Cet article est tiré du blog de ROGAAAJJ, vous pourrez le retrouver ici. Pour cet édito, il est question de la mise en place d'une fédération dédiée au sport électronique, un avis que la rédaction aAa partage.

 

FFJV logo

 

Parfois, il y a tellement de choses à dire dans un seul billet qu’il est difficile de savoir par où commencer. Ne tournons pas autour du pot, il va s’agir ici d’un nouvel arrivant et pourtant déjà gênant nouvel acteur : la Fédération française de Jeu vidéo (FFJV), un acteur qui à l’image de l’orthographe de son nom est imparfait, et pire que ça, pourrait nuire à l’image du sport électronique en France.

 

Ces derniers mois, le sport électronique a vu son aura croître, en particulier grâce au fer de lance qu’est OGaming. Alors qu’il y a quelques années, les médias généralistes grand public ne parlaient eSport et même plus largement de jeux vidéo que lorsqu’il fallait évoquer les addictions et autres problèmes, aujourd’hui, les données ont changé, et les articles sur l’émergence du sport électronique se font de plus en plus courants.

 

Pourtant, régulièrement, des affaires, ces fameux « dramas » viennent rappeler que la scène française manque cruellement d’un organisme pour la gérer, la régulier, la contrôler. Entre structures champignons, évènements qui se chevauchent au niveau des dates où encore Eclypsia, nom unique qui symbolise à lui seul une multitude de dérives, les exemples sont nombreux pour nous rappeler qu’il est urgent de poser des bases saines au sport électronique français.

C’est dans ce contexte que des gens d’E2G, qui se présentent sur leur site comme des « acteurs majeurs du jeu vidéo » (de l’eSport ?), ont décidé de créer la FFJV, ce qui, il faut le rappeler, a déjà été tenté plusieurs fois dans le passé. Les premiers pas sur leur site internet donnent une impression plus que mitigée. Une pale copie renommée et inachevée du site E2G, et un logo qui ferait certainement bien rire les graphistes de chez SK Gaming, s’ils étaient au courant que des gens utilisent des parties de leur blason sans autorisation. Mais si les choses s’arrêtaient là, il n’y aurait rien de grave.

 

Une fédération est, comme son nom l’indique, une entité reconnue qui a pour but de fédérer un ensemble de personnes autour d’un projet commun. Sur le site de l’INSEE, une définition précise de la fédération sportive est disponible :

 

Une fédération sportive est une union d’associations sportives (régie par la loi de 1901), dont l’objet est de rassembler les groupements sportifs qui y sont affiliés ainsi que les licenciés, dans le but d’organiser le pratique sportive à travers notamment les compétitions. Les fédérations peuvent être agréées par le ministère : la loi leur reconnaît alors une mission de service public. Parmi elles, certaines reçoivent une délégation pour organiser la pratique d’une discipline sportive. Elles passent avec l’État un contrat permanent autorisant l’organisation de compétitions.

 

De fait, compte tenu du caractère non officiellement reconnu (par l’Etat) des acteurs actuels du sport électronique français, et de la volonté de la FFJV de créer un (enième) nouveau circuit de qualification dans le but de se qualifier pour une finale nationale, alors la FFJV entre en concurrence avec ces autres acteurs. Le problème, c’est que ce terme de « Fédération française » a une connotation officielle, et la norme veut qu’une discipline soit gérée (et donc partiellement dépendante) par sa fédération lorsque celle-ci existe.

 

Illustrons ceci par un exemple. Nous avons déjà évoqué le fait que des articles sur le sport électronique sont de plus en plus fréquents sur les sites généralistes d’actualité. Cette tendance qui va forcément continuer à se développer fait que rapidement, des journalistes, mais aussi des gens qui lisent ces articles seront des personnes sans aucune connaissence du milieu eSport, ayant Internet comme seul outil pour rechercher plus d’informations à ce sujet. A t-on envie que les gens considèrent la FFJV comme instance gérante du sport électronique en France, elle qui est gérée par des gens qui n’hésitent pas à aller défendre leur bout de gras dans les commentaires de news les concernant, et en faisant preuve d’un manque de connaissance flagrant ? Pensez vous à la crédibilité de la discipline ?

 

Non, les MFJV ne sont pas une entreprise. Non, une fédération n’est pas quelque chose qui doit arriver comme un cheveu sur la soupe, en annonçant des chiffres totalement farfelus et espérer un certain nombre de licenciés dans un futur plus ou moins proche. Non, le fait de publier un site internet en travaux quand on prétend être l’organe qui va « construire » le sport électronique français n’est pas anodin. Et que dire de l’utilisation des logos sur le bas de la page principale de ffjv.org ? Millenium et Esportsfrance sont-ils des partenaires de la FFJV ? Si c’était le cas, je ne suis pas sûr que le staff EsportsFrance aurait fourni un logo, l’étoile rouge, qui n’est plus utilisé depuis un bon moment maintenant…

 

Il est d’ailleurs très étonnant que ces sites d’actualité aient relayé l’information comme une simple information, sans analyse préalable, ni critique constructive. L’apparition d’une fédération aurait de grosses répercutions sur la scène française, et ne devrait pas être traité à la légère comme une simple actualité quotidienne.

 

Je ne reviendrai pas ici sur des points de législation qui entourent l’utilisation du terme « fédération », les plus motivés, ou simplement les spécialistes sont plus à même de déchiffrer le Code du Sport (art L131-3). Simplement, il faut se poser des questions, des questions dont les réponses façonneront l’avenir du sport électronique en France, et auxquelles il semble malheureusement que les gens de la FFJV n’aient pas forcément réfléchi.

 

Est-il normal qu’une fédération française naisse sans concertation avec des acteurs présents pour certains depuis une quinzaine d’années ? Est-il normal qu’une fédération qui se veuille officielle soit dirigée par un président aussi responsable d’E2G, une structure qui entre en concurrence avec d’autres acteurs français. Le règlement parle éventuellement de financement au niveau des départements des associations (sous-entendu, des équipes) rattachées à la FFJV, un peu comme un club sportif reçoit des subventions des collectivités territoriales, mais a t-on réfléchi au statut des joueurs et des équipes dans le futur ? Associations, sociétés (et sous quelle forme) où encore franchises attachées géographiquement (à la manière des franchises de sport US) dans un contexte où l’activité du sport électronique se recentre autour des éditeurs de jeux vidéo, avec des équipes salariées de ces entreprises. La professionnalisation du sport électronique doit-il mener à une séparation entre le milieu des joueurs professionnels et celui des joueurs amateurs, à l’image de ce qui se fait dans le football (FFF/LFP). Dans ce cas, comment penser la séparation de ces deux parties, alors même que c’est cette universalité et cette proximité entre joueurs casuals et professionnels qui est l’une des forces du sport électronique. Manifestement, non, toutes ces questions sont sans réponse. Le règlement de la FFJV établit un système de cotisation/licences du 1er janvier au 20 décembre de l’année civile, est-ce que cela signifie que la FFJV désire établir son calendrier en fonction de l’année civile, ou veut-elle se retrouver avec un renouvellement obligatoire de licence en plein milieu de sa saison eSportive, si elle suit le calendrier plus largement adopté dans les milieux du sport et de l’eSport ? La FFJV compte-elle rattacher son championnat national avec une compétition internationale (DH, ESWC ?), une chose qui se fait déjà à l’heure actuelle avec l’ESWC, et qui forcerait cette fois cette FFJV à s’ouvrir avec ses « partenaires » de l’eSport.

 

Le jour où la vraie fédération verra le jour, elle sera issue d’une réflexion collective, entre tous les acteurs importants de la scène française, qui ne sont au final pas si nombreux. Gameo (Millenium), Oxent (ESWC, Esportsfrance), Turtle Entertainment France (ESL.fr), Alt-Tab Productions (OGaming), où encore des acteurs moins importants mais désormais bien ancrés, VaKarM, eGG-One et autres… Ah, et on en oublierait presque… les MFJV !

 

Actuellement, il est impossible de fonder une fédération, une réflexion sera nécessaire. De plus, et j’ose l’avancer, le nombre de gens, en France, susceptible de se placer à la tête d’une fédération digne de ce nom, c’est à dire reconnue par l’Etat, et rattachée (car c’est ce qu’il faut espérer pour le futur) au Ministère des Sports, est extrêmement réduit. A vrai dire, à l’heure actuelle, des gens qui auraient une ancienneté, une légitimité, mais aussi et surtout une vision d’ensemble et d’avenir du sport électronique pour se placer à la tête d’une telle instance, sont au nombre de deux : Matthieu Dallon, et Samy Ouerfelli, deux personnes bien trop occupées par leurs activités professionnelles pour se lancer dans pareille aventure.

 

Le but de cet article est donc d’attirer l’attention sur les trop nombreuses zones d’ombre qui entourent cette FFJV. Si E2G veut lancer un énième circuit LAN français, c’est tout à fait leur droit, même si cela ne fera que complexifier encore davantage la situation. Mais non, s’il vous plait, n’utilisez pas ce terme de « fédération française », en venant couper l’herbe sous les pieds de ceux qui sont là depuis des années. Et si ces messieurs d’E2G ont déjà, comme ils le sous-entendent, effectué des démarches officielles, c’est un joli doigt d’honneur à tous ceux qu’ils prétendent défendre et rassembler.