS est un grand marché et je pense qu'il continuera a l'être, et je pense que certains de nos concurrents sortent de gros titres également. Plus les gens seront intéréssés et joueront aux RTS, meilleur ce sera pour nous.


GamesIndustry.biz : Les FPS se sont appropriés l'espace de la console comme un des leurs, mais quelles sont les barrières pour que les RTS fassent aussi le grand saut, et est-ce que vous pensez que çà arrivera un jour ?

Sean Decker : Je pense qu'il y a eu quelques bonnes tentatives, mais personne n'est arrivé là où il voulait aller. Je pense que la plus haute barrière est l'aspect temps réel, et aussi l'espace... être capable de contrôler plusieurs unités à travers un univers qui n'est pas forcément visible a l'écran, ca a toujours été le gros problème, et il n'y a jamais eu de solution évidente que tout le monde ait adoptée.

Je pense que les gens continueront à essayer d'y parvenir.


GamesIndustry.biz : Est-ce que quelqu'un y parviendra ?

Sean Decker : Et bien, si on prend l'exemple des FPS, au final quelqu'un y est parvenu, donc je pense qu'un jour çà arrivera.

GamesIndustry.biz : Le marché des FPS est maintenant très mûr et dispose d'une longue histoire, ayant travaillé sur Battlefield vous êtes conscient qu'il est de plus en plus dûr d'innover sur celui-ci. Il y a les mêmes défis à relever pour Command & Conquer dans le monde des RTS, n'est-ce pas ?

Sean Decker : Je pense que c'est ce que nous faisons avec Command & Conquer 4. Quand Westwood a commencé dans le genre, a partir de Dune 2, il y a eu des basiques, des règles que les gens ont apporté, comme la récolte de ressources et les batîments, et pour sortir de ce cycle, vous devez vous extirper de certains de ces préjugés sur les RTS que les gens pensent obligatoires.

Par exemple, Battlefield partait du principe de prendre 64 personnes, de les lancer sur une aire de jeu et de voir ce qu'ils voulaient faire. Si vous pensez à Command & Conquer 4, nous prenons beaucoup de ces préjugés et les lançons par la fenêtre, vous êtes maintenant vraiment seul à contrôler la bataille, et tout est basé sur le mouvement, a l'opposé du Récolteur de Tiberium, etc.

Nous pensons à la Première et à la Seconde Guerre Mondiale; la première était celle des tranchées, des positions fixes, et c'est la même chose dans Command & Conquer. La seconde était basée sur la guerre éclair, le mouvement permanent, et c'est dans cette direction que nous voulons aller. Vous ne savez pas où est l'adversaire, il n'est pas à un endroit que vous puissiez déterminer à l'avance.

Ce sont les choses comme çà, et la progression du joueur, qui répondent au besoin du joueur de posséder sa manière de jouer. Avec le mode multi-joueur, dans le passé, c'était victoire ou défaite, maintenant c'est davantage dans la manière de faire des joueurs, l'expérience qu'ils ont accumulée, peut-être qu'ils débloqueront quelque chose pour pouvoir rejouer avec une tactique différente...

Il y a beaucoup d'innovations dans Command & Conquer 4 pour le moment et je pense que vous continuerez à nous voir innover année après année.


GamesIndustry.biz : Equilibrez-vous les besoins du joueur solo par rapport au multi-joueur ?

Sean Decker : A l'heure actuelle la majorité de nos joueurs jouent seuls, mais une qu'ils auront fini le jeu, environ 40% iront jouer en ligne. Donc je pense que vous avez besoin de respecter les deux types de joueurs, et c'est la même chose pour les FPS. La grande majorité des gens vont finir la campagne, puis environ 40% iront jouer en ligne.

Les consoles ont beaucoup progressé sur l'aspect jeu en ligne... sur XBox Live, vous pouvez collecter tout ce que vous avez fait, et il est très simple de vous connecter, en donnant simplement votre ligne et votre compte. Nous devons atteindre ce niveau d'accessibilité pour les joueurs PC pour et leur trouver davantage de raisons de jouer.

Quand vous réfléchissez aux raisons qu'ont les joueurs de jouer, il n'y en a pas beaucoup, il y a des gens qui aiment la compétition, d'autres qui aiment la co-opération et veulent jouer avec leurs amis, il y a des joueurs qui sont des collectionneurs et qui veulent tous les hauts-faits et récompenses... et chacun à ses motivations pour aller jouer en ligne, et la question est, pouvez-vous proposer à cette personne ce qu'elle veut ?

Jusqu'à présent nous avons fourni quelques unes de ces réponses, mais pas toutes, et c'est ce que nous voulons essayer de faire, et faire.


GamesIndustry.biz : Vous attendez-vous à voir ce chiffre de 40% augmenter dans le futur, est-ce inévitable ?

Sean Decker : Je ne pense pas que ce le soit, parce qu'il y a beaucoup de gens qui n'aiment pas jouer en ligne. Ils veulent rentrer chez eux et jouer seuls 20 minutes et s'amuser seuls, sans que personne ne vienne interrompre leur plaisir.

Et puis ensuite, ils doivent mettre leurs enfants au lit par exemple. Il y a un certain nombres de gens qui veulent jouer de cette façon, et il y a beaucoup de gens qui veulent juste oublier leur journée de travail.

Je pense qu'essayer d'arriver à un consensus où tout le monde jouera en ligne est possible... Mais avoir un jeu en mode connecté est différent d'un mode multi-joueur, si vous jouez à un MMO mais y jouez sans vous mélanger avec les autres joueurs, vous jouez en mode connecté mais vous ne jouez pas vraiment avec les autres.

Donc, un jeu en mode connecté ? Oui, je pense que tout le monde y viendra au final, et c'est une bonne façon pour que les gens jouent d'où ils veulent, qu'ils soient chez eux, au travail, etc.

 

DICE : EA Digital Illusions Creative Entertainment, le studio Suédois d'Electronic Arts Mirror's Edge, et la Série des Battledfield.

 

Westwood : Studio à qui l'on doit tous les Command & Conquer jusqu'à Red Alert 2 : La revanche de Yuri, avant qu'Electronic Arts ne le ferme en Mars 2003.