Un sixième joueur dans sa composition, voilà une singularité qui a encore fait parler cette semaine lorsque Vitality a choisi de se séparer de Nivera. Cette décision est finalement une réaction logique au nouveau règlement imposé par Valve, l'occasion pour nous de faire un bilan sur cette pratique originale.

Des remplaçants on a déjà vu ça

Six joueurs dans une équipe de cinq sur Counter-Strike ce n'était pas une nouveauté, plusieurs formations avaient déjà tenté l'expérience notamment au commencement des compétitions sur le jeu au début des années 2000. Pour beaucoup d'entre elles, celles plus amatrices, ce choix était nécessaire à cause des études des uns et des autres, de cette manière on avait la possibilité d'avoir toujours cinq joueurs disponibles. against All authority l'avait fait plusieurs fois par exemple comme en 2002 avec la composition Maarek, bisou, Emkill, Hourdeau, r0nan et kyo par exemple. A contrario pour ceux qui se voulaient plus pro, comme goodgame à cette époque, on se cantonnait à cinq ce qui permettait de travailler un véritable jeu d'équipe et cette méthode fera clairement ses preuves par rapport à la nôtre. Toutefois certains mastodontes feront tout de même se choix d'un effectif élargi, les plus célèbres resteront les Ninjas in Pyjamas en 2001, la Team 3D en 2002 ou encore SK Gaming en 2003. Chacune à leur époque ces trois formations dominaient clairement la scène et elles n'avaient pas fait ce choix d'engager un sixième homme pour la même raison. Revenons donc sur les différents motifs qui avaient poussé ces organisations à prendre cette décision à l'époque.

Les premiers furent donc les Ninjas in Pyjamas qui à la fin de l'année 2001 choisirent pour des motifs externes au jeu de se séparer du Norvégien Jørgen "XeqtR" Johannessen. Ses équipiers, poussés par Johan "Hyb" Carlund décidèrent de le remplacer par Jerry "Souledge" Carlund, sauf que rapidement ce dernier ne fera pas l'affaire en termes de niveau de jeu et les ambitions suédoises les pousseront à chercher un autre joueur. Or à cette époque le principal problème des NiP c'est l'argent. Ils avaient beau dominer outrageusement la scène, les gains tardaient à être versés quand ils n'étaient tout simplement pas oubliés, et déjà en avril 2001 l'équipe n'avait pu se rendre à la première compétition internationale d'envergure de l'histoire de Counter-Strike, la CPL Speakeasy 2001 à Dallas, faute d'argent pour se payer le voyage. Il fallait donc se financer et cela fut fait via un accord gagnant-gagnant entérinant l'arrivée de deux nouveaux membres. Le premier c'était Michael "ahl" Korduner qui débarquait en provenance de 2easy, le second c'était Johan "vesslan" Ryma en provenance de MAFIA et qui justement avait un contact au niveau sponsoring qui pourrait aider tout le monde à voyager aux États-Unis. C'est donc par opportunisme que les NiP choisirent de jouer à six, sans les difficultés pour financer un voyage aussi couteux depuis la Suède ils n'auraient jamais eu de remplaçant. Malgré cela on retient de vesslan qu'il était un excellent joueur, considéré comme l'un des meilleurs leaders du monde à l'époque et un excellent sniper. La légende veut d'ailleurs que ce soit en grande partie grâce à lui que la finale du Winner Bracket de la CPL Winter 2001 ait été remportée contre les Xtreme 3, même si ses coéquipiers choisiront de ne lui laisser aucune minute de jeu lors de la grande finale du tournoi.


Team 3D avec kane, moto, Bullseye, Ksharp, Rambo et steel

Les seconds à utiliser 6 joueurs furent les Team 3D qui justement évoluaient auparavant sous le tag Xtreme 3. Seconde meilleure équipe du monde à l'époque, ils prendront la décision de prendre un sixième homme tout simplement, car dans leurs rangs ils avaient un Canadien (Ognian "steel" Gueorguiev). Or à l'époque tous les ans vous aviez un tournoi à ne pas manquer, il s'agissait des World Cyber Games (WCG) et dans le règlement il fallait que tous les membres de votre équipe aient la même nationalité. Alors la Team 3D recruta Dave "kane" Cannon, ce dernier participera à d'autres compétitions sans restriction de nationalité tout de même, cela permis de créer une cohésion dans le groupe, mais également des tensions, car personne n'avait spécialement envie de céder sa place. Pour trancher, on en vint donc parfois à tirer à la courte paille afin de décider qui resterait sur le banc pendant que les autres joueraient. Aucune tactique particulière n'avait été conçue pour six, les profiles de chacun étaient très similaires permettant d'intervertir n'importe qui, et finalement l'apport de ce membre en plus était extrêmement limité.


SK Gaming avec elemeNt, HeatoN, Potti, ahl, SpawN et fisker

Ce sera plus ou moins la même histoire à l'origine pour SK Gaming, ces derniers vont recruter le jeune suédois Abdisamad "SpawN" Mohamed pour remplacer le Norvégien Ola "elemeNt" Moum qui n'était pas disponible pour les WCG du fait de sa nationalité et, accessoirement ce dernier n'ayant que 16 ans à l'époque, il était parfois retenu pour raison scolaire. Finalement SpawN restera dans le groupe même quand elemeNt sera disponible et lors de la CPL Winter 2003 il remplacera Michael "ahl" Korduner avant que l'équipe ne joue le match le plus important de la compétition contre les NoA. Ce fut un véritable coup tactique réalisé par les Suédois dans le but de surprendre leurs adversaires, mais également de profiter de l'état de grâce dans lequel semblait être SpawN lors de cette compétition. Cette finale restera d'ailleurs dans les mémoires, car celui qui n'était qu'un remplaçant va éblouir le monde de tout son talent étant même élu meilleur joueur de la finale. Il sera par la suite titularisé à part entière dans l'équipe récupérant la place du Norvégien décidément trop compliqué à gérer malgré son génie. Cette fois encore, même s'il y eu effectivement un coup tactique, rien n'avait été vraiment préparé à l'avance et ce fut plutôt une opportunité qui s'est offerte au dernier moment et que l'équipe à su saisir.


Astralis zonic (coach) portant le trophée du BLAST Pro Series Global Final 2019

La révolution Astralis

Il aura fallu ensuite attendre 2020 pour voir revenir les compositions à six joueurs. Les premiers à avoir dégainé furent les Danois d'Astralis avec la signature de Patrick "⁠es3tag⁠" Hansen. Toutefois à ce moment-là la structure n'avait pas spécialement pour ambition de révolutionner la scène Counter-Strike. L'organisation faisait face à des difficultés de santé pour ses joueurs, l'un d'entre eux d'ailleurs Lukas "gla1ve" Rossander avait dû être arrêté pour cause de graves symptômes liés au stress. Le remplaçant devait donc chez Astralis permettre aux titulaires de décompresser. Puis par la suite le staff a perçu (avec peut-être une inspiration de la Team AGO avec ses sept joueurs et sa tentative de doubler les postes) toutes les possibilités qu'un effectif plus large offrait. Car comment ne pas y avoir pensé avant ? Outre les difficultés que cela peut entraîner psychologiquement de ne pas jouer, d'être relégué à un rôle de joker, de savoir entrer dans une rencontre sans véritable échauffement, etc., les opportunités que cela procure tactiquement sont tout simplement imparables. Vous pourriez par exemple avoir une carte avec deux snipers de très haut niveau, puis une autre où vous auriez 4 riflers. Travailler des stratégies cachées difficiles à déchiffrer par vos adversaires si par exemple votre remplaçant ne rentre qu'occasionnellement. Vous avez également cette possibilité de faire souffler vos joueurs, ces derniers étant soumis à un stress de plus en plus intense. Ce problème est d'ailleurs devenu une véritable plaie pour toutes les écuries professionnelles et plus les mois avancent plus on retrouve des joueurs en arrêt maladie. Et puis il y a cet exemple des SK en 2003, un remplaçant en état de grâce à qui tout semble réussir et qui devient juste injouable. En bref un effectif élargi c'est l'assurance d'être supérieur à ses concurrents pour peu que l'on ait un coach qui manage ses joueurs correctement, or pour ça Danny "zonic" Sørensen chez Astralis est certainement l'un des mieux placés. Il faut également être prêt à se sacrifier pour le collectif dans l'intérêt de la tactique et donc de la potentielle victoire, un aspect compliqué dans un jeu où les statistiques individuelles sont scrutées avec insistance. Combien de fois on résume une performance au simple ratio ? Les écuries qui ont par conséquent suivi cette voie, comme les Français de la Team Vitality jusqu'à récemment, avaient tout compris. Si la possibilité d'avoir un effectif élargi était maintenue, c'était clairement le futur de Counter-Strike à très haut niveau qui allait se jouer.


Vitality avec MaT, apEX, Nivera, misutaaa, XTQZZZ, ZywOo, RpK et shox

Et c'est bien cela qui a poussé Valve à intervenir, ce nouvel étage qui apparaissait et éloignait encore un peu plus les professionnels des amateurs. Car finalement si l'éditeur n'a absolument jamais rien décidé dans la manière dont CS se jouait avant Global Offensive (MaxRrounds 15, MaxRounds 12, Best of 3, 5 ou 7, format Suisse, double élimination ou poule et phases finales), depuis qu'ils ont repris la main sur leur produit ils veulent en fixer certains contours. Par conséquent si les équipes veulent les modifier, ce n'est pas via un passage en force qu'il faut opérer, mais plutôt en s'organisant collectivement sous la forme d'un syndicat des puissants. Comme au football par exemple avec le syndicat des grands clubs européens qui cherche ces derniers mois à créer une nouvelle ligue plus fermée. Puisqu’aujourd'hui deux visions s'affrontent, la première celle des équipes est de pousser toujours plus loin la complexité du jeu et l'amener dans ses retranchements, tout en se sécurisant une place permanente au soleil. Une apparition des remplaçants officiellement modifierait totalement cela et ouvrirait de nouvelles perspectives. De l'autre côté Valve, qui n'a pas non plus envie de créer une élite intouchable, où seuls les plus riches seraient avantagés puisque capables de payer les salaires supplémentaires, et souhaite que le jeu conserve les mêmes règles que l'on soit un gros noob qui fait cuire des merguez dans la banane d'inferno ou Mathieu "ZywOo" Herbaut.

Comme dans n'importe quel sport au final CS:GO doit fonctionner par un dialogue entre club et instance dirigeante. Il est clairement plus facile pour Valve de choisir de rester tel qu'on est depuis toujours plutôt que de devoir modifier son règlement, son mode matchmaking et finalement réfléchir à combien de remplaçants autoriser, quand leur permettre de rentrer (avant le début d'une carte ou pendant que la partie a déjà commencé ?), alors que personne n'avait le sentiment qu'une évolution à ce niveau-là était particulièrement utile. C'était donc couru d'avance que l'arrivée des sixièmes hommes et plus ne durerait pas, précisons malgré tout que l'éditeur n'a pas été radical en laissant la possibilité aux équipes de faire ce choix même si elles se suicidaient avec le malus qu'elles encaissaient à chaque utilisation de leurs jokers. En revanche si tactiquement cela ne nous permettra donc pas de connaitre une révolution, il serait malgré tout grand temps de se pencher sur les problèmes de stress et de surcharge de travail rencontrés par les joueurs. Ils sont en effet de plus en plus nombreux à souffrir de surmenage ou à craquer, mais pour l'instant concernant ce sujet Valve a choisi la solution de mettre la poussière sous le tapis. Or pour régler cela, il faudrait vraiment mettre les mains dans le cambouis de la machine à cash CS:GO, et ça étrangement c'est beaucoup moins facile que de sucrer des points.