Les trois clubs russes les plus célèbres en Russie ont tous réagi face à la guerre en Ukraine, chacun avec une réponse différente. Faisons le point sur les conséquences du conflit sur la politique générale de ces organisations professionnelles.

Trois clubs, trois stratégies face à la guerre

Il y a plus d'un mois maintenant, l'armée russe faisait son entrée sur le territoire ukrainien, or cette décision aura eu des conséquences sur la scène esportive. Outre les sanctions des pays occidentaux à l'encontre des intérêts russes, les retraits de sponsors et les difficultés pour obtenir des visas par les membres des équipes, les directions des trois plus importants clubs locaux auront elles aussi réagi à leur façon face à cette situation inédite. Ceux qui concentraient toutes les critiques étaient les dirigeants de Virtus.pro, tout simplement car c'est l'organisation qui possède les liens les plus proches avec le régime russe (et cela même si officiellement ils s'en défendent). Côté VP donc la décision a été prise de... ne pas prendre de décision et de démentir toutes les accusations de collusions avec Vladimir Poutine ou le gouvernement. Une position difficilement défendable puisque depuis de nombreuses années le patron de la structure, celui qui l'avait faite renaître de ses cendres en 2011, Anton "Sneg" Cherepennikov a toujours été un soutien de la politique du chef d’État russe. Proche de l'ancien président fondateur de Moscow Five Dmitry Smilyanets, qui était un membre central d'une des plus importantes affaires de piratage informatique dans les années 2010 soupçonnée d'être téléguidée par les services secrets russes, Sneg a accepté au fil des années les investissements de différents oligarques très proches du pouvoir afin d'assurer le développement de son entreprise devenue la plus importante dans l'esport en Russie.

Après avoir reçu 100 millions de dollars en 2015 en provenance du milliardaire Alisher Usmanov (touché par les sanctions des gouvernements occidentaux depuis le début du conflit ukrainien), puis en ayant diversifié ses activités suite à la création d'une filiale ICS Holding qui travaille en collaboration directe avec les services secrets russes dans la mise en place de solutions d'écoutes et de renseignement. Les Virtus.pro ont également vu entrer dans leur capital la société d'assurance publique SOGAZ en décembre 2021, elle-même détenue par le géant gazier Gazprom dont l'actionnaire majoritaire est l'Etat russe. VP est également devenu depuis février une filiale du géant des réseaux sociaux russes VK, dirigé depuis décembre 2021 par Vladimir Kiriyenko lui-même fils de l'ancien premier ministre Sergey Kiriyenko. Malgré tout Virtus.pro campe sur sa position accusant les Occidentaux de culture de l'effacement (cancel culture) et préférant par la même occasion se positionner en tant que victime arguant qu'ils n'ont jamais reçu la moindre subvention publique et se sont construits via des investissements privés. Un argumentaire qui n'aura pas empêché l'organisation de rencontrer des problèmes que ce soit sur Dota 2 lorsqu'ils ont dû déclarer forfait en pleine GAMERS GALAXY: Dota 2 Invitational Series Dubai 2022 car ils refusaient de prendre position publiquement contre la guerre, ou bien sur Counter-Strike: Global Offensive puisque leurs joueurs disputent l'ESL Pro League Saison 15 sous une bannière neutre (Outsiders) sans que les logos ou sponsors du club ne puissent être affichés.

Cette position de Virtus.pro tranche radicalement avec celle d'un autre club russe : la Team Spirit. Ces derniers, derniers vainqueurs de The International et félicités pour cela directement par le président Vladimir Poutine fin 2021, ont quant à eux fait le choix de la délocalisation de leurs bureaux. Toutefois ils n'ont pas choisi leur destination au hasard, se sachant visés par les accusations ils ont décidé de se rendre dans un pays ami de la Russie, qu'ils connaissent bien mais également situé en Occident : la Serbie. C'est donc à Belgrade et cela jusqu'à nouvel ordre que la Team Spirit va s'installer prochainement avec l'ensemble des employés qui suivront ce déménagement et leurs joueurs. Le pays d'ex-Yougoslavie possède déjà des installations régulièrement utilisées par plusieurs écuries internationales et la Team Spirit avait déjà pris place à Belgrade chez Relog Media en mai 2021 par exemple afin de s'y entraîner. Cette décision nécessite d'importants coûts logistiques liés au déménagement de l'intégralité du club mais elle permet de passer à l'ouest et ainsi de bénéficier de la même clémence que les Russes qui jouent dans des structures occidentales (Entropiq en tête). De cette manière la Team Spirit souhaite se démarquer de son pays d'origine sans pour autant avoir à prendre position dans le conflit. Ils espèrent également pouvoir conserver leurs partenariats, eux qui ont dû il y a quelques jours annoncer la fin de leur collaboration avec la société de paris Parimatch, cette dernière ayant décidé de quitter le marché russe le temps de la guerre. La délocalisation du club, lorsqu'elle sera effective, pourra peut-être d'ailleurs permettre de renouer les liens entre les deux sociétés. Quoi qu'il en soit la Team Spirit a choisi de prendre les devant, sachant que son président a également déclaré que :

Cela ne signifie pas pour autant que nous avons quitté la Russie et que nous nous sommes effondrés. Mais une telle décision était cruciale pour le bien-être de nos joueurs et de notre staff. Il n'y a pas de culture de ligues nationales ou d'équipes nationales dans l'esport. C'est Internet, et nous rassemblons des joueurs pour construire des équipes fortes peu importe la nationalité et sans vouloir porter le drapeau d'un pays. Nous nous associons à toute la société russophone et cela ne changera jamais. Tous ceux qui nous ont soutenus dans les hauts et les bas, nos vrais fans comptent beaucoup pour nous. Cela n'empêche que nous continuerons à créer du contenu et à communiquer avec le public en russe.

Nikita Chukalin - président Team Spirit

Troisième structure et troisième manière de réagir face au conflit. Extrêmement discrets sur la question les Gambit Esports ont toutefois connus des remous en interne. Cela a mené vers une décision difficile à prendre mais nécessaire puisqu'elle est désirée par l'ensemble de la section Counter-Strike: Global Offensive. Ainsi on apprenait par le biais du spécialiste de la scène russophone Aleksey "OverDrive" Biryukov le 15 mars dernier que l'équipe était à vendre. Cette information a depuis été confirmée par des canaux officieux sans pour autant que la direction ne s'exprime sur le sujet. La première conséquence de cette décision a été le retrait de sa position de manager le 16 mars dernier de Konstantin "groove" Pikiner. Ce dernier faisant partie du pack mis en vente, il ne pouvait plus être lié au club et est donc repassé entraîneur dans l'organigramme. Concernant la vente elle ne pourra se faire avec un pays occidental et les négociations auraient donc débuté avec des structures chinoises et originaires du Golf. Pour l'heure rien n'a été acté et cela même si selon certains acteurs informés comme Vitalii "v1lat" Volochai (commentateur et fondateur de MainCast) : « Il faut l'acheter, l'équipe est très bon marché. Si j'étais directeur de club, j'envisagerais d'acheter l'équipe de Gambit. Bien sûr, il faudra les déménager dans un autre pays. Il n'y a pas d'avenir pour les tags Gambit et VP actuellement. S'ils ne trouvaient pas de club hors de Russie, beaucoup d'équipes refuseraient de jouer contre eux. » A l'heure actuelle les joueurs Gambit Esports disputent l'ESL Pro League Saison 15 et se retrouvent dans la même situation que les Virtus.pro, c'est à dire qu'ils jouent sous bannière neutre (Players) sans sponsor.

On se retrouve donc aujourd'hui avec trois clubs et trois directions différentes prises en réaction au conflit en Ukraine. Les équipes demeurent soudées, seule celle des Virtus.pro a montré quelques signes de craquement avant le début de la Pro League, mais la situation pourrait rapidement évoluer si jamais les conditions pour obtenir des visas venaient à se durcir. L'objectif pour tout le monde reste le PGL Major Anvers 2022 du mois de mai et avant cela, les qualifications pour s'y rendre qui se joueront à Bucarest d'ici quelques jours. Afin de contrer cette éventualité d'une impossibilité de voyager depuis la Russie, l'ensemble des organisations ont pris la décision de laisser autant que possible leurs joueurs en Europe et de retarder leur retour à la maison. Certains ont pu être suivis par leur famille proche, on pense notamment au Kazakh Abai "HObbit" Hasenov père de famille et qui a pu être accompagné durant toute cette période difficile par sa femme et sa fille dans ses déplacements. A voir si sur le long terme ces différentes stratégies auront des conséquences ou non sur l'intégrité même des clubs, de leurs équipes et leurs performances en tournois.