Tollé au Brésil actuellement sur la scène esport, un projet de loi visant à encadrer la pratique du sport électronique proposé en 2019 et actuellement débattu au Sénat provoque une levée de boucliers de la part de la quasi totalité des acteurs du pays. Mais de quoi s'agit-il exactement ?

Le projet de loi 383 en question

Terre d'esport par excellence, et plus particulièrement de Counter-Strike depuis de nombreuses années, le Brésil voit ces derniers jours les principaux joueurs et organisations en lien avec cette activité se dresser face au projet de loi proposé par le gouvernement et en débat au Sénat. Le projet de loi PLS383 souhaite imposer un modèle fédérateur dans le pays. Une pétition en ligne a même été mise en place, relayée par des personnalités aussi célèbres que le sniper de la Team Liquid Gabriel "FalleN" Toledo, ou bien le club FURIA Esports, cette dernière regroupe pour le moment plus de 10 000 signatures. Sur fond de conflit d'intérêt et de soupçons de corruption, on découvre par exemple que le fils du sénateur auteur du projet de loi, Roberto Rocha Junior, a pris la vice-présidence de la Confédération brésilienne des sports électroniques (CBDEL) un mois après que son père a déposé le projet de loi. Or justement les confédérations régionales, pour Roberto Rocha Junior celle du Nord-Ouest du pays, sont au cœur du dispositif que souhaite mettre en place les autorités locales et cette CBDEL serait la grande gagnante d'une telle législation.

C'est d'ailleurs cette même confédération qui finalement, selon les informations du site Draft5.gg, a rédigé le texte et l'a transmis au sénateur Roberto Mocha père qui n'avait plus qu'à y apposer son tampon pour le faire passer en commission. Les faits remontent déjà à 2017 et cela était passé plus ou moins inaperçu jusqu'à ce que le Sénat se décide finalement à traiter le dossier ces derniers jours. L'objectif annoncé est de donner les pleins pouvoirs dans l'organisation même de l'esport du pays à une fédération nationale dont les membres sont bien souvent guidés par des intérêts extérieurs au développement du sport électronique et cherchent plutôt à s'enrichir. Face à cette prise de pouvoir jugée frauduleuse par les structures, joueurs et acteurs locaux qui agissent depuis de nombreuses années, ces derniers ont décidé de se rebeller et de faire entendre leur voix.

Les acteurs locaux regrettent de ne jamais avoir été consultés sur le sujet et voient d'un très mauvais œil cette arrivée en force de la Confédération brésilienne des sports électroniques, avec le placement à un rôle stratégique du fils du sénateur. Ce dernier n'ayant d'ailleurs jamais montré le moindre intérêt pour l'esport en ne rencontrant aucune des structures, joueurs, développeurs, créateurs de contenu ou organisateurs d'événements. Sentant le mauvais coup arriver, c'est malheureusement au dernier moment que l'ensemble des participants historiques au développement de l'esport local se sont ligués pour agir. Par chance, suite à un premier passage devant la commission des sciences, de la technologie, de l'innovation, de la communication et de l'informatique, le président du Sénat, Rodrigo Pacheco en poste depuis février 2021, avait déclaré que la demande initiale était jugée anticonstitutionnelle. Un retour en écriture a donc été nécessaire ce qui a permis de gagner du temps et de retarder le vote jusqu'à aujourd'hui.


Roberto Rocha Junior, le politicien qui inquiète au Brésil

Mais désormais les corrections ont été apportées, l'essence même du projet n'a pas été modifiée et les griefs sont toujours les mêmes. La demande de ceux qui s'opposent à cette loi est pourtant simple et logique : ils souhaitent simplement être entendus et pouvoir participer à l'élaboration du projet de loi. Le modèle fédéral qui est proposé ne leur convient pas, donnant les pleins pouvoirs à une structure externe dont les représentants sont placés par les politiques sans aucune participation de ceux qui font vivre l'esport du pays. Les risques de corruptions, de conflits d'intérêts et de décisions déconnectées du terrain sont bien trop importants pour donner les pleins pouvoirs à ces technocrates qui n'ont jusqu'à maintenant jamais porté le moindre intérêt au sport électronique.

Finalement ce qui conviendrait aux Brésiliens qui ont signé la pétition, c'est plus un modèle à la France Esports où se sont directement les acteurs qui sont élus par la base et où chaque corps de métier serait représenté. Avec des pouvoir élargis et un budget défini, cela permettrait un véritable soutien démocratique d'un secteur d'activité qui a pris une place de plus en plus importante dans les régions les plus riches du Brésil. Pour le moment la pétition n'est pas parvenue à faire son effet et l'objectif de 20 000 signatures n'a toujours pas été atteint. Cela laisse supposer que le projet de loi 383 risque de passer finalement sans trop de problèmes lors du vote à Brasilia. Le Brésil étant déjà un État fédéral, 11 assemblées législatives du pays avaient déjà encadré la pratique de l'esport chacune à leur façon. Mais cette prise de contrôle d'une structure nationale, sans concertation et dont le vice-président n'est autre que le fils du sénateur qui a déposé le projet de loi pose problème. L'affaire sera donc à suivre puisqu'elle pourrait bien changer la manière dont s'organise l'ensemble de la scène, le procédé utilisé et cette centralisation poussée à l'extrême laissent penser que certains politiciens ont déjà une idée bien précise de la direction qu'ils souhaitent voir prendre au sport électronique dans le pays.