Après l’élimination sèche de Fnatic lors du Round 2 du Losers’ Bracket du LEC Spring Split face à la Karmine Corp (0-3), le head coach GrabbZ s’est longuement exprimé en live. Bilan critique, remise en question et volonté de changement ont rythmé une prise de parole sans détour.
GrabbZ face à la débâcle : « C’est mérité, on n’a pas bossé »
Quelques jours après l’élimination de Fnatic, Fabian « GrabbZ » Lohmann, entraîneur en chef de l’équipe depuis fin 2024, s’est longuement exprimé en live sur la chaîne Twitch de l’organisation. Durant près de deux heures, il a exposé, sans langue de bois, les failles profondes d’un roster qu’il juge peu impliqué, mal préparé et dysfonctionnel sur le plan collectif. Au fil des séquences, le technicien allemand a livré un état des lieux glaçant du projet Fnatic tel qu’il existe aujourd’hui.
Il commence par une forme d’évidence : cette défaite contre la KC, il la voyait venir. « Pourquoi je n’étais pas surpris par le résultat ? Parce que pour se préparer aux playoffs, il faut travailler d’une certaine manière. Si tu ne le fais pas, tu ne peux pas espérer gagner contre une équipe qui, elle, le fait. » Il pointe directement un décalage entre l’envie affichée de performer et les efforts réels fournis au quotidien. « Je ne pense pas que les efforts jour après jour aient correspondu à l’idée de vouloir gagner. »
Fnatic, un collectif sans énergie : « À part Upset, personne ne peut se regarder dans le miroir »
Le cœur du problème, pour GrabbZ, réside dans l’attitude des joueurs face au travail. « Malheureusement, au quotidien, un ou deux joueurs arrivaient souvent fatigués, à court d’énergie ou sans implication. Et quand tu pratiques comme ça, ton niveau d’équipe chute brutalement. » Il cite une situation révélatrice : lors de certaines drafts, il demandait aux joueurs quels champions ils souhaitaient voir bannis, ou dans quelles conditions ils voulaient jouer une lane. « Quand je posais la question après deux bans, certains me répondaient “je ne sais pas, je peux pick ici je suppose”. Voilà le niveau d’énergie qu’on avait. » Il insiste : seul Upset, à ses yeux, peut revendiquer une implication totale. « Franchement, aucun joueur de l’équipe, à part Upset, ne peut se regarder dans le miroir et dire qu’il a tout donné. »
Ce manque d’investissement s’est manifesté sur tous les plans. Les entraînements n’étaient pas suffisamment encadrés, la dynamique de groupe plombée par l’absence d’écoute mutuelle. « Ce qui est le plus frustrant, c’est que beaucoup d’erreurs sont comprises instantanément... mais trop tard. Un joueur va faire une erreur, et deux secondes après il sait pourquoi c’était mauvais. Mais il l’a quand même faite. » Le coach parle aussi d’un manque de coordination élémentaire : « Il arrive qu’un joueur passe 10 secondes à expliquer un plan, que les autres valident, et qu’une fois en game, l’un d’eux fasse l’inverse sans même avoir capté ce qui était prévu. »
Des leviers limités : « On a demandé, supplié, ça n’a rien changé »
Dans ce contexte, GrabbZ reconnaît avoir peut-être été trop protecteur avec ses joueurs. « Jusqu’à maintenant, j’ai fait attention à la manière de leur parler, parce que certains sont très sensibles. Mais on a un performance coach maintenant, alors ça va s’arrêter. Lui peut être celui qui réconforte, moi je vais pouvoir être plus dur. » Il assume vouloir rompre avec une posture trop conciliante : « On a été trop gentils. Trop confiants. Et ce crédit, il est épuisé. »
Face à l’inaction, le staff a tenté d’alerter, parfois publiquement. « On a beaucoup parlé en interne. On a fait des réunions, encore et encore. À un moment, quand rien ne change, tu fais des tweets pour exposer les problèmes. Parce qu’ainsi les joueurs ne peuvent plus se cacher derrière les résultats de scrims. » Il va plus loin : le prochain levier, c’est le banc. « Quand tu n’as plus de levier disciplinaire, il ne reste que le bench. »
Le manque de structure de l’équipe en est aussi la cause. Fnatic ne dispose plus d’équipe académique, ce qui rend impossible toute concurrence interne. « Si j’avais pu bench des joueurs pendant le split, ne serait-ce qu’en scrim, je l’aurais fait plusieurs fois. Mais on n’a pas cette possibilité. Dans le sport traditionnel, ce genre de système n’existe pas : si tu ne fais pas ce qu’on te demande, tu ne joues pas. Point. »
Les limites de Fnatic : lenteurs internes et absence de responsabilité
GrabbZ dénonce aussi des lourdeurs structurelles dans le fonctionnement global de l’organisation. « Il y a des demandes que j’ai faites en novembre et pour lesquelles je n’ai toujours pas de réponse. Et c’est pour des choses vraiment simples. » Il estime que l’organisation est « gonflée de ressources inutiles dans certains départements » et que cela ralentit tout. Il salue néanmoins certains membres de l'équipe interne, citant notamment Ana, la manager de l’équipe, comme une personne « qui fait bien plus que ce qu’on attend d’elle ».
Mais au sein même du roster, le plus gros problème serait l’absence de prise de responsabilité. « Dans ce groupe, il y a un immense manque de responsabilité en tant qu’humains. On dit tous qu’on veut être les meilleurs, mais quand on voit un problème, on ne le traite pas. Personne ne le relève, ou alors trop tard, une fois que le split est fini et que tout le monde est énervé. » Ce climat mène à l’évitement, au défaitisme et au repli sur soi. « Ce qui revient souvent, c’est “je voulais, mais je ne pouvais pas parce que ceci, cela…”. C’est de la protection d’ego. »
Quel avenir pour Fnatic ? « À part Upset et Mikyx, tout peut bouger »
GrabbZ ne se cache pas : l’effectif actuel n’a rien de figé, et des changements sont possibles. « On évalue tout. Presque chaque poste, à part ceux d’Upset et de Mikyx, est ouvert à la discussion. » Il précise avoir déjà parlé aux joueurs : « La première chose que je leur ai dite après notre élimination, c’est de réfléchir honnêtement : est-ce qu’ils veulent encore être là ? S’ils ne le veulent pas, qu’ils le disent. »
Et pour ceux qui ne veulent pas s’impliquer davantage, la porte est grande ouverte. « Je suis très heureux de les vendre à SK ou BDS. Ils pourront encaisser leur salaire et être médiocres, si c’est ce qu’ils veulent. Mais alors, ils ne doivent plus faire partie de cette organisation. » Il insiste sur le fait qu’être en playoffs, ce n’est pas un aboutissement, mais une base. « Jouer cinq à sept scrims par jour, c’est le strict minimum. Tout le monde fait ça. Ce que je veux savoir, c’est : qu’est-ce que vous êtes prêts à faire en plus ? » La réponse ne l’a pas convaincu. « Je leur ai demandé : que feraient des joueurs de KC ou de G2 pour progresser ? Silence. Pas de réponse. Et ça, ça doit changer. »
Pour l’été, pas de promesse : « Je ne vends pas de rêve, je veux des preuves »
Alors que la structure vise une qualification aux Worlds, GrabbZ appelle à une rupture nette. Il ne promet rien aux fans. « Je ne suis pas là pour vous vendre du copium. Je ne vais pas vous dire de croire juste pour le principe. Vous avez toutes les raisons de douter. » Ce qu’il promet, en revanche, c’est une exigence maximale vis-à-vis de ceux qui porteront le maillot. « Je donnerai tout. Et je m’assurerai que chaque joueur de ce roster fasse de même. S’ils ne veulent pas changer, ils ne seront pas là. »
Quant à lui, il ne sait pas encore s’il poursuivra l’aventure après novembre. Mais d’ici là, une chose est sûre : la complaisance ne fera plus partie du projet. « C’est fini les discours creux sur “on veut gagner”. Si tu veux être le meilleur, alors travaille comme quelqu’un qui veut être le meilleur. »