Quelques jours avant le début du PGL Major, la rédaction a eu l'occasion de discuter avec Mathieu « MaT » Leber, joueur légendaire sur 1.6 et désormais bras droit du coach Danny « zonic » Sørensen chez Vitality.

A la rencontre de MaT

En fin d'année dernière, Vitality annonçait que des changements allaient avoir lieu au sein de son équipe Counter-Strike: Global Offensive, générant de nombreuses réactions au sein des communautés française et internationale. Deux mois plus tard, la formation est au complet et fait rêver tous les amateurs du FPS de Valve.

Quelques jours avant le lancement du PGL Major, la rédaction a posé quelques questions à Mathieu « MaT » Leber, pour revenir sur ces changements et sur les débuts de l'écurie franco-danoise. Entretien.

Le 7 novembre dernier, comment as-tu vécu l’annonce de changements de joueurs au sein de l’équipe ?

C’était soudain… Je n’irai pas jusqu’à dire “incompréhensible” mais il y a un peu de ça. Parce que forcément on était en plein boulot et en pleine quête. Forcément, comme on a la tête dans le travail et qu’on se bat pour notre projet, ça reste quelque chose de marquant. Après j’ai du mal à dissocier l’aspect professionnel et humain. Ce n’était pas qu’un projet français, c’était aussi une équipe composée de personnes qui sont plus que des collègues à mes yeux. Il a fallu arrêter de travailler avec elles, ça n’a pas été la meilleure journée de ma vie, très clairement. Ce n’est pas le meilleur souvenir que j’ai chez Vitality, et c’est compréhensible.


Revenons sur l’aspect équipe française. Penses-tu que l’on peut revoir une équipe française au plus haut niveau international ?

Oui je le pense, il n’y a pas de raison que cela n’arrive pas. En prenant en compte ce que nous avions vécu et les possibilités de rafraîchir l’équipe en restant compétitif, il était évident qu’un changement de cap et partir à l’international était nécessaire. Vitality a des ambitions extrêmement fortes, c’est indéniable. Avoir une équipe 100% française qui peut se permettre un top 10 c’est envisageable, la preuve avec HEET qui peut accrocher n’importe quelle formation, mais réussir à rester au très haut niveau et franchir des étapes sur une longue période, c’est plus compliqué. Ce n’est pas impossible, mais c’est bien plus compliqué. 


Tu disais être très proche de XTQZZZ. Lorsqu'il est parti, aurais-tu pu le suivre ? Était-ce une option pour toi ?

Je ne vais pas mentir, nous n’en avons pas discuté. Ca aurait pu être envisagé car nous avions une relation forte, que ce soit dans le travail ou en dehors du cadre professionnel, ça fonctionnait bien. Cela m’a traversé l’esprit, comme nous pourrions le voir dans un sport collectif où l’entraîneur est suivi par son staff, mais mon choix était de rester et de franchir le cap de l’international avec Vitality.

Pourquoi as-tu décidé de rester chez Vitality ?

J’ai simplement basé ma réflexion sur le fait que ça fait plusieurs années que j’ai entrepris un travail avec des joueurs français, Apex, ZywOo et Misutaaa. Je pense que pour les personnes qui me connaissent depuis de nombreuses années sur cette scène, même quand j’étais joueur, j’ai toujours été fidèle. Je me suis toujours senti bien chez Vitality et surtout très bien avec ces personnes-là. Ça m'est apparu comme une évidence de ne pas partir et de continuer de travailler avec ces jeunes gens. Il y a eu aussi une bonne accroche avec les personnes qui nous ont rejoints. Ça n'a pas été évident mais je suis rapidement tombé en adéquation avec ce que je ressentais et ce que je pouvais entreprendre pour l’avenir.

Comment s’est passée l’intégration des nouveaux arrivants dans le groupe ?

Comme j’ai pu le dire il y a quelque temps au micro de Vitality lorsqu’on était dans les tournois, iIl y avait une envie mutuelle de travailler ensemble et je crois que ça a été fait dans de bonnes conditions pour que nous apprenions à nous connaître. Nous avons été faire un team building en montagne pour se découvrir et créer un groupe. Ca me semblait être de bonnes personnes et ça s'est vérifié extrêmement vite. Ils sont arrivés avec les meilleures intentions, une grande humilité. Et chacun voulait se nourrir du parcours de l’autre. De leur côté, leur parcours n’est plus à présenter, et du nôtre, ça faisait deux saisons que malgré énormément de complications, de période Covid, de changements volontaires ou non de joueurs, nous nous en sommes toujours sortis. Nous avons réussi à créer quelque chose d'extrêmement fort avec Dan (Apex) en capitaine et en lead, et avec Mathieu (Zywoo) qui a eu et su garder un niveau stratosphérique, puis le développement de Kevin (misutaaa). Je pense que nous avions énormément de choses à pouvoir s’apporter mutuellement et ça a été fait de la meilleure des façons qu’il soit. Et ça je pense qu’il faut également de mettre au crédit du staff, j’englobe Matthieu Péché, Lars et l’ensemble de Vitality qui a permis de mettre en place cette cohésion d’équipe qui est je pense notre plus grande force depuis le début.


Mathieu « MaT » Leber, assistant coach depuis plus de deux ans chez Vitality

Donc finalement le côté humain que nous avions dans l’ancienne équipe, nous le retrouvons encore beaucoup dans cette équipe ?

Oui, c’est peut être le noyau fort de cette équipe, avec une "supériorité française", qui fait ça. Ça a toujours été la force de notre équipe CS chez Vitality, même avant que j’arrive dans la structure car je pense que ces fondations ont été implantées par Rémy. Ce n’est pas une surprise de voir Dan, Mathieu, Kevin s’en nourrir et être aussi accueillant et aussi ouverts sur cet aspect là. C’est aussi à mettre au crédit de Rémy par rapport à tout ce qu’il a accompli à la base, même s’il a rejoint quelques mois après l’ouverture de la section. C’est agréable de voir que ça n'a absolument pas changé en ce point. 

L’arrivée de Zonic, c’est un gros changement pour toi, tu travailles directement avec lui en tant qu'assistant coach. Zonic a également été ton adversaire à l’époque de Counter-Strike 1.6. Comment se sont passées vos retrouvailles ?

On s'est surtout découvert car il a fait plus de tournois internationaux que moi. On n’a pas eu à cette époque-là, de par mon anglais, l’occasion de pouvoir échanger et être proche. On constate dans ses différentes interviews qu’il est très proche de ses joueurs, qu’il est très humble alors qu’il a un parcours exceptionnel. Ça se ressent dans le quotidien, via son travail et ses relations humaines. C’est quelqu’un de formidable, on a eu forcément aucun mal à échanger et se mettre d’accord sur ce qu’on voulait et comment on voulait travailler. Il a pu comprendre que j’étais très bien dans mon rôle et que j’étais à la disposition de l’équipe pour quelque tâche que ce soit et que j’allais m’adapter à ce qu’il souhaitait et ce dont il avait besoin. En ce sens il n’y a eu vraiment aucun obstacle, aucune barrière, ça a été très rapide. On s’est très bien entendus et ça perdure maintenant. Je pense que ca se voit sur les quelques images que vous avez pu voir de nous en tournois, dans les différentes vidéos de Vitality, quand il y en a autant, ca ne trompe pas.

Tu parlais d’une relation qui s’est très rapidement mise en place en trouvant une méthodologie de travail. Est-ce que tu pourrais différencier la méthode de travail de Zonic et celle de XTQZZZ ? 

Mon rôle n’a pas vraiment changé, c’est beaucoup d’adaptation avant et après les événements. On se répartit les tâches, je peux faire des focus différents, des focus plus précis suivant les thématiques de la journée ou de la semaine. C’est juste de l’échange au préalable et ainsi je m’adapte aux besoins. Ils ont une manière de travailler qui peut se rapprocher énormément, ils ne laissent pas grand-chose au hasard. 

Pourrais-tu détailler les tâches de ton quotidien au sein de l’équipe ? 

Par préparation et adaptation, j’entends se préparer à toutes les possibilités, en ayant un focus sur nous-mêmes et sur l’adversaire. Le structurer de manière académique et le décrire serait vraiment impossible. C’est vraiment énormément d’observation. On y verra peut-être de ma part l’envie de pas divulguer grand chose, je vous laisse interpréter cela à votre façon.

On va revenir à Katowice 2022, comment s’est passée cette expérience de coach ? Une expérience que tu avais déjà un peu vécu fin 2021 sur un match. 

J’avais déjà eu une expérience fin 2021 parce que Rémy était malade, j’avais dû le remplacer dans un match contre G2 à la Blast au pied levé. Cette fois-ci c’était différent parce que je l’ai su avant. Je ne me pose pas plus de question que ça, je le fais parce que c’est une nécessité. On vivait une période compliquée, et on supportait complètement Danny dans cette épreuve, donc ça a été une période très compliquée pour nous (je dis on parce qu'on englobe le groupe dans cette période). Mais c’est juste qu’à un moment donné il n’y a pas à tergiverser, c’est une nécessité, il y a des échéances, il y a un souci, on remplace au pied levé et on donne tout ce qu’on a. Il n’y a pas à réfléchir davantage. 

Est-ce que cette expérience t’a donné envie de devenir coach un jour ? 

Je ne sais pas… Je suis quelqu’un qui pense que c’est difficile d'avoir un très bon numéro 2. D’avoir une très bonne personne qui apprécie ce rôle de l’ombre. Je fais partie de ces personnes qui s'épanouissent là-dedans. Je ne dis pas que je n’ai pas apprécié, parce que forcément d’être au plus près des joueurs et vivre ces moments-là, c’est assez indescriptible. On se sent vraiment dans la partie et il y a une vraie performance physique là-dedans. Lorsqu’à X moment on a une idée pour influer sur le déroulement de la partie ou lorsqu’on fait des rappels de certaines choses et qu'on voit que ça fonctionne, c’est un sentiment assez indescriptible. Il y a une part de satisfaction d’avoir été présent pour ces joueurs au quotidien et d’avoir apporté quelque chose, c’est quelque chose d’assez exceptionnel. Je comprends maintenant pourquoi certains apprécient autant même s'il y a aussi l’autre côté qui est très difficile, avec énormément de stress comme tous coachs dans tous sports. A l'heure actuelle je m'épanouis dans le rôle que j’ai et je suis très satisfait. Donc tant que je pourrais travailler avec ces gens-là, avec des gens avec qui je m’entends bien et avec qui j’ai envie de donner 150% de ma personne j’en serai satisfait. Je n’ai pas cette notion carriériste.

Les arrivées de Magisk, Dupreeh et Zonic en amènent une autre arrivée, celle de Lars Christian Robl (Lars). Peux-tu nous décrire son rôle ?

C’est une personne qui est chargée d’avoir un suivi avec les joueurs. C’est un psychanalyste du sport, vous aurez facilement accès à son parcours (il me faudra beaucoup trop de minutes pour pouvoir en parler). C’est le genre de personne qui attire l’attention lorsqu’elle va prendre la parole, écrire quelque chose, faire passer un message. C’est une personne qu’on écoute. On sait pertinemment que ce qu’il va dire, il ne le dira pas pour rien. Il pointe toujours juste les choses dont on a besoin, les choses que l’on peut ressentir lors des matchs à haut niveau. C’est une personne qui va pouvoir faire un travail énorme avec les joueurs, avec le groupe pour atteindre les objectifs car comme j’ai dit le souci c’est de rester à très haut niveau sur une très longue période, voire même de toujours progresser. Pour ça on a besoin de personnes intelligentes et pointues pour savoir sortir le bon débrief au bon moment, pour pouvoir sortir les idées claires de nos évènements et pour garder cette ligne directrice afin d'atteindre nos objectifs. Ce sera une personne qui sera un peu plus éloignée de nous, puisqu’il n’est pas au quotidien avec l’équipe. Et on a besoin de ces gens-là parce que forcément lorsqu’on est dans un groupe 24h/24 on peut omettre des choses. Il a un rôle prépondérant et on s’appuie fortement dessus.

L’équipe semble très bien s’entendre, mais les premiers résultats ne suivent pas (Vitality est sortie du top10 hltv.org). Comment expliques-tu ces débuts compliqués ?

Les expliquer complètement, peut-être pas, parce qu’on pourra forcément me targuer de ne pas être objectif et de vouloir les protéger. Je pense qu’on a quand même très bien démarré avec le tournoi Blast, même si évidemment c'était un début de saison avec énormément de changements suite au Major. Cette Blast était particulière mais je pense qu’on l’a bien abordée. On a montré de très bonnes choses même si on n’a pas joué énormément de maps. Mais je pense surtout qu’on a montré des valeurs et déjà un travail assez conséquent, après une seule semaine de préparation, qui pouvait laisser entrevoir de très bonnes choses. 

Le fait est qu’on a eu quelques soucis extra sportifs et on pourrait se dire que ça ne devrait pas nous impacter, en tout cas pas à ce point-là, mais bien sûr que ça a eu un impact et je trouve ça logique. Ce groupe se doit d’évoluer avec son honneur et son coach, et ça a forcément freiner notre progression. Ce Katowice est à mettre entre guillemets pour moi, nous faisons un BO3 contre Heroic de très bonne facture, car selon moi si on gagne contre eux, cette question se poserait moyennement, en tout cas sur Katowice ca nous faisait passer les groupes et nous assurait de passer en quart de finale. En revanche, le match contre Gambit (l’équipe Cloud9 aujourd’hui) était très décevant, c'est une évidence. Le point noir restant pour moi, peut-être ma seule déception sur ce début de saison, c’est de ne pas passer les groupes en ESL Pro League (EPL) et d’avoir proposé un match contre Faze où on était tres loin de ce qu’on pouvait montrer. C’est le pire match depuis le début de la saison. Ca sera soumis à votre interprétation, je n’ai peut être pas la même lecture que vous. Je pense que lorsqu’on reprend match par match il y a de très mauvais matchs mais il n’y en a pas tant que ça quand on commence vraiment à s’y plonger. Il y a des matchs qui coûtent cher mais sur cette EPL on s’est retrouvés, et on ne s'en sert pas comme excuse, avec un groupe très élevé. On était avec Ence (qui est une équipe en EPL qui performe toujours), Furia et Faze, ce qui n’était pas une poule très simple et on ne s’est pas retrouvés dans les meilleures conditions pour de nombreuses raisons que nous garderons pour nous et pour lesquelles nous travaillons énormément. 

Mais bon, si on compare tout simplement notre pire période avec le milieu d’EPL et notre qualification au Major, je pense qu’on a pu entrevoir tout le travail qui a été fourni par l’équipe. Je remets tout ça dans cette perspective, je vous laisse votre interprétation parce qu’au RMR nous perdons 2 matchs contre Faze et Navi avec des scores serrés avec un RMR qui s’est retrouvé le plus difficile depuis très longtemps. Et sortir de ce parcours, j’en suis extrêmement satisfait, on a montré à tout le monde qu’on était de nouveau dans de très bonnes dispositions et sur une pente ascendante.

Un mot de la fin ? 

Je remercie *aAa* pour cette interview, ce fut fort agréable et ça fait toujours plaisir de revenir sur les pages de cette structure qui forcément est particulière pour moi, depuis toujours. Et je remercie aussi nos supporters et la structure Vitality qui nous met dans les meilleures dispositions possibles, dans le quotidien, dans le travail. 

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