Hearthstone, Vainglory, Clash Royale... Où s'arrête l'esport aujourd'hui ?

 

Pour certains, l'esport, ça restera toujours une bande de quinze potes qui montent leur PC sur roulettes pour se retrouver dans une salle mal éclairée et faire quelques duels de Quake ensemble, un rendez-vous musclé sur la bande sonore d'"Il était une fois dans l'ouest". Pour d'autres, ce sera assister dans un stade de foot de 50 000 places à une finale de League of Legends. D'autres encore se contenteront de monter le ladder d'Hearthstone bien confortablement installés avec leur tablette dans un bon fauteuil et avec un petit verre de schnaps. Par-delà les années et les générations, l'esport a évolué, et à chaque nouvelle étape, de nouvelles questions se sont posées. Ce jeu est-il esport, qu'est-ce qu'on appelle l'esport ? A l'heure où le gouvernement s'intéresse à la discipline pour l'encadrer et la réglementer, la question se pose plus que jamais de correctement définir l'esport. Où cela commence et s'arrête-t-il, quelles limites fixe-t-on à ce mot, quels jeux peut-on inclure dans la catégorie "esport" ? Ouvrons le débat.

 

Une LAN-party de Quake en 1998

 

Cherchons une définition

 

Le sport électronique (en anglais esport ou e-sport pour « electronic sport ») désigne la pratique sur Internet ou en LAN-party d'un jeu vidéo obligatoirement multijoueur, par le biais d'un ordinateur et consoles.

 

Si on s'en tient à cette définition très pragmatique tirée de Wikipedia, on se simplifie la vie et on élimine pas mal de questions qui ont pourtant fait couler de l'encre. Notons toutefois qu'elle ne solutionne pas toutes les inconnues puisqu'on y évoque uniquement les ordinateurs et les consoles et non l'utilisation de tablettes ou de téléphones. Que dire dans ce cas de jeux comme Hearthstone ou encore de Vainglory, ce MOBA développé uniquement pour tablettes dont les championnats d'Europe ont eu lieu en ce mois de mars 2016 ?

 

Competitive tournaments of videogames, especially among professional gamers.

 

Sur Dictionary, on relève un autre aspect, celui de joueurs professionnels. Un jeu serait-il donc considéré comme esport dès lors qu'un ensemble de personnes est payé pour y jouer et donc catégorisé comme professionnels ? Considère-t-on des joueurs professionnels comme des personnes qui se consacrent à temps plein au jeu et parviennent à en vivre ou doit-on se poser la question de l'encadrement légal ? En réalité, aujourd'hui, aucune définition du mot "esport" n'a réellement obtenu un consensus de la communauté, et il sera loin d'être aisé de trouver la solution pour ces chers membres de l'Académie française quand il devra être ajouté au dictionnaire. Une réunion de plusieurs têtes pensantes issues du milieu ne suffirait probablement pas à mettre un point final à un débat qui va continuer de secouer les langues pendant encore quelques années. Intéressons-nous donc à des exemples.

 

 

Le cas Hearthstone

 

Comment ne pas l'évoquer ? Depuis son arrivée dans la compétition, le célèbre jeu de cartes a divisé la communauté. Esport, pas esport ? En cause, le facteur "chance" qui joue un rôle trop important : si statistiquement, le joueur peut sécuriser un ratio de victoires représentatif de son niveau après 1000 games, l'aléatoire est loin d'être négligeable dans le Bo5 d'un tournoi. Combien de fois n'a-t-on pas entendu cette expression "Il a une sortie porno, je ne peux rien faire" ? Peut-on considérer que deux joueurs commencent à armes égales parce qu'ils ont construit eux-mêmes leur deck, ou doit-on prendre en compte les mains de départ aléatoires des deux joueurs pour justifier le déséquilibre provoqué par l'aléatoire ?

 

Une partie contre un chasseur s'annonçant compliquée sur les bases de la RNG

 

Ce facteur chance n'est pas absent dans d'autres jeux, ou même dans le sport. Sur League of Legends, World of Warcraft ou encore Dota 2, les pourcentages de coups critiques suivent un algorythme qui stabilise les chances mais n'excluent pas l'aléatoire (plus on rate, plus on a de chances de réussir un coup critique au prochain essai selon le pourcentage initial). Sur StarCraft II, les positions de départ des deux joueurs modifient considérablement la configuration de la partie selon le match-up. On pourrait également évoquer le cas de Shootmania où la même roquette va rater ou toucher uniquement sur de la chance suite aux hitbox relativement défectueuses.

 

Au football ou encore au tennis, l'impact du vent est un facteur non négligeable que les joueurs doivent prendre en compte dans leur manière de jouer. Tels des tennismen ayant appris à jongler avec le vent en augmentant leur force de frappe et en réduisant donc les effets dans la balle, il est possible de dompter l'aléatoire dans Hearthstone dans la construction de ses decks pour n'être dépendants que de la pioche. En réalité, les joueurs choisissent volontairement la part d'aléatoire qu'ils souhaitent inclure dans leur deck dès la constitution de ce dernier, en dosant le hasard d'un mulligan comme décisif ou non.

 

Mais la comparaison est trop faible et il reste évident qu'aucune autre discipline sportive ou esportive ne donne une telle importance aux probabilités et à la chance. Seul exemple similaire, le poker, maintes fois cité dans le débat. Malgré tout et qu'on le veuille ou non, Hearthstone, qui s'apparente donc d'avantage à un jeu de cartes, s'est imposé dans l'esport par la force et y règne aujourd'hui comme l'un des plus populaires. Pourquoi ?

 

 

Le facteur économique 

 

Si la conception même d'un jeu peut l'éliminer de la course à l'esport, d'autres facteurs peuvent le repêcher et le remettre sur les rails. Ainsi, la réussite statistique d'un jeu peut le rendre esport par convention générale, et Hearthstone en est le meilleur exemple. Foufouman, joueur professionnel du TCG, nous livrait d'ailleurs cette réponse lors d'un précédent dossier.

 

Je pense que pour qu'un jeu soit considéré comme esportif, il y a juste besoin de l'existence d'équipes, de compétitions, et d'un support numérique.

 

Ce n'est ni le choix de l'éditeur du jeu, ni le montant des cashprize, mais bien l'impulsion de la communauté qui peut déterminer si un jeu a sa place dans l'esport ou non. Si sur le papier, Hearthstone ne réunit pas les caractéristiques d'un jeu esport, l'engouement autour de la licence est tel que les meilleurs arguments, soient-ils justifiés ou non, seront noyés dans l'effet de masse. Dextérité, coordination d'équipe, temps de réaction, vigilance et précision, mécaniques de jeu uniques... Telles sont les caractéristiques d'un jeu esport selon la définition de Wikipédia précédemment citée. On pourrait aussi ajouter la visibilité pour le public, la simplicité visuelle du jeu, la nécessité de s'entraîner à réaliser certains mouvements... Et pourtant, ce qui compte au final, c'est que des structures et des compétitions faisant de l'esport intègrent le jeu à leur panel et l'y associent.

 

Le fait est que quelle que soit l'issue d'une licence, sa réussite ou son échec sont souvent brutaux. Prenons l'exemple d'Infinite Crise, ce MOBA développé par Warner et destiné à révolutionner le genre en apportant une réelle alternative à League of Legends, et en prenant par la même occasion la place qu'un Heroes of the Storm ne parvenait à s'offrir. Réunissant toutes les caractéristiques esport, le jeu a coulé en quelques mois, faute d'intérêt de la communauté. Son échec économique l'exclut irrémédiablement du droit à la dénomination de jeu esport. Le même scénario s'est produit pour Command & Conquer, qui visait à redonner un nouveau souffle au genre RTS et à proposer autre chose que StarCraft II aux fans du genre. Annoncé à l'E3 2013, C&C était conçu en free-to-play, le premier du genre dans le monde élitiste des RTS. Si cette idée partait d'une bonne intention, les développeurs n'ont pas su apporter suffisamment d'originalité au mode multijoueur pour conserver une base suffisante de joueurs, et ont de surcroît délaissé la campagne qui aurait permis de réunir les anciens fans de la saga. Le jeu n'a jamais atteint le stade de la bêta.

 

Annulation de Command&Conquer et fermeture du studio Victory Games

 

Dernier exemple en date, Rainbow Six : Siege, déjà en passe de faire un flop esport malgré toutes les attentes. En cause, un manque évident de visibilité pour le spectateur provoquant une chute libre de la popularité de l'opus auprès des non-joueurs. La recette d'un jeu esport est donc très compliquée : il ne suffit pas de réunir toutes les caractéristiques propres à la compétition électronique pour gagner sa place dans cette bulle. L'esport est à un tournant de son existence, et les joueurs sont très exigeants et habitués à des standards relativement élevés. Les choses sont pourtant en passe de changer, et l'esport de demain pourrait avoir un sens très large et multiplier ses plateformes.

 

 

L'avenir de la tablette

 

 

Nous vous parlions de Clash Royale, mais il n'est qu'un arbre dans la forêt des jeux développés sur tablette et cherchant à se faire une place dans l'esport. Cet automne, Mediapixel, une équipe grenobloise, remportait 10 000$ aux finales européennes du championnat de Vainglory à Katowice. Vainglory est le League of Legends du mobile : disponible sur Android et iOS, ce MOBA en free-to-play se joue uniquement sur tablette et oppose deux équipes de trois joueurs. Réunissant toutes les caractéristiques d'un MOBA, sa seule différence est bien entendu son gameplay tout tactile se passant de l'utilisation d'une souris et d'un clavier.

 

Finale des championnats d'Europe de Vainglory à Katowice

 

On le sait, les PCistes n'aiment pas trop qu'on vienne envahir leur petit monde. Les joueurs console ont eu du mal à se faire une place dans le monde de l'esport et la déclaration de Broken sur l'aide à la visée n'a certainement pas aidé les assidus de Call of Duty à ne pas être la risée de la communauté quelques mois supplémentaires. Avec le temps, les mentalités ont changé, et des licences comme CoD, Halo ou encore FIFA ont été admises au bal. Qui plus est, Microsoft vient d'annoncer sa volonté de tenter l'expérience cross-network, rapprochant ainsi un peu plus les deux mondes. Ne pourrions-nous pas envisager dans un futur proche une compétition d'esport avec un joueur sur PC affrontant des joueurs sur Xbox ou PlayStation ? Face à cette incroyable évolution, qu'est-ce qui empêcherait les licences sur tablette de prendre également une part du gâteau ? On est bien loin des bras de fer Quake sur des écrans en 50Hz des débuts.

 

 

Qui tranchera ?

 

Le débat pourrait durer dix ans et envahir les forums ou autres commentaires de sites d'actualité pour chaque compétition sur une nouvelle licence. A moins qu'il ne trouve ses réponses en 2016, avec l'arrivée d'une législation précise pour l'esport et de règles imposées par le gouvernement pour définir d'un jeu s'il a le droit ou non de faire partie du monde du sport électronique. Ce matin avait lieu au Meltdown Paris la remise du rapport sur l'esport. Jérôme Durain et Rudy Salles, invités d'O'Gaming mardi soir, ont passé le flambeau à Axelle Lemaire, Secrétaire d'Etat chargée du Numérique et en charge de la #LoiNumérique. Si de nombreuses questions ont été le coeur du débat mené par Hadrien "Thud" Noci ce mardi, le sujet de cet article n'a pas été abordé et restera une problématique essentielle. Pour pouvoir réglementer l'esport, il faudra être bien conscients de ce qu'il englobe, afin que ce ne soit plus à la communauté de décider elle-même. Hearthstone, esport ou pas ? La réponse pourrait venir du gouvernement., ou elle pourrait venir d'un collège d'experts comme recommandé par les deux parlementaires précédemment cités.


En attendant, tâchons de répondre nous-même à cette question. Pour vous, c'est quoi un jeu esport ?