L’article qui suit n’a nullement pour but de distribuer des bons ou des mauvais points, il a simplement pour vocation de partager quelques interrogations sur un eSport qui avance certes, mais dans quelle direction ?

Chaque rédacteur, membre d’un staff d’une équipe ou organisateur de compétitions s’est certainement déjà posé des questions sur les raisons qui l’ont poussé et le motivent tous les jours à s’engager un peu plus dans ce milieu. Pour certains d’entre eux, les revenus financiers prennent désormais le relai de la passion ou tout du moins aident fortement à entretenir la flamme. Pour d’autres la promesse d’un avenir professionnel plein de paillettes les tient mobilisés. Pour les derniers, l’amour du beau jeu
ne s’explique pas, la passion de voir évoluer les meilleurs joueurs du monde non plus, la satisfaction de faire partie d’un projet intéressant et innovant les comblent amplement.

On trouve certainement autant de motivations pour donner du temps à l’« eSport » qu’il y a l’intervenants dans le circuit. Pourtant il existe un point commun à tous ces gens qui tient en une phrase sacrée. Ces quelques mots font office de rhétorique, presque de dogme et vous les avez certainement lu plus d’une fois sur les sites traitant de compétitions ou d’équipes :

« Notre but est de développer l’esport ».

Vers où ? Vers quoi ?

La plupart du temps, soit on ne le sait pas trop , soit on ne le dit pas trop fort car ça ne ferait pas très bien dans le plan de communication de dire qu’on veut juste ramasser des dollars à la pelle. Ces quelques mots veulent tout et rien dire à la fois, personne ne peut croire qu’une équipe brassant des kilos-dollars et une association organisant des LANs dans un salle de sport de Bretagne mettent derrière cette sentence la même signification.

Au milieu de ce brouhaha d’intérêts divers et contradictoires, au centre des convoitises de tous ces gens qui veulent « développer l’eSport », il existe un acteur au statut un peu particulier: le joueur.





Pourquoi parler du statut des joueurs ? Parce que la plupart du temps il n’existe pas, et que les joueurs sont considérés par beaucoup d’organisations comme une denrée périssable, malléable à souhait, et inutile à la réussite d’un projet ambitieux. Le pire, c’est qu’il est facilement prouvable que c’est effectivement le cas :

- La structure SK-Gaming s’est elle moins développée pendant la période de mauvaises performances de son équipe CS ?

- A contrario, les très bons résultats d’emuLate ont ils suffit à faire de la structure une superpuissance internationale ?

En regardant les 2 structures, on retrouve ici 2 profils qui représentent certainement le profil de la plupart des équipes du monde, celles dont la richesse vient de leurs joueurs, et celle dont la richesse vient d’ailleurs. Force est de constater que le projet des deuxièmes est plus rentable.

En regardant de plus près l’évolution des équipes eSportives, il semble même que le sort des joueurs soit de moins en moins considéré au fur et à mesure que l’équipe se professionnalise. Ce n’est certainement pas généralisable à toutes les équipes mais il paraît normal que les petites structures, émanant de gens qui étaient encore il y a peu de temps ou sont encore des joueurs, prennent plus à cœur le sort des joueurs que les buisness-man de la compétition.

Mais pour comprendre le concept, il faut déjà poser le postulat que toucher de l’argent d’un grosse équipe n’est pas une marque de considération.

Cet état de fait est particulièrement flagrant dans une milieu eSportif nouveau et en pleine expansion comme celui de World of Warcraft. Croisant quelques joueurs des plus connus de la scène à Montréal,
l’étonnement fut des plus complets lorsqu’ils avouèrent toucher des sommes d’argent mensuellement, mais sans statuts légaux. Le cadre spatial même de ces confidences prête à réfléchir, elle ont été recueillies auprès de joueurs jeunes, entre 16 et 20 ans, accoudés au bar d’un hôtel dans un état d’ébriété avancée, entre 2h et 3h du matin alors qu’ils jouaient le lendemain. Ces même joueurs qui se considèrent comme étant des « progamers » haussent les épaules quand on leur parle de la suite de leur vie après les compétitions. 

De loin, voir des joueurs rémunérés pour aller faire une compétition à l’autre bout du monde peut être considéré comme une évolution notable de « l’esport ».

De près :

- On tient à ces très jeunes joueurs un discours éludant volontairement la suite des événements et de leur e-carrière qui sera très certainement aussi courte que fulgurante. Comment ces sommes d’argent ne pourraient-elles pas leur monter à la tête ?

- On les paie sans statut, donc sans aucune sécurité quelconque.

- On ne les accompagne pas du tout ni dans leur évolution, ni dans leur déplacements, laissant libre cours à des comportements néfastes et inadaptés.

Une des choses les plus marquante et significative de l’interieur : le fossé entre l’hygiène de vie (pour employer les grands mots) des équipes CS et World of Warcraft à Montréal était simplement gigantesque. ToD, Moon et des équipes comme les SK ou les fnatic sur Counter-Strike ont commencé par jouer dans des momo-lans, dormant sous leurs PC et gagnant des tapis de souris. L’évolution de leur carrière a suivi celle de « l’eSport ». Même si ça ne les empêche certainement pas de  boire quelques verres de trop, ils savent que la route a été longue pour en arriver où ils en sont et se donnent les moyens de conserver leur place. Mais cette époque est désormais finie.

Pas qu’il soit plus facile de devenir un joueur International sur World of Warcraft, certainement pas. Par contre les étapes intermédiaires ont tout simplement disparues, on passe en quelques jours du jeu en pyjama dans sa chambre, aux plus grosses compétitions à l’autre bout du monde . Ce changement n’est pas propre à WoW, il y a de bonnes raisons de penser que les prochains jeux qui exploseront dans l’eSport proposeront les même parcours aux joueurs. Mais ce changement est certainement très violent pour de jeunes joueurs qui se prennent très rapidement pour des e-stars.

Si cette évolution se confirme, le seul rôle des équipes et du manager sera-t-il de pousser ces jeunes joueurs vers la performance ? De donner l’illusion de la considération quand elle n’existe pas ?

Il est probablement plus rentable de dire à un joueur qu’il est bon, qu’il doit s’entraîner beaucoup afin de provoquer chez lui des rêves de gloires, que d’essayer de lui faire garder les pieds sur terre en relativisant la valeur de ses performances et de ses gains. Tant que le milieu ne sera pas plus réglementé, la qualité de l’accompagnement des joueurs ne tiendra qu’à la bonne volonté des dirigeants de l’équipe et à leurs convictions. Entre temps, nombre de joueurs vont se brûler les ailes, c’est une quasi certitude. 

On pourrait croire ne parler ici que des mastodontes internationaux, pourtant certaines équipes françaises connues posent également les bases de ces futurs fonctionnements. Certains responsables s’enorgueillissent même dans leur blog d’avoir trouver la formule « Staff > Joueur = Réussite ». Ils annoncent clairement, et le font déjà pour certains, vouloir salarier plusieurs membres du staff avant
les joueurs.

Cette optique est certainement la bonne, la marche d’une structure repose sur les épaules du staff qui apporte la valeur ajoutée à une équipe. Cependant, si cette démarche est sûrement validable dans un premier temps, générer des bénéfices perd une bonne partie de son sens quand les joueurs n’en voient pas la couleur.

Pire, dans les plans d’évolution de ces structures, la place des joueurs n’est même jamais évoquée, et cela créé un malaise certains auprès des compétiteurs. Il n’y a pas de fumée sans feu, quand chaque départ se solde par un drama, c’est que les joueurs se sentent peu considérés. A trop vouloir faire tourner la machine, à trop vouloir distribuer du rêve en tube, ces structures ont peut-être oublié  quelque peu les fondements de leur démarche.

« Notre but est de développer l’esport ».

Pour qui ? Pourquoi ? Pour m’enrichir à terme ou pour aider des joueurs ambitieux à s’épanouir ?  Suis-je au service de mon projet ou les joueurs sont ils à mon service ?

Quand on a la tête dans le guidon, mettre pied à terre quelques secondes pour se poser ces 2 ou 3
questions n’est certainement pas une perte de temps.

Dans le même temps quand on soutient une équipe, essayer de deviner vers quoi tend le projet de celle-ci serait certainement une bonne chose.