Ancien médaillé olympique de canoë-kayak et à présent manager de l'équipe CSGO de Vitality, Matthieu Péché nous a accordé un moment pour répondre à nos questions.

Dans cette interview, nous avons décidé d'aborder des sujets plus techniques avec Matthieu, en parlant notamment du "flow", mot anglais qui se traduit par flux (ou la zone) et désigne un "état mental atteint par une personne lorsqu'elle est complètement plongée dans une activité et qu'elle se trouve dans un état maximal de concentration, de plein engagement et de satisfaction dans son accomplissement (source)".

Rédaction *aAa* : Bonjour Matthieu, avant de revenir ensemble sur ton rôle de manager, peux-tu tout d'abord te présenter pour ceux qui ne te connaitraient pas ?
Salut, je suis issu d'un sport traditionnel qu'est le canoë bi-places slalom. J'ai participé deux fois aux J.O., quatrième en  2012 et troisème en 2016, à des coupes du monde, et je suis champion du monde dans ma discipline en 2017. Voilà, c'est tout (rires).

Tu as dû beaucoup t'investir et faire de gros sacrifices pour en arriver là, pourrais-tu nous dire combien de temps cela prend t-il pour préparer de telles compétitions et parvenir à un tel niveau de performance ?
Cela se prépare sur toute une vie. J'ai commencé tout jeune à 7 ans, les entraînements se sont intensifiés, et puis c'est devenu mon quotidien. Dès que tu poses les bases d'un projet pour aller aux jeux olympiques, tu te lèves pour ça, tu manges pour ça, cela devient ta raison de vivre. Pour les joueurs, ce sont les majors et les compétitions, en tout cas, cela devrait être le cas. On va donc essayer de tendre vers cela.


Un médaillé olympique chez Vitality (c) L'Equipe

Dans ton univers, existe t-il des pauses comme nous avons pu le voir avant le major ?
Oui, on en a. Surtout quand on pratique un sport d'été comme moi. Il y avait un break en septembre après les championnats du monde, et avant de reprendre l'entraînement en hiver. L'entraînement hivernal c'est la base du succès, ce que personne ne voit, le dessous de l'iceberg, le travail de fond qui conditionne notre saison. Il y a des pauses, mais pas trop non plus.

Essaies-tu de mettre en application tout ce travail de fond à tes joueurs chez Vitality ?
Oui, c'est une chose que j'essaye de mettre en place. En douceur, car cela ne sert à rien de tout déformer. Notre projet s'inscrit sur le long terme donc tout doit se faire dans l'adaptation. J'ai déjà inculqué deux, trois choses mais il reste encore beaucoup à faire. Il faut surtout que les joueurs adhèrent à l'idée. Si c'est contre-nature, ça ne marchera pas. C'est beaucoup d'explications sans passer par les ordres, il faut que tout le monde comprenne pourquoi on fait-ci et ça. Leur montrer les bienfaits, ce que cela leur apportera.

Nous allons maintenant aborder le sujet de "la zone", cette extase, ce moment unique. Peux-tu nous dire comment cela se manifestait lorsque tu étais au plus haut niveau ?
C'est vraiment compliqué à restranscrire. C'est un état où rien ne peut t'arriver. On a toujours un plan théorique comme hier par exemple face à AVANGAR, nous avions un plan théorique. Cela s'est mal passé, même moi, personnellement, dans le canoë, j'avais un plan pour passer les portes. Cette trajectoire est très importante et le but du jeu est de s'en rapprocher le plus possible. Le flow, c'est quand tu es au mieux dans cette trajectoire, quand physiquement tu es au top, et lorsque tu as des coéquipiers, la synergie doit être parfaite avec un exercice sans accroc. Sur les 1.30 minutes de courses, j'avais ce temps pour m'exprimer et c'est durant ce temps là que la zone se ressentait.

La symbiose est emmenée par tout un processus, la dernière fois que j'ai ressenti cela c'était aux championnats du monde en 2017. On a gagné. Toutes ces années d'entraînements, ces séances, la préparation psychologique en amont. Tous les détails doivent être rassemblés.

Cet état peut-il être transposé dans l'esport ? Pour toi, est-ce possible ?
Oui carrément, sauf que pour eux, ce n'est pas 1.30 minutes de performance, les matchs durent entre deux et trois heures. Il y a des hauts et des bas sur de nombreux rounds. C'est plein de séquences de deux minutes durant lesquelles il faut être au top. Entre chaque round, il ne faut pas se poser trop de questions. Il faut gérer cela sur le moment, le leader a 30 secondes pour y penser en incluant tous les joueurs. C'est là que le rôle de leader est très important, il doit penser à tout le monde sur un court laps de temps. C'est un double poste, il doit manier les priorités et appliquer son plan.

Même si les joueurs n'utilisent pas leur corps pendant les matchs, celui-ci est mis à rude épreuve pendant trois heures de concentration maximale. Si tout le monde est en forme physiquement, cela va se ressentir dans le jeu."

Quels sont les principaux aspects psychologiques que tu peux amener à l'équipe ?
La première chose à amener, c'est un cadre. Un cadre de vie dans lequel on doit inclure des horaires, des briefings, des entraînements... Une vraie discipline. Je peux aussi faire en sorte que l'équipe puisse compter sur un kiné, un nutritioniste, un préparateur mental. Avec davantage de spécialistes nous pourrions aller plus profondément dans les choses, mais c'est une vraie application au quotidien.

Quand tu es en tournoi, il faut une hygiène de vie parfaite mais aussi au quotidien. Le problème étant que je ne peux pas suivre les joueurs lorsqu'ils sont chez eux, en dehors des moments où nous sommes tous ensemble. Ce n'est pas juste des "one shot"  pour faire plaisir, c'est vraiment du long terme. Même si les joueurs n'utilisent pas leur corps pendant les matchs, celui-ci est mis à rude épreuve pendant trois heures de concentration maximale. Si tout le monde est en forme physiquement, cela va se ressentir dans le jeu.

Ressens-tu des changements depuis ton arrivée ? Les joueurs apprennent-ils de tout ça ?
Oui, je ressens les choses positivement. Ils étaient un peu surpris au début, mais ils ont vite compris que pour step-up ce passage était obligatoire. Je suis persuadé que c'est la voie à suivre pour s'améliorer. Je ne peux pas parler de l'in-game, mais de mon côté, c'est clairement la chose que je peux leur amener. Avec la somme de ces petits plus, tout cela va forcément payer. On sera devant un jour ou l'autre.

Dans le sport traditionnel, il semble que les objectifs personnels sont beaucoup plus précis et que cela aide à provoquer de l'auto-satisfaction et de la progression. Dans le milieu de l'esport, cela est-il simple à inculquer ? Les joueurs ont-ils leurs objectifs personnels ?
Les objectifs personnels sont centrés sur l'in-game et sur les momentum. Tenir son rôle, faire les kills. On place l'équipe avant tout, il n'y a pas d'objectifs en termes de stats et de reconnaissance.

Quels sont les objectifs à venir pour l'équipe CS de Team Vitality ?
Les principaux objectifs restent les majors. J'espère accrocher les deux prochains majors, on va travailler pour en tout cas.


La route est encore longue (c) ECS

Avant de terminer, nous aimerions aborder la question des JO 2024 à Paris. Que penses-tu du débat sur la place de l'esport aux JO ?
C'est la grande question mais personne ne pourra y répondre. Je pense que l'esport est à part tout autant que les JO. L'esport n'a pas besoin des JO pour exister, si le sport traditionnel a envie de venir voir ce qu'il s'y passe, qu'il vienne. Chacun fait son chemin donc pas de souci là dessus. L'un est l'autre peuvent très bien vivre sans être assemblés.

Un dernier mot concernant l'esport ?
Je suis agréablement surpris par cette scéne esport, hier j'ai autant vibré même plus que des fois devant des sports traditionnels. Ceux qui viennent d'un sport traditionnel et voient l'esport d'un mauvais oeil, j'aimerais bien les inviter pour leur montrer ça. J'aimerais qu'ils soient curieux, on parle beaucoup de l'esport et de sa mauvaise image mais je les invite tous à venir s'y essayer.

Interview réalisée en coopération avec Robin "Zarroc" Boyer.