Atila Yesildag, responsable du département esport de PUBG Amsterdam, l'homme de l'ombre de la PEL, a répondu à nos questions.

Tout d’abord, pouvez-vous vous introduire auprès de la communauté *aAa* ?
Je suis Atila Yesildag, je travaille pour PUBG Amsterdam, qui couvre la région EMEA (Europe, Moyen-Orient, Afrique, ndlr) de PUBG. Je suis le responsable du département esport de PUBG Amsterdam. Nous nous occupons, moi et mon équipe, de tout ce qui est lié à l’esport sur la région EMEA.

Pour les néophytes qui nous liraient, pouvez-vous nous raconter comment l’écosystème esportif de PUBG a évolué, des IEM Oakland au FACEIT Global Summit ?
Ça a été une aventure, de vraies montagnes russes ! Nous avons cherché à réaliser de nombreux événements, dont notre gros événement de l’année dernière à la PGL, pour prouver que ça avait un intérêt et que l’on pouvait offrir aux gens, à nos spectateurs, une expérience grande et réaliste de Battle Royale. Il nous a certes fallu un certain temps pour organiser les ligues régionales. Pour ce qui est de la PEL, nous avons comme promis commencé en 2019 avec la phase 1. C’était une phase plus courte, mais je pense que c’était à la fois court et intense. Il y a eu beaucoup de beaux matchs, beaucoup d’action. C’est ENCE qui a gagné et ça nous a amené au FACEIT Global Summit, qui a été notre premier événement global. Je dois dire que c’était vraiment spectaculaire, tout s’est très bien passé. Il fallait y être, l’ambiance était électrique, notamment quand Cpt (joueur chinois des 4 Angry Men, ndlr) avait fait 17 kills et atomisé une équipe entière… oui, il fallait être là.

Il y a deux ans et demi, PUBG et le Battle Royale en général étaient présentés comme le futur de l’esport. Maintenant, considérant la façon dont les choses ont tourné en 2018 puis en 2019, pensez-vous qu’il est toujours possible pour PUBG de s’imposer comme un jeu esportif majeur ?
Je pense que les gens ont vu très haut et ont un peu oublié d’où toutes les disciplines venaient. C’est un long voyage, et on n’arrive pas au résultat en un, deux, ni même six mois. C’est pour cette raison que nous regardons tous vers le long terme. Je pense qu’il faudra du temps pour tout construire, mais il y a définitivement un potentiel à creuser. C’est un territoire inexploré, il n’y a pas eu auparavant de Battle Royale ayant un esport comparable à celui de PUBG. C’est un peu nouveau pour tout le monde et je pense que pour un début, c’était solide. Ce serait arrogant de dire que ce sera le futur avec certitude, c’est trop difficile à dire. Mais qui aurait pu le dire pour League of Legends il y a dix ans ?

C’est vrai qu’il y a dix ans, on n’aurait pas pu prévoir les deux jeux esport majeurs actuels que sont League of Legends et Counter Strike: Global Offensive. Parlons maintenant de la PUBG Europe League. Quels changements ont été faits, dans l’esport PUBG, pour rendre la PEL viable, et pensez-vous que ces changements ont payé ? Ou s’agit-il d’une réflexion sur le long terme ?
Il a fallu un certain temps pour établir la PEL telle qu’elle est maintenant, tout simplement parce qu’« EMEA », c’est un très large espace. Nous avons pris l’Europe de l’Ouest, l’Europe de l’Est, le Moyen-Orient et l’Afrique, puis les avons réunis dans une seule région pour faire la PUBG Europe League. On aurait pu l’appeler la PUBG EMEA League mais ça n’aurait pas voulu dire grand-chose. « Europe » paraissait être un meilleur nom et une meilleure marque. C’est pour ça que nous avons choisi ce nom. Je peux dire que ça a été un voyage incroyable, avec un début solide, de grosses équipes – je pense franchement que certaines des meilleures équipes jouent en PEL – et de grosses structures esport. De plus, nous travaillons avec StarLadder, l’un des plus gros organisateurs d’événements. On est tous à fond et on pense aller dans la bonne direction. On va continuer à grandir.

La question de l’audience apparaît comme la plus importante d’un point de vue extérieur. La phase 1 de la PEL puis la Kick-off Cup ne sont jamais allées au-dessus de 30 000 viewers simultanés, et étaient la plupart du temps compris entre 10 et 20 000. Que pensez-vous de ces statistiques ? Sont-elles crédibles ? Sont-elles bonnes, mauvaises, juste moyennes… ?
Je dirais que c’est partagé. Les audiences sont restées stables, ce qui montre que nous avons une bonne base de viewers intéressés par ce qu’ils regardent et par ce que nous avons à leur offrir, et que nous avons répondu aux attentes. Car c’est ce que nous nous étions engagés à faire et nous l’avons fait de notre mieux. J’ai hâte de voir comment nous allons croître. Si on essayait de faire gonfler le nombre très vite, ce serait contre-productif par rapport à une vision à long terme. Donc pour répondre simplement, ça aurait pu être mieux, mais ce n’est clairement pas mauvais, et nous sommes sur la bonne voie pour pouvoir capter l’audience. On ne cherche pas nécessairement à en faire une immédiatement une ligue très forte vu que c’est un début honnête au sein d’une entreprise nouvelle, et il nous faudra du temps pour la faire grandir.

Plusieurs ligues esportives professionnelles ont choisi le système des franchises. S’il marche par exemple en Chine, avec la League of Legends Pro League, il y a toujours beaucoup d’interrogations concernant l’Overwatch League de Blizzard. Quel est votre point de vue là-dessus et que pensez-vous du système de relégations qui arrive avec la phase 2 de la PEL ?
Ce que je vois, c’est qu’il y a deux modèles établis, dont l’un vient du sport traditionnel. Il y a d’un côté le système de relégations et, de l’autre, une manière plus « américaine » de faire les choses avec le système des franchises. Les deux sont viables et leur acceptation est différente, mais pour moi, les deux fonctionnent. Nous avons pris la décision de partir sur un modèle traditionnel de relégations dans le but d’amener les meilleurs talents, les meilleures équipes et les meilleures structures au plus haut niveau. Ce système a ses avantages et ses inconvénients, mais en ce qui concerne les relégations de la phase 2, aucune équipe n’est automatiquement reléguée de toute façon. Les meilleures équipes des Contenders devront jouer contre les moins bonnes équipes de PEL, pour qu’on voie qui mérite le plus de jouer dans la ligue première.


Crédit : The Game Haus

Je vois. C’est un peu ce qu’a fait Riot avec les premières saisons des LCS, quand les relégations avaient pour but d’amener les meilleures structures et les meilleures équipes au meilleur niveau, dans l’idée d’installer un écosystème viable avec différentes structures professionnelles, et de faire en sorte qu’il y ait moins de structure non méritantes. J’ai pu voir par exemple qu’en NPL, beaucoup d’équipes n’avaient pas de structure en phase 1 et en ont pour la phase 2. C’est un peu la même chose avec la PEL, en gros.
Pour la première partie, c’est tout à fait ça. Pour la seconde, je ne m’avancerai pas sur la NPL, qui ne relève pas de ma juridiction. Ce ne serait ni juste ni clair de ma part de répondre d’eux, et il faudrait plutôt leur demander à eux pour avoir une réponse précise là-dessus. Du côté de la PEL, en tout cas, nous n’avons pour l’heure pas eu de problème d’équipe et les grosses organisations sont toujours là. Il y en a même plus. Bref, ça ne s’applique pas à nous, tout se passe bien et c’est très positif pour le tournoi. Il y a des tags traditionnels dans notre région, comme TSM par exemple.

Le système de points a été ajusté pour la phase 1 de la PEL, avec plus de points pour les kills et moins pour le classement. Cela a-t-il été fait pour favoriser l’agressivité ? J’ai entendu des gens dire que c’était une « trahison » envers l’esprit du jeu, qui consiste à survivre le plus longtemps possible. Cela vous apparaît-il légitime ?
Oui, on y a réfléchi, en partie avec les joueurs pro de différentes régions. Nous avons fait de nombreux tests, notamment pendant les scrims. Il fallait ajuster les règles et les standardiser pour que tout le monde ait les mêmes et joue sur le même terrain. Nous avons aussi cherché à rendre la compétition plus intéressante pour les spectateurs, plus facile à digérer. Avant, il y avait plein de points et il était difficile à comprendre ce qu’il se passait. De plus, il y a eu une corrélation avec les anciens systèmes de points. Si on regarde, on voit que les meilleures équipes sont toujours les mêmes. Ce système a surtout changé la manière dont une game commence et se déroule. Ça rend les choses plus simples et il y a davantage d’émotions qui en ressortent. Ça s’est très bien passé, comme on a pu le voir au FACEIT, mais aussi lors des derniers week-ends de la phase 1 : niveau points, c’était toujours très serré. Je ne peux pas dire moi-même si c’était un échec ou un succès vu que je n’ai pas moi-même travaillé dessus, mais notre QG coréen a vraiment fait du bon boulot.

Pensez-vous que les différences – passées et futures – entre les règles des différentes régions, notamment le TPP qui a longtemps prévalu en Corée, ont pu avoir un impact sur les résultats du FACEIT Global Summit (remporté par la Corée, d’ailleurs) ?
Je dirais que l’évolution est achevée si on regarde de ce point de vue. On sait qu’en Asie, ils préfèrent le TPP, mais ils avaient tout de même des règles similaires, ce qui a compensé. Au final, c’est la Corée qui a gagné, donc vous avez donné la réponse. Je pense qu’il n’y a plus aucun problème maintenant que tout le monde joue sur le même terrain.


Crédit : PUBGesports.ru

Le FACEIT a été très serré, mais nous avons vu de bonnes équipes comme ENCE être éliminées prématurément. Est-ce que cela a à voir avec la RNG propre à tous les jeux en ligne ? Plus spécifiquement, serait-il nécessaire de réduire encore la part d’aléatoire de PUBG dans un avenir proche ?
Pour la première question, le fait qu’ENCE ne soit pas allée en finale me paraît logique, il y a toujours des upsets. Dans le football, par exemple, lors de la dernière Coupe du monde, n’importe quelle équipe sortie des groupes aurait pu gagner. Si on voit les choses comme ça, le football a lui-même une grosse part d’aléatoire. Ça peut paraître injuste, mais il y a toujours un upset. ENCE est encore jeune comme équipe, elle va devoir faire ses preuves en phase 2. Comme a-t-elle pu avoir autant de succès ? C’est ce qu’on verra. Pour la deuxième question concernant la RNG en général, je pense qu’on peut diviser ça en deux parties : la RNG incontrôlable et la RNG calculable. On veut réduire la RNG incontrôlable tout en maintenant un peu de RNG calculable, parce que si on l’enlève totalement, on retire aussi des outils stratégiques. Pour donner un exemple, reparlons du football : si on retirait les remplaçants, le risque pour un joueur de se blesser deviendrait un élément stratégique. Aujourd’hui, si on prépare bien son équipe, un joueur blessé peut être remplacé. Mais il y a toujours une part d’aléatoire qu’on ne peut pas contrôler, c’est pourquoi on travaille dans le but de réduire l’impact de la RNG incontrôlable sans pour autant altérer l’essence du jeu. Mais en ce qui concerne la RNG contrôlable, nous la conserverons en l’état.

Comment compareriez-vous la qualité de production de la PEL avec d’autres ligues esportives de PUBG, comme la NPL nord-américaine ou la PKL sud-coréenne ?
De mon point de vue, ce sont toujours des diffusions de qualité. Mais concernant la PEL, on ne peut pas dire que c’est suffisamment bon. Nous voulons continuer à améliorer la qualité, peu importe les difficultés que ça nous posera. Nous sommes aussi en contact avec les autres ligues esportives de PUBG, pour voir ce qui marche, ce qui est mieux fait, ce qui est moins bien fait. Ce n’est pas vraiment une compétition, nos différents partenaires nous aident sur ce point, mais nous partageons tout de même beaucoup de choses. L’événement global nous a montré à quel point nous pouvions aller loin dans la qualité de notre diffusion, et l’appliquer ensuite à nos ligues.

Si je ne me trompe pas, la phase 1 de la PEL et la Kick-off cup se sont jouées à huis clos. Cette situation sera-t-elle amenée à évoluer ?
Alors, pour la Kick-off Cup, il y avait du public. C’était un public allemand et c’était un test. Il y a encore des choses à tester au niveau régional. Mais nous cherchons effectivement à ouvrir tout ça. On rassemble des informations, on se renseigne sur des services comme vous pouvez l’imaginer, pour voir ce qui a bien marché, ce qui a moins bien marché, ce qui peut être amélioré. Et vers la fin de la phase 2, on refera une ouverture au public, pour que des gens puissent venir. Pourquoi pas vous ?

J’espère en avoir l’occasion ! Nous sommes à la fin de cette interview. Merci de m’avoir donné de votre temps. Avez-vous quelque chose à dire aux lecteurs d’*aAa* ainsi qu’à la communauté française de PUBG ?
J’aimerais vous remercier à nouveau pour l’opportunité, c’était une bonne discussion. Je vous encourage à continuer à regarder PUBG. La phase 2 commence bientôt, elle sera plus longue. On verra bien si ENCE peut continuer sur sa lancée de la phase 1, où si l’étoile montante Liquid viendra prendre sa place. Continuez à nous suivre, nous avons de quoi vous surprendre !