Si aujourd'hui n'importe quel suiveur de la scène esport connait la ville polonaise de Katowice, il faut bien avouer que cette reconnaissance n'est pas si vieille et qu'hormis dans le domaine de la compétition de jeux vidéo, on a très rarement entendu parler de cette ancienne cité minière.

Comment Katowice est devenue la capitale de l'esport ?

Mais alors comment le chef-lieu de la région de Silésie et ses 320 000 habitants sont devenus en l’espace de quelques années un rendez-vous incontournable pour tous les joueurs ? Avant 2013, date du premier tournoi organisé à Katowice, l’esport avait déjà tenté de s’implanter dans plusieurs villes avec plus ou moins de succès. La France avait par exemple sa coupe du monde l’Electronic Sports World Cup (ESWC) que l’on a vu débarquer en 2003 au palais des congrès du Futuroscope de Poitiers, puis assez rapidement à Paris. Les plus vieux se souviendront d’ailleurs de la meilleure édition de tous les temps organisée en 2006 en plein cœur de la fabuleuse arène du palais omnisports de Paris-Bercy (devenu aujourd’hui Accor Arena). Mais cela n’aura eu lieu malheureusement qu’une seule fois. Un autre dinosaure de ces débuts de vie de l’esport avait également tenté d’imposer une ville dans les têtes des joueurs, il s’agissait de la Cyberathlete Professional League (CPL) dont les grandes finales à Dallas restent pour beaucoup synonymes de matchs de légende. Malheureusement le circuit a disparu en 2008 et Dallas n’a pas survécu à cette faillite.


*aAa* à l’ESWC

Autre exemple, aux alentours des années 2010 une métropole chinoise a tenté de tirer son épingle du jeu en devenant « the place to be  », il s’agit de Chengdu et ses plus de dix millions d’habitants. Mais cette fois encore, si l’endroit possède de nombreux atouts, de nombreux freins notamment politiques ou pour l’obtention de visa viennent freiner cette extension. On a même tenté Séoul, la Mecque du sport électronique, mais là aussi ça n’a pas été aussi simple qu’avec « Kato » aujourd’hui (problème d’horaires pour diffuser les matchs en occident, de politique avec ses voisins, etc.). Alors, allons chercher du côté de ceux qui se sont classés numéros 1 dans l’organisation de tournois sur les jeux vidéo. Les Allemands de l’Electronic Sports League (ESL) ont tenté plusieurs villes à travers le monde (New York, Shanghai, Chengdu, Philadelphie, Dubaï, Leipzig, etc.). Finalement c’est surtout à Cologne qu’ils ont réussi à s’imposer tous les ans en s’appuyant sur le salon du jeu vidéo le plus important d’Europe : la Gamescom. Une autre ville allemande aura permis d’organiser plusieurs années de suite un rendez-vous récurrent de son circuit, il s’agit d’Hanovre où cette fois-ci on s’appuyait sur le CeBIT (plus grand salon pour les technologies de l’information au monde). Malheureusement ce dernier n’existe plus depuis 2018 et l’ESL a donc perdu l’un de ses repères historiques.


La soucoupe de Katowice et son célèbre écran

Qu’importe, depuis 2013 c’est la onzième ville de Pologne qui est devenue synonyme d’esport pour tous les suiveurs de la scène. L’aventure débute dès le début de l’année avec une étape des Intel Extreme Masters VII. C’est suite à l’annulation de la halte régionale devant se jouer en Chine à  Guangzhou que Katowice saura saisir sa chance. Un conflit territorial entre la Chine et le Japon avait entraîné une importante tension en mer de Chine causant l’annulation du Shenzhen-Hong Kong-Guangzhou ACG Expo où devait se jouer les tournois esport. Par conséquent il s’agissait simplement de trouver un nouvel endroit pour y implanter une étape régionale de la compétition phare de l’ESL. À cette époque c’est toujours à Hanovre que les Allemands donnent rendez-vous au monde entier pour assister aux finales mondiales des Intel Extreme Masters. Katowice n’est donc à l’origine d’un simple bouche-trou qualificatif, choisi au hasard et soufflé par un membre du bureau polonais de l’ESL. L’édile de la ville s’est vite montré très intéressé par la venue des joueurs. La mairie cherchait justement un moyen pour pouvoir tournoi la page avec son passé industriel et s’ancrer dans le troisième millénaire. David Neichel, le co-président de l’ESL, déclarait d’ailleurs ceci à ce sujet :

Fin 2011, nous cherchions un endroit où implanter une compétition. On a étudié plusieurs possibilités, mais on a très vite fixé notre objectif sur Katowice. On a beaucoup discuté avec la ville, on a expliqué ce que nous voulions faire et nos interlocuteurs ont compris le projet et l’ont soutenu. Ils voulaient changer l’image, industrielle, de la ville. Katowice s’est en partie transformée grâce à l’esport.

Cette première compétition organisée à Katowice se traduit par un succès totalement inattendu. l’ESL est totalement débordée par l’affluence. L’entrée était gratuite et la capacité d’accueil n’était que de 10 000 spectateurs. Rapidement il faudra fermer les portes et on est passé tout proche de la crise tant les fans étaient venus nombreux pour voir les Polonais d’ESC Gaming (Loord, pasha, TaZ, kuben et neo) s’imposer sur Counter-Strike: Global Offensive, les Russes de Gambit Gaming sur League of Legends et le Coréen First sur StarCraft II. Ce succès inattendu permettra à Katowice de rester déjà dans les mémoires des organisateurs allemands, ils seront aidés par le coup de pouce de l’éditeur de CS:GO Valve qui fera de Katowice en 2014 le second tournoi qu’il soutiendra financièrement (après la DreamHack Winter 2013). Les Inter Extreme Masters deviennent alors l’ESL Major Series, une compétition d’un tout autre calibre puisque les gains passent de 80 000$ tous jeux confondus en 2013 à 250 000$ l’année suivante. C’était le déclic qu’il manquait à Katowice pour entrer définitivement dans le circuit international des jeux vidéo de compétition. Le public répondra toujours présent, la ville et ses commerçants se plient en quatre pour accueillir du mieux possible joueurs et spectateurs. Les habitants ne laisseront pas passer cette chance énorme de devenir une place forte du sport électronique et bien leur en aura pris. Car si en 2014 on dénombrait plus de 73 000 visiteurs (et que l’on avait appris de son erreur de 2013) c’était plus de 170 000 que les organisateurs seront capables d’absorber en 2018. Une croissance fulgurante qui voit fleurir des hôtels, restaurants et toute une industrie touristique devant s’adapter extrêmement rapidement. 2018 sera d’ailleurs l’année où un nouveau palier est franchi, deux événements distincts sont montés. Un premier en février exclusivement sur DotA 2 avec 1 million de dollars de cash, puis un second en mars sur Counter-Strike: Global Offensive et StarCraft 2 permettant d’empocher 500 000$ sur le FPS et 250 000 sur le RTS.


L’ESL Arena Katowice

C’est fait Katowice est devenu la capitale mondiale du sport électronique et l’ESL n’a pas fini d’investir sur place. Outre la location de la salle omnisports du Spodek (soucoupe en polonais) qui permet d’accueillir le public, les Allemands ont également ouvert des studios avec l’ESL Arena Polska. Notons d’ailleurs que la rénovation complète du Spodek en 2009 afin d’y accueillir l’EuroBasket aura été un plus non négligeable dans le développement de la ville. Outre la capacité qui fut réduite pour des raisons de sécurité, l’enceinte peut aujourd’hui accueillir 11 500 spectateurs (7 776 sièges permanents, 1 560 sièges provisoires et 1 700 places additionnelles) avec un écran d’affichage vidéo cylindrique LED devenu iconique, des loges VIP et tout le confort d’une salle moderne pour un montant total des travaux estimé à un peu plus de 15 millions d’euros. Alors même si aujourd’hui pour cause de pandémie Katowice n’a pas pu accueillir de public pour la première fois de son histoire, le studio ESL tourne à plein régime afin de permettre malgré tout une diffusion des rencontres en direct de la capitale mondiale du sport électronique. Une capitale que finalement personne n’avait vu venir.