Une sombre histoire a été rendue publique sur Twitter suite aux révélations du patron de la structure serbe GameAgents. Elle concerne la scène roumaine de Counter-Strike et la situation de monopole malsain qui y règne via la mainmise d'un seul groupe : Nexus Media.

Cash Investigation en Roumanie

La Roumanie sur Counter-Strike: Global Offensive cela peut vous sembler lointain et c'est normal. C'est une scène peu suivie, qui intéresse rarement les organisateurs d'événements et, hormis les DreamHack Bucarest, on n'en a pas connu beaucoup d'autres là-bas au niveau international. Or justement, se faire oublier permet à certains de visiblement mettre la main sur l'intégralité du marché national. Ainsi cette histoire débute avec des faits de transferts entre la structure GameAgents et celle de Nexus Gaming (la structure numéro 1 dans le pays). Il faut savoir que GameAgents est loin d'être une organisation totalement propre, elle connait régulièrement des retards de paiements dans les salaires de ses joueurs et son dirigeant n'est pas basé en Roumanie mais en Serbie. Pourtant ce dernier a fait le choix d'intégrer le marché de ce pays voisin suite à différents essais avec à peu près toutes les nationalités européennes. Les salaires sont peu élevés, la scène est vivante et grâce à la fameuse galaxie Nexus il y a une belle compétition régulière diffusée en streaming.

Bref pour en revenir à ces transferts, Aleksandar Gligorić l'a eu un peu mauvaise quand Nexus Gaming est venu chercher deux de ses joueurs en employant des méthodes loin d'être morales. Le premier, Alexandru "s0und" Ștefan, a été approché en avril 2021 par le concurrent, au moment où il arrivait au terme de son contrat et se trouvait proche de prolonger. Nexus a donc profité de l'occasion de le chiper pour zéro euro en s'infiltrant astucieusement dans le créneau où le joueur était finalement libre. Jusqu'ici rien d'illégal mais on peut comprendre qu'on l'ait mauvaise. La seconde histoire est intervenue quelques temps plus tard, le 19 mai 2021. Cette fois c'est le jeune Laurentiu "lauNX" Tarlea qui intéressait Nexus Gaming. Manque de chance il avait un contrat tout neuf puisqu'il avait été recruté le 16 avril 2021 en remplacement d'Alexandru "s0und" Ștefan justement. Le montant réclamé pour son transfert était toutefois correct puisqu'il s'élevait à 10 000€. Nexus acceptera la transaction mais refusera par la suite de payer arguant d'un vice de forme dans le contrat du joueur, ce dernier ayant signé électroniquement. Cette fois c'en était trop, et c'est pour cette raison qu'Aleksandar Gligorić a décidé de vider son sac. Or sans son message jamais nous ne nous serions intéressés à la scène Roumaine, alors qu'en y regardant de plus près il y avait pas mal de choses à voir.


Le Nexus Gamers Pub situé à Bucarest

La galaxie Nexus

Pour remonter l'intégralité du fil que nous avons tiré, il faut repartir de l'origine de ce business. Tout commence en 2016 lorsque le bar gaming Nexus Gamers Pub, situé au 45 du boulevard Tudor Vladimirescu dans la capitale roumaine Bucarest, ouvre une structure esport. Immédiatement le propriétaire Alexandru "Zetion" Ion recrute une équipe Counter-Strike: Global Offensive et se lance dans l'aventure du sport électronique professionnel. Moins d'un an après la création du club, ce dernier change de nom et devient Nexus Gaming restant malgré tout lié au bar initial qui est en quelque sorte le quartier général de l'organisation. Bénéficiant de toutes les facilités de nos anciennes salles de jeux en réseau, le tout avec du matériel de 2021, les joueurs ont des conditions excellentes pour s'entraîner. Rapidement d'ailleurs Nexus Gaming gravit les échelons avec des effectifs toujours 100% roumains. Il arrivent ainsi dès le mois de janvier 2017 (soit un an après leur création) à la 73ème place du classement HLTV.org. Un mois plus tard ils remporteront leur premier trophée européen avec la CEVO Saison 11 - Europe Main en s'imposant en finale face aux Bulgares d'Outlaws 2-1 (16-10 Mirage / 03-16 Train / 16-13 Cache). Puis ils poursuivront leur progression pour réussir à intégrer le top 50 dès le mois de juin 2017.

Par la suite il y aura comme partout des changements. Ils perdront des joueurs en cours de route, connaîtront une crise importante entre le printemps et l'été 2019, pour finalement revenir aujourd'hui à un niveau qui les place aux alentours du top 100 international. Si au niveau compétitif les dirigeants se sont rendus compte assez rapidement qu'ils ne parviendraient malheureusement pas à intégrer le top 30 mondial, cela ne les a pas empêché de poursuivre leur développement. Sauf qu'à ce niveau-là, ils sont aujourd'hui en situation totale de monopole. Ils ont notamment ajouté dans leur giron une autre équipe assez peu connue hors de ses frontières mais composée de deux des streamers les plus populaires du pays : suxeN. Dans cette équipe plutôt montée pour le fun, on retrouve également le patron de Nexus Gaming, Octav "ang" Cretu. Outre ce second cinq, Nexus a également créé une nouvelle société appelée Nexus Media. Cette dernière est détentrice de la plus importante compétition roumaine depuis 2019, la Romanian Esports League (REL), offrant cette année une dotation de 20 000$. Mais elle joue aussi un rôle d'agence auprès d'influenceurs dans le pays tout en se proposant d'organiser différents événements liés aux jeux vidéo. Et forcément, parmi ces influenceurs, vous en trouvez certains qui évoluent au sein de suxeN, la vitrine fun du groupe.


Ils possèdent également une équipe féminine

A la tête de l'ensemble de ce groupe devenu tentaculaire entre le bar, la structure esport, le tournoi, l'agence et l'organisation de rendez-vous gaming, on retrouve toujours le même duo composé d'Alexandru "Zetion" Ion et Octav "ang" Cretu. On retrouve par ailleurs un troisième homme important à la baguette pour la partie technique, un jeune développeur du nom de Jad Al Zu’Bi, qui s'occupe d'organiser les coulisses mais n'intervient pas dans les décisions de la direction. Les objectifs de Nexus ? Laissons les donc nous expliquer ce qu'ils font exactement et ce qu'ils recherchent :

Nous sommes la ligue roumaine du sport électronique. Nous sommes le premier organisateur de tournois en Roumanie et nous mettons un fort accent sur la valeur de la production et le divertissement en direct. Notre objectif est d'élever la scène esport roumaine et de faire entrer le phénomène du jeu en compétition dans le courant dominant. Nos événements ont recueilli plus de 17 000 000 d'impressions et 2 100 000 vues en 2020, nous avons battu le record du nombre de téléspectateurs simultanés en Roumanie avec 14 286 personnes. Nous avons également eu des résultats exceptionnels avec plus de 15 partenaires depuis notre création en 2019. Cependant notre route ne fait que commencer et nous nous engageons à avoir une vision expansive qui améliorera continuellement nos projets, notre portée et les résultats que nous livrons à nos partenaires.


Les joueurs Nexus ont leur propre espace réservé dans le bar

Les abus de Nexus

Jusqu'ici, vous vous direz probablement que certes ils possèdent désormais un empire dans le sport électronique en Roumanie, mais qu'après tout c'est plutôt une bonne chose si cela aide au développement de la scène locale. Et vous auriez raison, si et seulement si Nexus ne profitait pas de sa position dominante pour écraser tout éventuel concurrent. Tout d'abord en possédant et organisant la plupart si ce n'est tous les tournois du pays. Lieux où ils ne se privent pas de favoriser leurs équipes en cas de besoin. Un simple exemple factuel survenu dernièrement, lorsque l'équipe vitrine suxeN n'est pas parvenue à se qualifier pour la saison 3 de la Romanian Esports League, les organisateurs ont utilisé un stratagème audacieux mais efficace pour les inviter malgré tout. Ils ont organisé un vote où la communauté devait choisir parmi un panel d'équipes dans le même cas que suxeN, et où celle qui récoltait le plus de voix était invitée. Naturellement, quand dans votre collectif vous avez des streamers et autres influenceurs populaires c'est plus simple, et suxeN a recueilli plus de 90% des votes sans forcer. Inutile également de signaler qu'organiser un tournoi au sein duquel deux équipes que vous sponsorisez concourent cela s'appellent un conflit d'intérêts, et même en Roumanie on se pose des questions quant à l'impartialité des événements.

C'est donc en pillant ses concurrents en usant de stratagèmes limites pour ne pas payer les transferts, et en ayant posé sa main sur l'intégralité de la scène esport roumaine que Nexus s'est développé. Ils sont aujourd'hui clairement en situation de monopole là-bas et il est impossible d'évoluer dans le sport électronique sans être en contact avec eux. D'ailleurs cette position égémonique leur a permis d'accroitre encore davantage leurs revenus en 2020, cela malgré la crise et la fermeture de leur bar pour cause de confinement. Bar qui bénéficie par ailleurs d'une aide exceptionnelle de l'État pour faire face aux difficultés liées à la pandémie. Cette croissance des revenus encaissés par Nexus Media a donc atteint 16,5% sur un an. Cela en partie grâce à la signature de contrats d'événementiel auprès de grandes marques comme Redbull, ASUS Republic of Gamers, KFC, mais aussi en faisant la promotion de leurs propres joueurs dans des rendez-vous sponsorisés qui leurs sont dédiés, ou bien tout simplement via l'organisation de la Romanian Esports League et sa dotation qui est passée de 7 000$ en 2020 à 20 000$ en 2021. De tels écarts démontrent une santé financière affirmée, surtout que chez Nexus quand on se sépare d'un joueur on le vend plutôt bien. Le dernier en date étant le jeune de 21 ans Ivan "iM" Mihai recruté par la Team GamerLegion au mois d'avril 2021 et dont malheureusement le montant du transfert n'a pas été dévoilé publiquement.