La comparaison sport - esport est un sujet redondant, vieux de plus de deux décennies. Mais d'un point de vue juridique, le législateur a fait évoluer les choses ces dernières années...

Le cabinet d’avocats Bruzzo Dubucq a développé une solide expertise en droit de la propriété intellectuelle, en droit des contrats et intervient régulièrement en qualité de mandataire sportif. Fort de ce savoir-faire, ce dernier accompagne les esportifs au quotidien dans leur activité et proposera à compter d'aujourd'hui une série d'articles dédiés à l'esport que vous pourrez retrouver sur notre site.

Cet article est proposé par Maîtres David YBERT de FONTENELLE et Cédric DUBUCQ.

La réglementation du sport est-elle applicable à l’esport ?

Andilex, Nayte, ou Skite. En dehors des afficionados, peu probable que le commun des mortels soit sensible à de tels pseudonymes. Pour autant, les quelques noms précédemment cités sont aujourd’hui des représentants de la scène compétitive du jeu Fortnite. La place des jeux vidéo dans l’économie s’est accrue au cours de ces dernières années, à tel point que l’esport représente, à travers les jeux vidéo, le premier marché de biens culturels en France1 devant les livres ou le cinéma. 

I. Un cadre normatif assez récent 

Ce n’est qu’avec la loi pour une République numérique du 7 octobre 20162 que le législateur français a commencé à prendre la mesure de l’importance grandissante de l’esport. En effet, bien que ce texte ne soit pas entièrement consacré aux jeux vidéo, il dispose tout de même d’un volet dédié à l’esport. Ce sont les articles 101 et 102 qui traitent de la situation juridique propre aux compétitions et aux joueurs salariés professionnels de jeux vidéo.

Dès lors, une compétition de jeux vidéo « confronte, à partir d'un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire. ». 

Le joueur professionnel est défini quant à lui comme « comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d'un agrément du ministre chargé du numérique, précisé par voie réglementaire ».


L'Association France Esports, fondée en 2016, a permis à la scène française d'être
davantage entendue par les autorités - (c) France Esports

Par la suite, deux décrets du 9 mai 20173 sont venus préciser les dispositions des articles 101 et 102 : les seuils et ratios d'équilibre financier, les modalités de déclaration des compétitions de jeu vidéo au service central des courses et jeux et les conditions de participation des mineurs qu'une compétition de jeu vidéo doit respecter ont été fixés. 

En ce qui concerne les contrats de joueurs professionnels, le décret est venu définir les conditions d'obtention de l'agrément requis pour employer des joueurs, ainsi que les conditions dans lesquelles un contrat peut être conclu en cours d’une saison de compétition de jeu vidéo.

Avec ces deux articles contenus dans la loi du 7 octobre 2016, les premières pierres de l’édifice juridique ont été posées. Néanmoins, on ne peut dire que ce dernier soit terminé. L’une des grandes problématiques concerne l’application du Droit du sport à l’esport afin de combler les lacunes du modèle législatif esportif français.

II. L’esport est-il juridiquement un sport ? 

La question fait débat et ne parvient pas à faire émerger un consensus net. Si certains4 sont pour la reconnaissance de l’esport en tant que discipline sportive, d’autres5 émettent plus de réserves quant à la reconnaissance d’une telle comparaison.

À l’heure actuelle, l’esport n’est pas reconnu comme un sport à part entière par la législation et la jurisprudence française. Dès lors, le Code du Sport ne régit aucun aspect des relations qui entourent l’esport. 

Il ne présente pas la définition du « sport », ni des activités sportives qu’il régit. Ainsi, en l’absence de définition, c’est la jurisprudence du Conseil d’État qui s’est chargée de procéder à l’examen d’un faisceau d’indices pour qualifier une activité́ de sportive et pour la soumettre ou non au Code du Sport.

Parmi ces indices figurent : 

  • L’existence d’une règle sportive permettant la compétition ;
  • Le caractère physique de la discipline6 ;
  • La recherche de la performance physique ;
  • L’existence de compétitions organisées de manière régulière et sur la base de règles bien définies.

Quant à savoir si l’esport passerait l’épreuve du Conseil d’État telle qu’elle se présente aujourd’hui, rien n’est moins sûr. Néanmoins, on peut envisager dans les années à venir des changements qui emporteraient une application du Code du Sport à l’esport ou du moins la mise en place d’un régime spécifique qui reprendrait certains pans entiers de la législation applicable au sport. 

Au final, la prise en compte de l’esport n’en est qu’à sa genèse, et il faudra rapidement adapter la législation, y compris en s’inspirant des pays qui ont su innover dans le domaine. 

Par exemple, en matière de protection des mineurs dans l’esport, le gouvernement sud-coréen a adopté une loi de protection de la jeunesse (communément appelée « Shutdown Law ») en 2011. Cette loi interdit aux enfants de moins de 16 ans de jouer à des jeux en ligne entre 00h00 et 6h00, sauf dérogation expresse des parents.

En conclusion, et pour répondre à la question de savoir si l’esport est assimilable au sport, la réponse est claire : non (aujourd’hui du moins). Ceci étant, on peut vraisemblablement s’attendre à une évolution réglementaire dans les mois/années à venir d’autant que les récents événements sanitaires ont mis en exergue l’intérêt des français pour cette activité. 

1 Le Parisien
2 Loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique
3 Décret n° 2017-871 du 9 mai 2017 relatif à l'organisation des compétitions de jeux vidéo & Décret n° 2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs
4 « L’e-sport : véritable discipline sportive ? », Guillot J.-B. et Molho V., JCP E 2016, 1537
5 Sport et e-sport : une comparaison récurrente à déconstruire – Nicolas Besombes – JS 2018, n°185, p.19
6 L’agrément de fédérations sportives est à la discrétion du ministre chargé des sports. Pour les échecs en 2005, le caractère physique de la discipline a été reconnu ou n’a visiblement pas porté préjudice à la discipline. L’e- sport ne doit alors pas être mis sur le banc de touche sur ce critère. Certaines études sociologiques tendent à montrer que l’e-sport est une pratique de nature motrice.