Légende française des FPS à la carrière exceptionnelle sur Overwatch et Shootmania, Terence « SoOn » Tarlier a pris la décision de se lancer sur VALORANT. Entretien.

Shootmania, Overwatch et maintenant VALORANT

SoOn, joueur français ayant fait la gloire de *aAa* sur Shootmania et de Rogue, Los Angeles ou encore Paris sur Overwatch, avait rejoint l'équipe de Boston pour la prochaine saison d'Overwatch League. Malheureusement, la pandémie de COVID-19 est passée par là et l'obtention de son visa n'a pu être possible, contraignant les Boston Uprising à se séparer de lui.

Après une longue réflexion, Terence « SoOn » Tarlier a pris une décision plus qu'importante : il met un terme à sa carrière sur le titre de Blizzard pour se lancer dans le monde de Riot Games, sur le jeu VALORANT. La rédaction vous propose un long entretien avec le champion tricolore afin de revenir sur son parcours et d'aborder son avenir.


Une photo qui rappellera des souvenirs aux fans d'Overwatch - (c) Rogue

team-aAa.com : En 2017, tu fais partie de la dreamteam française chez Rogue. Es-tu encore en contact avec tes anciens coéquipiers ?

Terence « SoOn » Tarlier : Oui bien sûr, on est restés tellement longtemps ensemble qu'on est devenus potes, on a un Discord commun et on passe de bons moments ensemble. Par exemple je vais bientôt participer à un tournoi Shootmania pour le fun avec uNKOE, j'ai eu des nouvelles d'aKm, de NiCOgdh aussi, il est toujours sur Overwatch donc c'était facile d'avoir de ses nouvelles. J'ai perdu un peu de vue winz et KnOxXx car ils sont désormais loin de l'esport, c'est plus dur d'avoir de leurs nouvelles, mais sinon on reste en contact.

Gardes-tu un bon souvenir de cette époque ?

Je n'ai que des bons souvenirs, peu importe où je jouais, mais chez Rogue c'est là où j'ai tissé le plus de liens.

Tu n'aurais pas une petite anecdote à nous raconter au passage ?

Il y a pas mal d’anecdotes (rires). Il y en a une qui me vient en tête, je me souviens qu'avec Rogue on venait de se faire éliminer de l'APEX Saison 3 en Corée après notre dernier match de poule (les vrais se rappellent que c'était super serré, les deux premiers ont été en finale) en mai 2017, et derrière on contacte les organisateurs de la TaKeOver 2 en Allemagne pour y participer. Ils prennent nos billets d’avion mais le vol est tôt le matin. Du coup Lanf3ust (manager de l’époque ; ndlr) propose d’aller en soirée avec aKm, de ne pas dormir, et comme ça on sera fatigués pour pouvoir ensuite dormir dans l’avion (car il y avait pas mal d’heures de vol). Etant donné qu’il n’y avait rien à faire, je me dis que je vais les suivre… On fait la soirée, on visite les rues, on fait la tournée des bars et arrive le moment où il faut aller à l’aéroport. On cherche donc un taxi, on rentre dedans, on prend la route et là Lanf’ nous regarde et dit : “Mais attends, problème là !” En fait les mecs ont pris nos billets pour le 27 juin alors qu’on était le 27 mai, ils se sont trompés d’un mois (rire). Lanf3ust il était en panique totale, ça l’a bien réveillé après la tournée des bars, il a dû chercher à contacter quelqu’un du staff en Allemagne alors que c’était la nuit là bas, il a bien galéré pendant qu’aKm et moi se foutait de sa gueule. Finalement on a pu avoir le vol, ils ont géré ça rapidement.

Mais l’histoire n’est pas finie, deuxième anecdote ! Plus tard, une fois en Allemagne, je récupère sur la route aKm pour qu’on se rende au tournoi et il rigole en me disant : “Oh tu devineras jamais, quand je suis arrivé à l’aéroport j’ai pris le Uber et j’ai oublié mes lunettes dans la voiture.” C’était impossible qu’il s’en refasse faire dans un si court délai, il a dû jouer le tournoi sans (rires). Mais on a réussi à gagner le tournoi malgré le fait qu’il ne voyait pas grand-chose.
 
Où vivais-tu avec Rogue ?

On était basés à Las Vegas, Rogue ont toutes leurs infrastructures là-bas, il y a tout ce qu’il faut : appartements, PC pour s’entraîner, etc. Quand j’ai ensuite rejoint les Los Angeles Valiant pour jouer en Overwatch League, j’ai été vivre à Los Angeles, les matchs se déroulaient là-bas dans les studios Blizzard.


SoOn portant les couleurs de l'Equipe de France - (c) Blizzard

Qu’as-tu pensé de la vie là-bas ? 

Pour moi c’était un rêve, quand j’étais petit je voulais voyager. J’avais pu aller aux US en 2016 pour un tournoi mais là j’ai carrément pu aller y vivre, c’était fou. Rogue nous offrait des appartements incroyables avec la piscine sous les fenêtres, il faisait super chaud à Vegas. J’ai moins aimé Los Angeles, qui fait bien moins moderne que Las Vegas, mais vivre aux USA c’est incroyable, surtout quand tu es jeune.

Quand tu jouais pour les Los Angeles Valiant, à quoi ressemblait ton quotidien ?

On avait un appartement pour deux ou trois avec chacun sa chambre. Le matin on allait devant la résidence et l’équipe nous envoyait des Uber pour aller sur son campus à 10 minutes de route, où il y avait une salle d’entraînement, une zone pour déjeuner, etc. On s’échauffait et ensuite on reprenait un Uber pour aller à la Blizzard Arena, qui par contre était quant à elle à une heure de route. S’il y avait du trafic, tu pouvais faire une sieste (rires).

La saison suivante, tu as joué pour Paris Eternal.

Oui mais on vivait encore à Los Angeles car les matchs avaient toujours lieu chez Blizzard. On était dans des appartements très sympas, un peu plus proches du lieu de compétition. C’est à partir de la saison 3 qu’on a commencé à jouer un peu partout dans le monde avec le système de matchs à domicile. On a déménagé dans le New Jersey car c’était plus simple pour organiser les voyages à venir, en Europe et ailleurs.

Qu’en as-tu pensé de ce système ?

On n’a pas eu assez de temps pour juger cette façon de faire, on a eu quelques “homestands” et après le COVID a fait que tout a été annulé. Mais pour avoir joué tous les matchs, je trouve que c’est beaucoup d’organisation pour pas grand chose. C’est très très difficile de s’entraîner. Un exemple : on part à Washington, l’hôtel est très bien. L’équipe qui reçoit est obligée de proposer une zone d’entraînement pour les équipes qui viennent, et elles sont plusieurs pour chaque “homestands”, c’est donc compliqué pour elle de permettre à toutes les équipes de s’entraîner en même temps avec des dizaines de PC. Du coup c’est “6 PC de disponibles pendant deux heures par équipe”. Tu dois donc faire de la route de ton hôtel à leur zone, set up ton matériel etc. et en plus le scrim était imposé, tu ne choisissais pas la team contre laquelle tu jouais. Ce coup-ci on devait jouer contre Chengdu, une équipe qui jouait de manière très atypique, ce n'était pas l’idéal pour nous pour nous préparer aux matchs à venir. Une fois les deux heures passées, une autre équipe arrivait pour s’entraîner, on était repartis pour une heure de retour direction l’hôtel. Bref, le peu d’expérience que j’ai eu je n’ai pas aimé, les trajets sont épuisants et niveau entraînement c’est une galère.

Cela peut causer une baisse du niveau général, non ?

Oui, les équipes étaient habituées à faire leurs propres warm up, et celles qui se déplacent perdent du temps pour s’entraîner. Mais il y avait aussi de bons côtés à cela, tu visites des villes, des pays, tu rencontres des publics différents…

L’OWL est populaire aux USA ?

Ça l'est plus qu’en Europe. Lors des premières saisons c’était notamment très suivi à Los Angeles car les matchs avaient lieu là-bas, mais ça ne l’était pas autant qu’en Chine. 

On t’a déjà reconnu dans la rue ?

Oui, par exemple une fois que j’ai rejoint Paris Eternals, j’ai été vivre dans le New Jersey. J’ai été faire des courses dans un supermarché classique et le mec à la caisse avait un maillot des New York Excelsior. Je me suis demandé s’il allait me reconnaître et effectivement il m’a reconnu.


Terence Tarlier a joué pour Paris Eternal pendant deux ans - (c) Blizzard

Que penses-tu de la gestion du jeu et de l’OWL par Blizzard ?

J’étais un peu inquiet au tout début du jeu lorsqu’ils avaient mis en place le système de lootbox. On pouvait payer des lootboxs alors qu’on pouvait en gagner gratuitement en jouant, j’étais pas fan. Mais depuis quelques temps ils font beaucoup de bonnes choses, ils organisent pas mal de choses pour la communauté, c’est vraiment cool. Concernant l’OWL, je trouve qu’ils ont fait un sacré pari en se lançant dans le système de franchises. Certains aiment, d’autres pas, mais c’est très professionnel, c’est ça qui est plaisant.

Tu peux nous parler un peu de l’aspect financier de la ligue ?

Je ne peux pas dire grand chose, mais le salaire minimum est de 50 000$ annuels bruts il me semble, et le salaire moyen est au delà du double, les salaires sont très bons. Il y a aussi beaucoup d’autres avantages : tu es logé, nourri, etc. Chez Valiant on avait par exemple une cantine et une coach sportive. Et on recevait aussi beaucoup d’aide au niveau administratif de la part de l’équipe.

Penses-tu que le jeu a encore d’avenir ?

Le jeu oui, je n’ai pas de doutes là-dessus. C’est très populaire en Chine et Overwatch 2 devrait relancer la hype, d’autant que y’a des rumeurs qui annoncent son pvp en free-to-play. Concernant l’Overwatch League c’est dur à dire, avec la pandémie tout a changé et de notre côté, les joueurs, on n’avait pas trop d’infos récemment. Par le passé les gars de Blizzard partageaient beaucoup d’infos avec nous, mais il y a eu des fuites donc ils ont freiné la transmission d’infos et ça se comprend. Ces derniers mois ça allait mieux, ils vont peut-être redevenir plus transparents.

Revenons-en à ta situation. Fin 2020, Paris annonce son souhait de ne pas te conserver. Que s’est-il passé ?

Quand la saison s’est terminée, on était en stand-by : tu rentres chez toi et tu attends des news de l’équipe. Au bout de quelques jours, on voit que la situation est très tendue sur le Discord, les joueurs coréens s’en vont, on ne comprend pas trop du côté français (avec BenBest et NiCOgdh ; ndlr). On demande donc au coach NineK (désormais chez les Philadelphia Fusion ; ndlr) ce qu’il se passe, il était très énervé et nous a simplement répondu “allez demander au management”. Il était dégouté. On demande au management, mais toujours pas de réponse claire, alors que les essais dans les autres équipes étaient en cours, on commençait à s’impatienter. Au bout d’un moment ils nous ont autorisés à faire des essais ailleurs, et puis un jour, comme ça, j’ai reçu un message me disant simplement que je n’étais plus dans l’équipe.

Sans explication ?

Non, aucune. Je les ai quand même remerciés parce que je suis comme ça puis j’ai annoncé publiquement que je recherchais une équipe avec Nico et Ben. Pour Nico, ils lui ont dit qu'il n'était pas assez polyvalent alors que c’est l’un des joueurs les plus polyvalents que je connaisse. Pour Ben je ne sais plus, et moi j’ai attendu avant de revenir vers eux pour comprendre, ce n'était pas ma priorité, il me fallait d’abord une équipe. Et au final j’ai posé la question, ils m’ont dit que le COVID a fait qu’ils étaient au max de leur budget et qu’ils ne voulaient qu’un seul Français. Le fait que je sois plus âgé que Tsuna a dû jouer aussi, mais le COVID a fait mal aux équipes.

Tu as donc atterri au sein de l’équipe de Boston.

Lorsque j’ai annoncé que je cherchais une nouvelle team, Ascoft, qui est français et l’un des coachs de l’équipe, me contacte et m’annonce qu’ils sont intéressés par mon profil. J’étais étonné car Boston a la réputation d’être une équipe qui recherche des jeunes talents et les revend par la suite, mais il m’explique le projet et je trouve qu’il claquait : des bons joueurs, un bon staff, des bonnes conditions de vie (pas de gaming house mais une résidence)... J’avais d’autres propositions, mais le projet que me proposait Boston m’a convaincu.

Pour des raisons de visa, Boston a dû se séparer de toi. T’ont-ils aidé ?

Oui énormément, c’est en aucun cas la faute de l’équipe. Dès que j’ai signé, on a rempli les papiers et fait la demande d’entretien à l’ambassade des USA de Paris. Mais depuis début février, à cause de la pandémie, il faut un document qui atteste que tu ne seras pas “dangereux” pour l’économie américaine. Et ce document est surtout fait pour les athlètes de sports traditionnels, où à la limite les joueurs de LCS, mais pour un joueur comme moi, c’était très compliqué de l’obtenir. La situation est assez semblable en Corée, Poko, un autre joueur français, est par exemple bloqué en France et ne peut pas rejoindre son équipe pour des raisons aussi liées au COVID. C’est un peu partout pareil, c’est compliqué d’avoir un visa actuellement. T’es européen pendant cette période ? Mauvais endroit au mauvais moment. Pas de chance.

Niveau contractuel, comme cela va se passer pour toi ?

De février à avril il s’est passé beaucoup de choses, beaucoup de mails, beaucoup de coups de téléphone, on a essayé de savoir avec l’ambassade et les avocats de Boston s’il y avait des solutions. Durant cette période j’étais toujours sous contrat, j’étais présent pendant les entraînements etc. J’étais censé être rémunéré mais pour l’instant les salaires sont bloqués car Boston, en tant qu’entreprise américaine, ne peut me les verser tant que je n’ai pas de visa. Ma situation de joueur étranger sans visa est vraiment compliquée, mais il y a toujours des solutions.

Tu n’aurais pas pu jouer à distance ?

Non, le règlement de l’Overwatch League interdit aux joueurs sans visa de jouer dans des équipes américaines. A l’inverse, les équipes basées en Europe comme Paris ou Londres, peuvent jouer en dehors des US car elles sont basées là-bas. Je n'ai pas eu de chance.

Beaucoup de joueurs Overwatch sont partis sur Valorant l’an passé, mais toi non. Pourquoi ?

J’y ai beaucoup réfléchi, mais je me suis dit que le fait que Boston et d’autres équipes soient intéressées par moi était une belle occasion de faire encore deux ou trois ans au plus haut niveau, d’autant que je ne suis plus tout jeune et que je joue dans une ligue où les jeunes sont justement recherchés. C’était préférable de faire ce choix plutôt que de tout reprendre à zéro sur Valorant, sans aucune garantie. Je comptais donc jouer encore quelques années en Overwatch League puis passer coach ou streamer.

Quelles équipes t’avaient contacté en plus de Boston ?

Je ne pense pas que je puisse en parler, mais il y en avait deux autres.

Une fois que l’histoire s’est terminée avec Boston, as-tu reçu des offres ?

Non car les seules équipes dans lesquelles je pouvais jouer, c’était les équipes européennes et ce sont celles qui ont le moins de budget, et elles étaient déjà complètes. Sans visa, c’était mort pour moi, et même si j’en avais un, ça s’annonçait compliqué car la plupart des teams avaient déjà fait leurs recrutements.

As-tu des regrets quand tu regardes la carrière que tu as eue ?

Non, aucun regret. Je pense que tous mes choix étaient bons, je ne me suis jamais dit “mince, j’aurais dû prendre cette décision”. Peut-être que si je savais que j’allais pas avoir mon visa je n’aurais pas été chez Boston (rires). Mais même chez eux, c’était super, on a passé de super moments ensemble. Franchement je n’ai aucun regret, ma carrière Overwatch ça n’a été que du bonheur.

Et de quoi es-tu le plus fier ?

Ah il y a beaucoup de choses, gagner le Stage 4 de l’Overwatch League en 2018 avec les Los Angeles Valiant par exemple, ou parcourir le monde avec Rogue avant l’OWL, ou encore participer à la World Cup avec la France. Jouer avec des gens que tu aimes bien, rencontrer des personnes et devenir potes avec elles, c’est génial. C’est le côté humain de ma carrière dont je suis le plus fier.

Quel est ton plan pour la suite de ta carrière esportive ?

J’avais deux possibilités : soit rester sur Overwatch et jouer en Contenders et streamer sur mon temps libre, soit tenter de devenir pro sur Valorant. Mais tu ne peux pas choisir sur un coup de tête, il faut vraiment réfléchir. J’ai donc joué énormément à Valorant pour tester le jeu et j’ai adoré. J’ai rejoint Hqrdest et d’autres joueurs OW pour faire quelques games et tenter le qualifier VCT. Résultat : ça m’a vraiment plu, que ce soit au niveau du skill ou de la stratégie, le jeu me convient, je vais donc me lancer dessus. Et puis l’esport “à l’ancienne” me manquait après avoir fait trois ans en Overwatch League. J’ai envie de refaire des tournois, des phases de poules, de pouvoir choisir mes coéquipiers etc. Je ne dis pas que le système de l’OWL ne me plaisait pas, mais l’esport à l’européenne me manquait.

Ça te plairait de jouer avec des anciens Rogue ?

Ils sont déjà cinq chez OG donc ce sera compliqué, mais je sais qu’uNKOE est très content que j’arrive sur Valorant. Et les coachs des équipes ne vont pas être intéressés par moi juste parce que je suis pro sur un autre jeu, c’est à moi de faire mes preuves. Mon objectif est de poncer le jeu, d’être bon mécaniquement et seulement ensuite de gagner de l’expérience de jeu, de maîtriser l’aspect stratégique.

On arrive au terme de cette interview. Merci à toi, on te laisse le traditionnel mot de la fin.

Merci beaucoup pour l’interview, ça faisait longtemps qu’on avait fait quelque chose avec *aAa*. Je remercie aussi toutes les personnes qui m’ont envoyé un message, j’ai même reçu un message de Twitter me proposant un filtre de notifications car j’en recevais trop. C’est que les stars qui ont ça normalement (rires), ça m’a vraiment remotivé, j’étais au fond du trou et en voyant tous vos messages, j’ai retrouvé le moral. C’était énorme. C’est grâce à vous que les joueurs comme moi restent motivés pour faire de la compétition, sans vous j’aurais surement laissé tomber. Merci infiniment.