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Le 4 février dernier l'ESWC annonçait officiellement qu'il changeait de nom. Une nouvelle qui pouvait sembler anodine et qui pourtant en dit long sur l'évolution du sport électronique mais également de cette compétition tricolore historique.

 

Treize ans que les initiales ESWC voulaient dire Electronic Sports World Cup. Treize ans que la coupe du monde était une marque déposée française et autant d'années qu'elle nous faisait rêver (on évitera de revenir une énième fois sur la coupure en 2009). Alors quand Matthieu Dallon, le fondateur de la marque et l'un des pères de l'esport en France, a choisi de changer le nom de son bébé ce n'était certainement pas sans un petit pincement au cœur. Car lui qui voulait créer une ligue mondiale, un circuit international, qui avait réussi grâce à Cyberleague a plus ou moins fédérer la France, doit bien admettre qu'aujourd'hui la compétition de jeux vidéo a changé prenant une direction qu'on ne lui avait peut-être pas prédit.

 

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L'ESWC 2003 à Poitiers il y a treize ans - crédit : Vossey.com

 

Nous avons donc décidé de partir à la rencontre de ce grand homme de l'esport, qui a connu toutes les périodes (des plus fastes aux plus critiques) et a toujours su rebondir pour redevenir aujourd'hui l'un des acteurs incontournables de la scène. Alors pourquoi s'appeler désormais ESports World Convention, quel avenir pour cet événement incontournable de la France ? Beaucoup de questions qui nous brulaient les lèvres et que nous n'avons pas pu nous empêcher de lui poser.

 

 

*aAa* Mac Coy: L'ESWC change de nom pour l'ESports World Convention, pourquoi avoir choisi de changer à ce moment précis ?

Matthieu Dallon : Qui connait aujourd’hui la signification d’IBM, M&Ms, BMW, FIAT, HSBC… Peu de gens et cela n’a d’ailleurs pas beaucoup d’importance. Toutes proportions gardées, l’ESWC reste l’ESWC

Cependant nous opérons une modification du sens de son acronyme pour être plus en phase avec la nature des événements que nous organisons, et qui sont depuis déjà plusieurs années des sortes de conventions de sports électroniques, au sens américain du terme, c’est-à-dire des rassemblements de fans qui proposent la déclinaison de différents contenus d’un même univers (tournois, matchs sur scène, opérations spéciales, stands, démo technologiques, tournois open, conférences…).

Pourquoi maintenant ? D’abord pour des raisons de timing, nous sommes entre deux saisons. Ensuite parce que l’écosystème esport, au niveau mondial, connait une accélération de son organisation, sous l’impulsion et la régulation des éditeurs de jeu. Il nous semblait nécessaire de rationaliser aussi, après 13 ans, notre positionnement.

 

Comment évolue l'ESWC aujourd'hui ? Quelles sont les modifications de stratégie qu'a connu l'entreprise depuis sa création ? Quelle nouvelle direction et quel positionnement souhaitez-vous prendre aujourd'hui ?

Pour être précis, l’ESWC n’est pas une entreprise, c’est une marque d’événements. L’entreprise en charge aujourd’hui c’est Oxent, et l’ESWC est un de ses projets, l’autre étant la plateforme Toornament.com, qui mobilise d’ailleurs 70% de nos ressources.

L’évolution du positionnement ESWC s’inscrit dans un souci de cohérence entre les deux projets. L’ESWC, comme Toornament, doivent être ouverts et compatibles avec l’ensemble de l’industrie du jeu. Tous les tournois peuvent utiliser Toornament, soit pour leur organisation, soit pour leur médiatisation. L’ESWC doit être capable de travailler avec tout le monde, et c’est dans ce sens que nous organisons en partenariat avec Activision et la COD World League notre prochain événement au Zénith, en partenariat avec Blizzard notre ESWC en Corée, en partenariat avec Ubisoft les coupes du monde Trackmania, Shoomania ou Just Dance, en partenariat Riot la coupe du monde féminine de LoL...

 

Peut-on espérer voir malgré tout des joueurs être sacrés champions du monde d'un jeu ou bien ce titre disparait définitivement ?

Oui, bien sûr, à chaque fois que l’ESWC accueillera des finales mondiales, mais ce ne sera plus systématique.

 

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Olivier Morin et Matthieu Dallon pendant l'ESWC 2015 - crédit : ESWC.com

 

Retour à l'international pour l'événement après plusieurs années exclusivement en France. N'étiez-vous pas frileux de vous exporter après la faillite de 2008, et comment gérez-vous cela désormais ?

En 2008, l’ESWC est allé seule aux États-Unis, avec ses propres équipes. Et c’est d’abord sur le plan commercial que ça n’a pas fonctionné. Nous n’avons trouvé aucun autre support que Nvidia, dans un contexte de crise, et c’est la raison directe pour laquelle Games Services à l’époque a fait faillite.

Désormais, nous construisons les opérations à l’international avec des partenaires opérationnels locaux, à la fois en charge des financements et de la production.

 

Justement en parlant de cette faillite, quel bilan en avez-vous tiré ? Que vous a-t-il manqué et comment auriez-vous pu l'éviter ?

On ne refait pas le passé, et avec le recul je pense que cela n’aurait pas pu être évité. A cette époque, avant la création de Twitch.TV, avant l’implication stratégique et opérationnelle des éditeurs de jeu dans l’esport, tout projet tenait à la passion de ses porteurs, que ce soit dans l’organisation d’événements, dans le développement d’équipes professionnelles ou de médias esports.

Ce que je veux dire avec le recul, c’est qu’il n’y avait pas vraiment de marché. Il fallait se battre sur tous les fronts, en permanence, et je pense que nous étions tout simplement au bout d’une histoire après 8 ans de développement, sans modèle économique pérenne d’une année sur l’autre, dans un contexte de crise, et sans création de valeur car nous avions (tout) trop misé sur la partie offline.

Mais tout cela m’a évidemment formé. Tant sur le plan humain que professionnel. Moins d’un an après je créais Oxent avec Antoine Frankart. Deux ans après nous rachetions l’ESWC. Trois ans après nous lançons Toornament, déjà utilisé par plus de 20 000 organisateurs de tournois.

 

Plusieurs grands noms ont disparu des circuits compétitifs, on pense aux World Cyber Games (WCG), à la Cyberathlete Professional League (CPL) ou au KODE5 par exemple. Quel est ton sentiment sur ces disparitions d'organismes qui étaient des concurrents directs ?

On pourrait ajouter aussi, WEG, WSVG, CGS, IPL… et même MLG, dont l’absorption au sein d’Activision devrait aboutir à la disparition de la marque. Je constate qu’il reste très peu d’organisations indépendantes aujourd’hui, et encore moins de la première époque du esport, celle d’avant LoL et Riot Games.

La première raison tient à la très faible création de valeur d’une marque de compétition, lorsqu’elle n’a pas les droits d’exploitation des jeux sur plusieurs années. Ce constat vaut pour l’ESWC, et justifie notre évolution en marque de convention aujourd’hui. ESL a su par exemple se positionner très tôt comme un partenaire des éditeurs de jeu, voire même comme leur opérateur exclusif. Leur événement phare était construit sur la marque de leur sponsor Intel (IEM), pas sur une marque de compétition. L’acronyme ESL ne désigne d’ailleurs plus vraiment leur ligue, au sens sportif, mais plutôt leur savoir-faire, comme une marque de fabrique à part entière.

Tout cela dit en creux qu’en matière de esport, l’ayant-droit du jeu est roi. Il fait la pluie et le beau temps, des règles du jeu jusqu’au contrat des joueurs en passant par le calendrier.

 

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L'ESWC 2015 et le podium du tournoi FIFA - crédit : ESWC.com

 

Le modèle économique de l'esport a évolué aujourd'hui, comment voyez-vous l'avenir dans ce secteur d'activité et envisagez-vous de vous diversifier (vers les jeux mobiles ou tablette par exemple) ?

Il y a aujourd’hui plusieurs modèles économiques différents qui s’affirment dans l’esport. J’en vois 5 distincts : celui des éditeurs de jeu (exploitation des droits du jeu, monétisation ingame), celui des talents (exploitation des droits du joueur ou d’une équipe), celui des opérateurs (tous les métiers d’agence, de services, de conseil, d’organisation d’évènements…), celui des médias (monétisation d’audience), celui des plateformes (au sens technologique, comme twitch, curse voice, discord, face it, toornament …). Tous sont passionnants. Nous souhaitons être forts dans les deux derniers.

Pour ce qui est de l’évolution du esport, oui elle sera totale, à la fois encore plus « core » avec des jeux encore plus hermétiques et communautaires, comme plus « casual » sur des jeux grand public ou mobile. Et cela ne change rien aux modèles économiques.

 

Merci pour ces réponses, je te laisse le traditionnel dernier mot.

Lors d’échanges avec le SELL, et dans le cadre des débats qui animent le gouvernement en ce moment, on m’a demandé une définition un peu « institutionnelle » du eSport et j’ai transmis cela : « L'eSport, ou sport électronique, désigne l'ensemble des pratiques compétitives ayant pour moyen de confrontation, de performance et de dépassement de soi, un support numérique, et en l’occurrence un jeu vidéo.». Qu’en pensez-vous ?

 

 

L'ESWC change donc mais pour nous simples spectateurs cela ne modifiera en rien nos habitudes. Ce serait même plutôt le contraire, grâce notamment à la multiplication des événements, aux shows de plus en plus poussés que l'on nous propose et à ce rendez-vous, devenu incontournable, qu'est la Paris Games Week chaque année fin octobre à Paris. Alors oui il fallait évoluer et certainement plus se rapprocher de l'Electronic Sports League (ESL) or cela passait aussi par un nouveau nom.

La finalité dans cette histoire c'est que l'esport se porte bien, l'un de ses acteurs historiques aussi et que l'on va encore vivre, grâce à lui, de beaux moments de jeux vidéo. Que demander de plus ? Quoi qu'il en soit rendez-vous du 6 au 8 mai prochains au Zénith de Paris pour assister à la première étape ESWC de 2016.