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Le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles viennent de remettre leur rapport intermédiaire concernant « la pratique compétitive du jeu vidéo », le rapport définitif étant attendu pour le 15 avril. Mais qu’en est-il exactement ?

 

20 juillet 2016 : Le projet de loi République numérique suit son cours et a été adopté à l'Assemblée nationale, après l'adoption au Sénat en mai dernier. Les sénateurs devront à nouveau voter le 27 septembre 2016 car certains articles du projet ont été modifiés. Concernant l'esport, les articles 42 et 42 bis du projet de loi ont seulement été précisés ou reformulés mais l'esprit reste identique à celui décrit ci-dessous.

 


03 mai 2016 : Le vote du Sénat aujourd'hui valide à une très large majorité le projet de loi pour une République numérique, avec 323 voix pour et une seule voix contre ! Axelle Lemaire avait déjà annoncé quelques points importants ce matin via son communiqué de presse. Ce vote approuve ainsi le rapport sur la pratique compétitive du jeu vidéo. Vous pouvez retrouver l'intégralité du projet de loi ici, l'article sur l'esport est le numéro 42 à la page 211.

 

 

30 mars 2016 : D’entrée de jeu, les données économiques montrent pourquoi les pouvoirs publics français s’intéressent de plus en plus à l’esport. Comme rappelé dans le rapport, le marché mondial de l’esport représenterait 600 M$ avec un taux de croissance de 30 % par an. De plus, le nombre de compétitions et leur gain ont pratiquement doublé entre 2014 et 2015.


Cependant, pour permettre à la France de se construire une place dans ce marché, le déblocage de plusieurs points est à prévoir :


-    Avoir une législation claire sur l’organisation des tournois offline, qui sont aujourd’hui sous le coup de l’interdiction des loteries mais néanmoins tolérés
-    Créer un statut de joueur professionnel
-    Mettre en place une commission pour réfléchir à un type de fédération dans l’esport
-    Clarifier la fiscalité sur ce marché

 

 

Le marché du jeu vidéo

 

tab marches jeu video 2015

 

En France, les chiffres montrent que le marché du jeu vidéo est arrivé à maturité : NewZoo prévoit un taux de croissance de 1,5% entre 2014 et 2018.


Si on regarde de plus près les chiffres de l’esport, les personnes intéressées par la compétition et les revenus générés peuvent être décomposés comme suit :

 tab spectateurs et revenus

 

Au vu de la croissance attendue sur ce marché, tant par l’intérêt des personnes, joueurs ou non (40% sont uniquement spectateurs) que par tous les revenus associés, les deux rapporteurs ambitionnent d’attirer et stabiliser les équipes esportives en France avec des joueurs de niveau mondial et à la mise en place de tournois d’envergure internationale.


Enfin, le rapport reconnaît que la maitrise de la plupart des jeux vidéo de compétition exige « une habileté, des réflexes et une dextérité physique extrêmement poussés », ainsi que la mise en place d’une « stratégie et une coordination élevées » pour les jeux en équipe par exemple. Hearthstone est cité comme une exception car la part de hasard est plus prépondérante que sur les autres jeux.

 

Quel statut pour les compétitions esport ?


Vers une définition d’un tournoi esport


A cause d’une jurisprudence sur le poker datant de 2013, les législateurs ont modifié les lois (dans un excès de zèle ?) sur les jeux de loterie et assimilés en mars 2014. Dès lors, les compétitions esportives rentrent dans les jeux de loterie selon la nouvelle définition. Il a semblé évident aux deux rapporteurs de la mission d’enlever l’esport de cette loi tout en la conservant pour les « vrais » jeux d’argent.


Pour donner un statut unique à la compétition de jeu vidéo, trois principes ont été définis :


-    Les caractéristiques de la compétition : source et montant des revenus générés, compétition offline ou online, autorisation par une autorité administrative - critères à définir ;
-    Les caractéristiques du jeu vidéo servant de support : part plus ou moins importante du hasard dans le résultat, présence de contenus pouvant heurter des publics fragiles, agrément par une autorité administrative - critères à définir ;
-    Les caractéristiques de l’organisateur de la compétition : moralité, statut juridique, garanties financières, agrément par une autorité administrative - critères à définir


Ces principes ne sont donc pas encore très détaillés. Il en ressort que les organisateurs des plus grandes compétitions devront peut-être avoir un certain statut juridique et montrer patte blanche sur leur revenu et moralité, le « comment » restant à déterminer.


La question de la définition et par conséquent la validation d’un jeu esport se pose également : quels éléments doit-on retenir ? qui validera la liste des jeux autorisés ? quelle part de hasard autorise-t-on ?

 

L’aspect financier des tournois pour déterminer son autorisation


Enfin, les compétitions devront être exemptes de risques liés aux objectifs financiers : la dépendance des joueurs (comme les casinos), blanchiment d’argent, fraude et triche des compétitions online.


Ainsi, pour ne plus être assujetti aux lois sur les loteries,  les recommandations sont :


-    Pour les tournois offline, les droits d’entrée devront servir à recouvrir les frais d’organisation et non à enrichir les organisateurs ou alimenter les cash prizes


-    Les qualifications et les tournois online ne devront pas être payants (hormis le prix du jeu qui pourrait être toléré et peut-être plafonné)


Le rapport synthétise les critères d’autorisation des compétitions comme suit :

 

criteres autorisation tournoi

Il est rappelé dans le rapport que les paris sur les compétitions esport sont interdits en France et le resteront pour le moment. Ce point est et sera toujours vérifié par l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux En Ligne) pour les tournois online et par les services régionaux de police pour les tournois offline.

 

 

Les mineurs pourront-ils participer aux tournois esport ?


Autorisation à jouer et à être spectateurs sous conditions


Après avoir souligné que les jeux de compétition ne créent pas d’addiction, les mineurs pourraient participer aux tournois sous réserve d’une « autorisation parentale expresse, comportant des informations claires quant à la signalétique PEGI apposée sur les jeux utilisés ». Autrement dit, même si la signalétique PEGI indique que le jeu est interdit au moins de 18 ans, les parents auront le pouvoir d’accorder ou non l’autorisation à leur enfant mineur de participer au tournoi.


Les spectateurs mineurs devront également être muni d’une autorisation parentale (ou être accompagné) si leur âge est inférieur à la signalisation PEGI du jeu.


Les revenus des mineurs seront bloqués jusqu’à leur majorité


Concernant les sommes d’argent gagnées lors de ces tournois, la mission souhaite limiter la compétition aux plus de 14 ans. Au-delà de 14 ans, elle découpe les mineurs en deux sections :


-    Les mineurs entre 14 ans et 16 ans pourront participer aux tournois dont les gains individuels seront inférieurs à 100€
-    Les mineurs entre 16 ans et 18 ans pourront participer aux tournois dont les gains individuels seront inférieurs à 2000€


Ces limites d’âge ne sont pas encore définitives. Mais quoi qu’il en soit, les joueurs professionnels de moins de 16 ans seront soumis à l’obligation de consignation à la Caisse des Dépôts : comme c’est le cas aujourd’hui pour les moins de 16 ans mannequins, sportifs ou acteurs, les revenus du joueur pro seront versés sur un compte de la Caisse des Dépôts et ne seront accessibles qu’à la majorité du joueur.

 

Quel cadre pour la retransmission audiovisuelle ?


Comme pour le sport, le CSA définira ce qui relève du sponsoring, qui est autorisé, ou de la publicité mensongère, qui est interdite.


Le CSA validera également les plages horaires de diffusion en fonction des images du jeu utilisées en compétition et pas seulement en fonction de la classification PEGI.

 

La DreamHack Tours a décidé de suivre la norme PEGI pour ses tournois

 

Enfin, pour développer la notoriété de l’esport, les deux parlementaires demandent au CSA d’accorder le droit de diffuser de courts extraits de compétitions à la télévision, même en cas de cession exclusive de droits, comme c’est le cas pour les compétitions sportives majeures.

 

 

Quel statut pour les joueurs ?


Les joueurs français


Actuellement, aucun contrat de travail n’est adapté aux joueurs esportifs. La nécessité de créer un contrat de travail particulier est donc essentiel. Pour ce faire, le nouveau contrat pourrait s’inspirer du CDD spécifique du sportif et de l’entraineur professionnel. Ainsi, les associations et les sociétés pourront employer des joueurs esport en CDD de un à cinq ans, renouvelable indéfiniment.


Les joueurs étrangers


Pour les joueurs étrangers, se pose le problème du visa et notamment ceux d’une durée supérieure à 3 mois. La mise en place d’un visa adapté à l’esport est proposée, visa qui sera délivré plus ou moins facilement en fonction de la durée de séjour et de la renommée du joueur.

 

 

 

Comment développer l’esport en France ?


Créer une fédération


Actuellement, la pratique en amateur n’est pas rassemblée au sein d’une fédération ce qui ne permet pas de bénéficier d’aides comme celles allouées aux fédérations sportives. Même si certains éditeurs contrôlent les compétitions majeures avec des règles qu’ils imposent, ils ne peuvent pas vérifier tous les tournois de moindre envergure.

De plus, pour d’autres jeux, il n’existe pas de règlement universel pour l’organisation de tournoi esport. L’idée développée dans le rapport serait ainsi de créer une fédération à mi-chemin entre l’autorégulation et une autorité administrative. Cette fédération reconnue par l’état, se rapprochant du schéma de la fédération sportive, représenterait les pouvoirs publics et pourrait intervenir au nom de l’Etat français.

Comme en Corée du sud : la Korean e-sport association (KESPA) reconnue comme association sportive fait partie du comité national olympique et peut négocier avec les éditeurs de jeux l’organisation des compétitions nationales.

 

Le CNOSF pourrait s'inspirer de la KeSPA


En France, le comité national olympique du sport français (CNSOF) représente les sports sans fédération reconnue et regroupe la plupart des fédérations sportives. Dans un premier temps, le rapport préconise la création d’une commission au sein du CNSOF. Puis, une fois le cadre bien établi, la création d’une fédération délégataire, c’est-à-dire qui aura le pouvoir d’organiser des compétitions et délivrer des titres nationaux.


Définir la fiscalité pour les gains des compétitions


Enfin, la mission parlementaire souhaite clarifier la fiscalité appliquée à l’esport. Actuellement, tous les revenus des tournois sont normalement imposables pour les joueurs. Si le joueur est membre d’une équipe et salarié (avec la création du CDD spécifique par exemple), la structure qui empoche les gains puis les reverse au joueur sous forme de « prime de match » sera soumise aux cotisations sociales, etc. Les organisateurs doivent également émettre des récépissés (pour les joueurs indépendants) ou demander des factures (pour les joueurs salariés).

Sur ces points, l’administration fiscale doit bien identifier ces gains et revenus de son côté.


Toujours dans la perspective d’ouvrir à un plus large public le spectacle de l’esport, la mission envisage de réduire le taux de TVA des enrées pour les spectateurs. Actuellement de 20%, elle pourrait être abaissée à 5,5% (comme les compétitions sportives et les spectacles vivants).


Pour finir, la question des dons, notamment via les streamings, est soulevée. Sauf exception, les montants de ces dons sont plutôt faibles et les deux parlementaires suggèrent que ces dons ne devraient pas être soumis à la taxation habituelle pour les dons (TVA, etc.). Cependant, ce sujet doit être précisé et défini par la direction de la législation fiscale.

 

Rendez-vous à la mi-avril


Voilà, vous savez dorénavant tout sur ce rapport. Si l’esport était considéré jusqu’à présent comme une pratique illégale, mais tolérée, sur certains plans, ce rapport vise à éclaircir et légaliser bon nombre d’entre eux. En auditionnant de multiples acteurs de ce milieu, les deux parlementaires  sont ainsi parvenus à dresser un premier bilan cohérant et intéressant, bien qu’encore à détailler sur plusieurs points.

Cela doit néanmoins marquer une première étape fondamentale dans la reconnaissance de cette pratique aux yeux des institutions et du grand public.


Le rapport définitif sera rendu le 15 avril 2016. Vous saurez ce qui aura été statué ou non parmi toutes ces propositions.