La parole à Nicolas Besombes.

 

Nicolas Besombes est enseignant-chercheur spécialisé dans l’esport etr eprésentant du collège des joueurs et membre du conseil d’administration de France Esports. Il a répondu aux questions de la rédaction.

 

Stéphane Rappeneau pour team-aAa.com : Le fameux chiffre de 5M d'esportifs du baromètre a été assez critiqué par la presse, comment l'expliquez-vous ?

Nicolas Besombes : Le chiffre de 5M correspond au nombre de consommateurs d'esport. C'est-à-dire que ce sont toutes les personnes qui ont regardé de l'esport (et ont été capables de citer une compétition esportive qu'ils ont suivi) au moins une fois au cours des 12 derniers mois que ce soit sur Internet, à la TV ou directement sur place. Le chiffre peut paraître élevé car il ne fait pas de distinction entre un consommateur assidu (qui suivrait régulièrement un circuit compétitif, championnat ou ligue) et un consommateur épisodique qui aurait regardé une seule compétition pendant l'année écoulée. Bien entendu les données plus précises seront transmises dans le baromètre étendu.

 

Le chiffre qui semble avoir créé le plus d'interrogations et de remarques concerne le nombre de ce que nous appelons les pratiquants d'esport (2M) et qui désigne l'agglomération des esportifs amateurs (qui pratiquent le jeu vidéo en PvP lors de parties classées ou lors de compétitions en ligne ou en LAN) et des esportifs de loisir (qui désignent les joueurs qui pratiquent le jeu vidéo multijoueur exclusivement PvP sans parties classées ni compétitions, qu'elles soient en ligne ou en LAN). Plus que le chiffre en lui-même, c'est cette dernière catégorie qui a pu surprendre l'industrie et les communautés qui la composent car cette typologie de joueurs n'est habituellement jamais désignée ou considérée comme "esportive". Chez France Esports, nous avons fait le choix de prendre en considération cette population dès avril 2018 car elle nous semble être à la fondation même de l'esport "grassroots" dont la pratique "amateur" fait le pont avec le "haut-niveau" voire le "professionnalisme". L'association considère en effet que cette population mérite tout l'intérêt de l'industrie car elle représente un nombre non-négligeable de joueurs PvP qui n'ont pas fait le pas vers une pratique visant à se classer les uns parmi les autres mais qui a l'habitude de se confronter par l'intermédiaire du jeu vidéo. Cette catégorie d'esportifs de loisir représente dès lors un peu plus d'1M de joueurs, tandis que les "esportifs amateurs" sont par extrapolation un peu plus de 900 000.

 

Grâce à cette typologie, chaque acteur de l'industrie, en fonction de sa propre définition et conception de l'esport, est en mesure d'évaluer le nombre de pratiquants.

Nous aurions également aimé pouvoir transmettre des données sur le nombre de joueurs exclusivement compétitifs (qui se sont déjà inscrit en compétition en ligne ou en LAN), cependant malgré un échantillon de 4090 répondants, il n'aura pas été suffisant pour atteindre la cible de manière fiable. Plutôt que de transmettre des données dont nous ne pouvons assurer la fiabilité, nous préférons ne pas les divulguer (sur les conseils de l'institut Médiamétrie) et améliorer notre échantillon pour l'année prochaine.

 

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Nicolas Besombes aux côtés de Llewellys lors d'une émission sur France Info - (c) Twitter Nicolas Besombes

 

Avec votre connaissance professionnelle de l'esport, avez-vous été surpris par certains chiffres ?

Bien évidemment, chacun se construit ses propres représentations du secteur dans lequel il évolue, en fonction de ses expériences, de ses rencontres et du champ d'action de son activité dans l'industrie. De ce fait, chaque donnée peut paraître surprenante lorsqu'elle n'entre pas en adéquation avec notre propre ressenti personnel. Le nombre de pratiquants esportifs amateurs ne nous a pas spécialement étonné (car il est dans la lignée des recensements effectués précédemment en 2016 par le rapport intermédiaire parlementaire de Durain et Salles), ni le pourcentage de femmes consommatrices d'esport (qui lui-même est dans la lignée de l'étude PwC de 2016). Nous avons été plus étonnés par le pourcentage (relativement élevé) de consommateurs de la tranche d'âge 35-49 ans. Trois hypothèses peuvent expliquer ce nombre : Tout d'abord une tranche d'âge d'une durée de 14 ans, là où les autres (15-24 et 25-34) ne sont que de 9 ans. Ensuite, la typologie des consommateurs prend en compte des consommateurs épisodiques (seulement un visionnage dans l'année) et sur la TV qui touche une majorité de cette tranche d'âge. Enfin, le fait que la population des consommateurs soit également aussi en train de peu à peu vieillir. Mais nous devons bien admettre que nous ne nous attendions pas à cette donnée. Autre résultat qui nous a (agréablement) surpris est celui lié aux activités physiques et culturelles. Nous avons découvert que les pratiquants d'esport (amateurs et loisirs) sont significativement plus nombreux à pratiquer une activité physique et culturelle que l'ensemble de la population d'internautes interrogés (représentatifs de la société). Cela s'explique notamment par une société vieillissante là où nos pratiquants d'esport sont issus des nouvelles générations. Loin de l'idée de joueurs sédentaires et isolés socialement, ces résultats présentent des esportifs en pleine capacité de leurs moyens physiques et de leurs compétences sociales.

 

Quelles sont les grandes tendances de fonds que ce baromètre dessine ?

Difficile de faire émerger des tendances d'une enquête effectuée sur un instant T lors de sa première édition. Impossible d'avoir le recul nécessaire d'une étude longitudinale d'une décennie pour entrevoir des tendances futures. Ce serait malhonnête intellectuellement et scientifiquement. D'ailleurs ce baromètre a pour objectif d'être réalisé chaque année à la même date dans le but d'être un outil le plus fiable possible qui permettra alors de pouvoir faire un peu de prospective. Pour le moment, les données nous permettent de dresser un état des lieux (certainement améliorable) de la consommation et de la pratique de l'esport pour les 12 derniers mois en France. Ni plus, ni moins.  

 

Après les contrats de travail, la définition de l'esport, quels sont les prochains chantiers d'envergure pour l'association ?

L'association a engagé de nombreux chantiers pour la seconde et dernière année de mandat de son Conseil d'Administration. Le financement de l'association en vue du recrutement d'un permanent est la première étape afin de pérenniser les actions de France Esports et mener à bien les autres travaux. Plusieurs conférences et workshops sur des enjeux sociétaux et éducatifs majeurs se dessinent pour la fin d'année 2018 (sur "les formations esportives" le 29 novembre à Arles en amont de la Maximus Cup) et le début d'année 2018 ("Esport & Handicap" en partenariat avec CapGame et Paris&Co entre mars et juin 2019). 

 

Nous souhaitons également apporter un soutien plus important à nos membres, notamment une aide juridique à la création d'une structure esportive ou à l'organisation d'un événement esportif, par l'intermédiaire de FAQ bientôt disponibles sur le nouveau site. Enfin, l'un des derniers chantiers entamés est celui de la structuration locale de l'esport par la mise en place "d'antennes" régionales de France Esports afin de pouvoir apporter un soutien au tissu associatif et aux pouvoirs publics (collectivités territoriales notamment) locaux. La question de la gouvernance est donc au centre de cette structuration qui n'en est qu'à une phase d'expérimentation avec Paris Esports dont nous sommes ravis de la création. 

 

Nous continuons enfin à nous pencher sur les questions d'intégrité (lutte contre la triche), de formation (notamment pour les admins de tournoi), sanitaires (déconstruire les idées reçues sur les comportements compulsifs, le contenu violent des jeux, la sédentarité des joueurs) qui inquiètent les parents et médias, ou encore sociétaux (avec l'annonce très prochaine d'un partenariat entre France Esports et CapGame pour promouvoir une pratique pour toutes et tous et des tournois inclusifs).