Quelques jours après son intronisation chez Fnatic, nous sommes allés échanger avec Léo "Alphama" Robine. Au travers de cet entretien, il revient sur son passage en North American League, son évolution en tant que joueur et sa nouvelle aventure en Asie-Pacifique.

*aAa* : Ta fin chez eUnited a été signée assez précipitement. Pourrais-tu revenir sur ce qui s'est passé pour toi et ton équipe ?
Léo "Alphama" Robine : eUnited ne trouvait plus financièrement viable d'être sur Rainbow Six parce que les skins du R6 Share n'étaient toujours pas sortis après, parce qu'on était en octobre et qu'on n'allait pas rejouer de match officiel avant mars, parce que maintenir une équipe en North American League coute très cher sachant que nous n'allions pas rejouer avant cinq mois et qu'ils ne tiraient aucun revenu du R6 Share. Suite à ça, on a cherché une nouvelle organisation, le problème étant que la licence d'eUnited n'a pas été transférée à Ubisoft dans l'attente qu'une structure veuille nous prendre, mais a été donnée à Tempo Storm pour tenter de garder l'écurie sur le jeu. Tempo s'est quand même barrée et les joueurs ont eux aussi perdu leur licence. Dans l'histoire, nous avons tous perdu notre place en NAL alors que nous étions qualifiés pour une année de plus.

Regrettes-tu d'avoir en quelque sorte été éjecté de la ligue au profit d'écuries invitées en NAL ?
Je ne me permettrai personnellement pas de juger puisque je ne me suis qualifié pour rien du tout - certes au travers d'une équipe qui s'est qualifiée, mais j'ai été invité, même si j'ai gagné ce droit en évitant la relégation. Forcément, quand on voit des équipes qui n'étaient pas premières de CL, qui n'ont pas gagné de match de relégation ou qui n'ont joué aucun match contre une équipe T1 pour arriver en North American League, ça fait bizarre. On se demande ce que ces équipes-là font en NAL alors qu'elles n'ont pas le niveau T1 sur le papier. Maintenant, je n'ai pas de regrets d'une part parce que je suis très heureux de là où je suis aujourd'hui, c'était une très belle opportunité pour rebondir, et d'autre part ça donne une chance à des joueurs qui n'auraient pas pu le faire de se confronter et prouver face aux meilleures équipes nord-américaines. C'est vraiment quelque chose d'intéressant pour eux et je n'ai pas à être malheureux du bonheur des autres, au contraire.

Il faut plus le voir comme un renouvellement de la scène...
Oui, mais je ne veux pas non plus qu'on oublie la façon dont Ubisoft a fait les choses. Ils ont failli faire perdre à 10 joueurs leur carrière, en plus de leur staff technique. Ils ont enchaîné en essayant de mixer les équipes canadiennes et états-uniennes en forçant les canadiens à obtenir des visas pour se rendre aux Etats-Unis et détruire ce qu'ils avaient essayé de construire au Canada. Tout n'est pas tout beau tout rose, beaucoup de joueurs ont perdu leur carrière à cause de ces décisions.

De ton côté, lorsque tu as compris que le projet eUnited était dans une impasse, te voyais-tu prolonger ton visa et rester aux Etats-Unis ?
Pour le bon projet, j'aurais certainement prolongé mon visa avec l'aide de l'organisation en question. Comme je l'ai déjà dit, ça n'a jamais été une question de frontière, mais de projet. Si le projet me plait, que c'est mon choix numéro 1 et que j'ai cette opportunité-là, peu importe où je suis du moment que je suis épanoui dans ce que je fais professionnellement.


Crédit photo : eUnited

On imagine que tu as été changé par ton aventure aux Etats-Unis. En quels points ? Qu'est-ce que tu tires de cette expérience, professionnellement comme personnellement ?
D'un point de vue professionnel, c'est une véritable révélation sur moi, sur ma capacité à prendre confiance en moi, à être régulier et à être moi-même. Je pense que j'ai eu tendance à trop m'écraser quand j'étais chez LeStream et Giants et ne pas prendre la bonne place. C'est-à-dire que je pouvais avoir une com' très présente, mais pas forcément nécessaire. Je pense avoir beaucoup progressé sur ce sujet-là. Grosse crise de confiance en moi donc, j'ai réalisé que si je me laissais être moi-même, je ne serais qu'un meilleur joueur. Etant naturellement quelqu'un qui aime bien lead, j'ai pu me diriger assez facilement sur du lead in-game, c'est venu assez naturellement et c'est quelque chose dans lequel je me suis épanoui. Personnellement, j'ai appris beaucoup de choses sur la culture américaine, sur le fait de vivre loin, seul à l'étranger en pleine pandémie dans un pays pas très stable avec une culture différente. M'adapter à tout ça m'a vraiment fait grandir et mûrir je pense, tant personnellement que professionnellement.

Avec faste, tu étais récemment annoncé comme la nouvelle recrue de Fnatic. Peux-tu revenir sur ce nouveau rebondissement ? Comment cela s'est-il fait ?
Après Giants et LeStream, j'avais déjà contacté Fnatic car c'était une équipe qui me plaisait beaucoup, leur environnement dirigé par Dizzle sur l'éthique de travail et la motivation de joueurs qui ont faim. Une équipe triée sur le volet qui se qualifie tout le temps aux plus gros événements et qui y fait toujours de bons résultats, qui plus est dans une organisation légendaire et dans un rôle dans lequel je peux m'épanouir en tant qu'in-game leader. Ça faisait beaucoup de points positifs pour ne pas saisir l'opportunité. Ils ont été les premiers à me faire une offre, j'en ai reçues plus tard au niveau T1 mais aucune ne m'a autant plu. Pour moi, c'est clairement aussi un moyen de continuer d'évoluer, de m'épanouir et c'est l'équipe dans laquelle je me vois grandir le plus vite. C'est pour cela que j'ai accepté cette offre.

Les conditions administratives et logistiques de ton arrivée chez Fnatic sont quelques peu particulières du fait de la pandémie. Où es-tu actuellement ?
Je suis en confinement à Taiwai pour une durée indéterminée, jusqu'à expiration de mon visa et que le Japon ouvre ses frontières. Pour l'instant, je suis dans l'attente.

Une fois les frontières ré-ouvertes, le projet est donc de rejoindre ton équipe au Japon...
C'est l'idée, être en gaming house avec toute l'équipe dans le but d'être en symbiose avec la communauté japonaise, avec tout ce qui est en train de se passer en Asie comme l'arrivée de grosses organisations, la Japan League étant la plus grosse ligue nationale au monde avec énormément d'argent investi. Je souhaite vivre dans ce temps et évoluer dans la région qui se développe le plus en Asie en ce moment et qui selon moi va continuer d'exploser dans les années à venir.

As-tu déjà pu t'entraîner avec tes coéquipiers ? Comment le premier contact s'est-il passé ?
J'ai été contacté fin novembre, j'ai signé mon contrat et commencé à travailler début janvier depuis la France, avec du ping. Ce premier contact en tant que joueur pour leur équipe a été fait il y a deux mois et demi donc, mais le premier contact en tant que tel avec Magnet et Lusty date je crois du Six Invitational 2019. Cela fait déjà deux ans que je les connais.


Crédit photo : Fnatic

Comment te places-tu dans l'équipe ? Es-tu encore un rookie, ou deviens-tu un joueur d'expérience qui doit apporter à ses coéquipiers ?
Je pense que je suis le parfait mix et j'ai la chance aujourd'hui à ce stade de ma carrière d'être à la fois très jeune et d'avoir encore plein de progression à faire, et à la fois très expérimenté parce que cela fait deux ans que je joue au plus niveau, que pendant un an j'ai fait les plus gros événements et évolué dans deux régions différentes. J'ai selon moi beaucoup de bagage et de choses à apporter à cette équipe, je ne me vois absolument pas comme un rookie après tout ce que je viens de te citer.

Tu as été le rookie au top niveau, tu es maintenant le jeune vétéran...
On va dire jeune expérimenté [rires].

Je te repose la question un an après : être pro en APAC, c'est comment ?
C'est intéressant puisque le playstyle est vraiment particulier. Il y a des équipes extrêmement agressives, d'autres un petit peu plus structurées, mais l'agression et la sur-agressivté dominent. La différence est que dans les deux régions que j'ai fait, les équipes étaient à plein temps alors qu'en Asie, ce n'est pas encore le cas pour beaucoup d'équipes. Par conséquent, comme la région est assez récente, il y a la question du sérieux des praccs et de la manière dont les joueurs les prennent au sérieux. On sent que c'est quand même une région encore en développement et qui doit progresser sur certains points.

Après une première édition compliquée - notamment du fait de soucis de ping - comment l'équipe se sent-elle à l'aube de cette Asia-Pacific League Saison 2 ?
Les Australiens de l'équipe sont en bootcamp à Perth pour avoir un meilleur ping, qui ne devrait pas dépasser 60 sur le serveur d'Asie du Sud-Est. Cela devrait régler en partie ce problème. Maintenant, il n'y a plus d'excuses en quelque sorte. Je suis arrivé, j'apporte de nouvelles choses, l'équipe a moins de ping, on travaille depuis deux mois et demi, il est temps maintenant de venir et reprendre cette couronne de champion d'APAC, ce standing que l'équipe avait depuis des années.

Quel sera ton rôle dans l'équipe ?
Mon rôle chez Fnatic sera de constamment innover dans ce qu'on fait. On doit être capables de jouer un jeu traditionnel comme un jeu plus agressif, de passer du tout au tout quand on veut d'un claquement de doigt et de maîtriser le jeu d'un point A à un point B stratégiquement pour choisir la manière dont on aborde chaque match, chaque strat, chaque manche. Je dois être le pilier de cette stratégie-là.

Tu disais avoir la certitude de revenir en France pour ton bien-être personnel. Coup de tonnerre, te voilà désormais en route pour le Japon. Ta vision des choses a-t-elle évolué ?
La France, c'est ma maison. C'est là où il y a mes parents, ma famille, donc à un moment, je me vois bien y retourner, je ne me vois pas la quitter bien longtemps, sauf si je suis heureux là où je suis. J'ai 20 ans, c'est surtout que je suis jeune et ne me pose aucune limite. Je suis en roue libre en fait, tu comprends [rires]. Je n'ai aucune limite, c'est simplement que cela s'arrêtera quand cela devra s'arrêter et je donnerai mon maximum pour que cela continue le plus longtemps possible.


Crédit photo : Fnatic

Tu disais faire attention à une certaine pression vis-à-vis du public et de ta place de jeune joueur propulsé au sommet. Ce sentiment va-t-il en s'estompant à mesure de la progression de ta carrière ? Es-tu parvenu à faire fi de ces barrières ?
Je pense que tu ressens tout le temps de la pression, où que tu en sois dans ta carrière. L'expérience aide, c'est sûr, mais elle ne fait pas tout. J'avais la pression comme un jeune propulsé au sommet chez Giants, quand j'étais aux Etats-Unis je l'avais comme le seul européen dans la ligue et importé d'une écurie numéro 2 d'Europe. Désormais, ma pression est d'être importé en Asie, chez Fnatic, champions historiques de l'APAC et venant pour débloquer une équipe en difficulté. De n'importe quel moove que j'ai fait, tu pourras toujours trouver une pression, des centaines voire des milliers de personnes qui m'attendent au tournant et cela ne sert à rien de se mettre cette pression-là. Il faut en être conscient, elle existe, il faut juste être capable d'en faire fi.

Quels sont vos objectifs en équipe pour cette saison 2021 ?
L'objectif sera toujours de viser le plus haut possible. A long terme, il est de redevenir cette équipe qui domine sa région et se place très haut à l'international.

As-tu des objectifs plus personnels, des choses que tu aimerais bien réaliser chez Fnatic ?
Je pense qu'il n'y a pas de truc magique ou de truc clé, je ne saute pas d'étape. J'apprends et développe mon jeu au fur et à mesure de ce que mes coéquipiers et mon staff me donnent.

Je te remercie pour le temps que tu m'as accordé et te laisse le mot de la fin.
Merci beaucoup pour ton invitation. On jouera notre premier match vendredi 19 mars à 11h30 heure française contre DAMWON, n'hésitez pas à venir nous regarder !