Le 9 décembre, TF1 a diffusé dans l’émission « Sept à huit » un reportage tourné avant et pendant l’ESWC, suivant le parcours de quelques gamers français. L’équipe féminine CSGO d’Imaginary Gaming ainsi que Kevin « strenx » Baeza ont ainsi été suivis par les équipes de TF1 pendant la préparation à la Coupe du Monde des Jeux Vidéo, et le tournoi.

Sur place, lorsque nous avions vu arriver les journalistes de TF1, c’était avec un à priori tout à fait justifié, compte tenu du traitement accordé habituellement aux jeux vidéo, et à ceux qui les pratiquent de manière régulière. Ce reportage est-il dans la continuité de ce qui s’est toujours fait à la télévision ? Petit décryptajj.

 Ce groupe de jeunes et jolies jeunes femmes aime faire le show, mais une fois plongé dans son activité, ce qui domine, c’est la concentration, le sens tactique, et celui de la gagne.

Voici les mots par lesquels Harry Roselmack introduit ce reportage qui s’intitule « Kevin, vice-champion du monde de jeux vidéo », et qui malgré son nom ne s’intéresse pas qu’à strenx, mais aussi à nos championnes de France CS:GO.

« Rare sont ceux qui ont le niveau de Kévin, lui est professionnel du jeu vidéo, payé par son équipe néerlandaise. »

Suite et fin de l’introduction, qui permet de se faire une première idée sur le reportage. Avant tout, une précision : il faut tenter de s’écarter de notre point de vue habituel, celui du gamer qui connait l’eSport, et essayer de se mettre dans la peau de tous ceux qui n’ont jamais entendu parler de la discipline.

PARTIE 1 : 0.40 / 2:40 > Imaginary Gaming.

Première partie du reportage, première impression, plutôt positive. La mention faite aux situations des joueuses d’imG dans la « vraie vie » est un point positif, un peu comme si les journalistes voulaient dire « Regardez, ce ne sont pas que de simples geek, elles sont normales, et ont une situation ». La description de CS:GO, ce jeu où « des terroristes doivent poser une bombe dans un labyrinthe » peut faire sourire, mais elle résume plutôt bien le concept du jeu, dont le côté violent est tout de même souligné, bien que secondaire par rapport à l’approche tactique. S’il est fait abstraction de certaines scènes, dont celle à 2:12, qui met en avant l’humilité de ce groupe de joueuses (à propos duquel MissHarvey a fait une sortie sur twitter pendant la compétition), le reste donne l’impression d’une activité plutôt bien organisée, carrée, et sérieuse.

PARTIE 2 : 2:40 / 3:20 > Histoire de la Coupe du Monde des Jeux Vidéo.

Il faut bien avouer qu’entendre ce mot magique, eSport, prononcé sur TF1 dans un reportage qui le présente, c’est clairement déroutant. Pendant une grosse trentaine de secondes, un développement est réalisé sur l’ESWC, et son passé. Un bon point, le fait de montrer une compétition se déroulant dans des lieux connus et reconnus du grand public, tel le Palais Omnisport de Paris-Bercy, est un autre point positif.

PARTIE 3 : 3:20 / 5:40 > strenx, un gars normal avant tout.

Changement net dans le reportage, une équipe de journalistes suit strenx, l’ex-quaker et désormais joueur Shootmania, qui a participé à la Coupe du Monde sous les couleurs (RIP) d’Eclypsia. Les plans, montrant strenx qui rentre chez lui, m’ont étrangement rappelé ceux d’un autre reportage, Génération Exhibition. Dis comme ça, ça ne vous dit peut-être rien; alors « Clement le no-life », c’est certainement plus parlant ! Mais à la différence de celui qui aime « les trucs underground, genre dans les caves », on y voit comme pour la partie sur les filles d’imG un jeune « normal », plutôt bien habillé, et qui vit dans un cadre là encore « normal ». Et c’est clairement ce qui me marque dans ces premières minutes, l’envie de montrer que ces gamers sont dans la normalité (un mot très à la mode en 2012), alors qu’aujourd’hui encore, les consommateurs de jeux vidéo sont pointés du doigt au moindre fait divers, avec en guise d’exemple le plus récent la fusillade de Newton.

Cependant, en étant attentif, on pointe quelques détails qui ternissent un peu le tableau peut-être trop positif jusque là. Tout d’abord, les plans choisis pour la présentation des petits frères, avec les yeux rivés sur leurs écrans, mais aussi la « séance photos sur l’ordinateur », ainsi que le choix des mots. Ainsi, strenx est « tombé » dans le jeu vidéo, comme il aurait pu faire une autre mauvaise rencontre.

« En maternelle, il ne dessinait pas des arbres ou des soleils comme les autres enfants, mais des joysticks, et des ordinateurs »

Puis vient la minute psychologique, avec le père qui se rend compte que le fiston a passé du temps devant son ordinateur et l’auto-psychanalyse de la mère en 20 secondes, pour mener sur LA question qui devait absolument être posée : « Et le côté addictif, ça ne vous a jamais fait peur ? ». Vous croyiez pouvoir y échapper ?… :)

PARTIE 4 : 5:40 / 8:35 > Kevin va devoir dormir avec son nouvel ami, Jean-Pierre.

Le reportage suit toujours strenx, mais dans son univers cette fois, entouré de JiePie et LeKaim, ses m8s, ainsi que de Sarens, dans le rôle du vieux gourou manager. Passé l’épisode du « tu ronfles? moi non plus », peu de choses à dire. Les journalistes ont apparement eu un peu de mal à comprendre le concept d’équipes et d’équipes nationales, mais peu importe.

La scène où sont évoqués les transferts, et en particulier celui de strenx donnent une impression bizarre, une sorte de « populisme arrangé » prenant pour modèle le football, un sport que TF1 diffuse très régulièrement, et qui en cette période de crise est souvent pointé du doigt en raison des sommes gagnées par les professionnels. « D’après nos informations, quelques milliers d’euros seulement, très loin des chiffres du football ». Le football, symbole d’une certaine dérive est pourtant ici pris comme étalon de développement de la discipline. Bref, passons.

PARTIE 5 : 8:35 / 10:55 > Imaginary Gaming, bis repetita.

Nous avons droit à la présentation du matériel gamer par PrincesS, avec en fond la musique de 007, qui donne donc un ton mi-ironique, mi-moqueur à cette séquence.

Cependant, le fait de dire que ce groupe de filles ne gagne que 150€ par mois, ainsi que leur comportement après la défaite contre Ubinited, et le refus de répondre aux questions montre un manque de professionnalisme évident, et c’est dommage, surtout quand il s’agit d’exposer ensuite le sport électronique au très grand public. Pendant la rencontre imG/Ubinited, la voix-off fait état des « 800 morts » au cours de la partie, preuve que pour ces journalistes, le côté « violent » des jeux semble très important, quand bien même il s’agit d’une compétition, et que ce jeu n’est qu’un support, un moyen de s’affronter. Il est d’ailleurs marrant de penser à ces journalistes équipés de leurs petites calculettes et qui à l’aide des screens, calculent « la quantité de violence du jeu ».

PARTIE 6 : 10:55 / 12:25 > Rencontre avec Matthieu Dallon.

C’est un passage obligé pour l’équipe de journalistes, la rencontre avec celui qui dirige la Coupe du Monde, celui qui l’a créée il y a quasiment 10 ans. Peu de choses à dire de cette séquence, si ce n’est que le grand public peut s’apercevoir de l’ampleur de l’organisation. Simple point là-encore qui peut être remarqué, après la présentation de Brak, l’opposition entre le réel et le virtuel, une thématique qui va être reprise à peine 2 minutes plus tard avec la réaction à chaud de s7, le joueur des 287.

PARTIE 7 : 12:25 / > ESWC, suite et fin.

Alors que le match 287/Eclypsia est filmé, et que le reportage touche à sa fin, c’est ici qu’il y a le plus de points négatifs à relever.

« L’affaire est sérieuse, le combat n’est pas physique, ce que ces sportifs électroniques viennent chercher, ce sont des émotions, de l’adrénaline. En face de Kévin, Thibault, 27 ans, vibre comme ça à chaque partie, 10 ans que ça dure ».

Alors que l’ensemble du reportage tend à montrer que les gamers sont dans la vie des personnes tout à fait normales, cette séquence est une rupture nette. La phrase ci-dessus est prononcée sur des images qui montrent une explosion de l’équipe 287, et elle est montée sur une musique stressante. Travail sur le subconscient du téléspectateur ?…

« ça se chamboule dans la tête, il y a une liesse quand on gagne, il y a de la tristesse quand on perd, de la déception, un petit peu comme dans tout en fait. »

A cette phrase, le journaliste va répliquer : « Pourtant c’est virtuel ?! », ce à quoi s7 répond très intelligemment : « L’expérience ne l’est pas ». C’est ici que le reportage est, selon moi, décevant : nous voyons des joueurs qui montrent leurs émotions, qui explosent de joie, ou qui sont tristes quand ils perdent, mais ces émotions sont toujours ramenées au fait que le support de l’affrontement est virtuel, au lieu de faire le lien (évident) de ce qui existe dans les sports traditionnels. Oui, les jeux vidéo sont virtuels, mais tout le reste est réel dans le sport électronique : les relations entre les joueurs, la proximité du public, la concentration… Pourquoi toujours tout ramener uniquement à la facette virtuelle ?

C’est peut-être un détail, mais c’est très dommage, et c’est clairement sur ce point qu’il faut travailler. Le jeu vidéo est avant tout un loisir, un moyen de passer du bon temps, et il est normal aujourd’hui que dans la tête de la plupart des gens, associer jeu vidéo et sport professionnel soit difficile, mais c’est le chemin qui faudra suivre pour pouvoir un jour dire que la discipline s’est démocratisée.

En conclusion, que retenir de ce reportage ?

Il y aurait un peu partout dans les 15 minutes de ce reportage des choses à critiquer, dont certaines sont évoquées dans cet article. On pourrait également dire que le reportage n’est pas assez poussé, mais là-encore, souvenons nous qu’il s’agit de TF1, et d’un reportage tourné très grand public. Clairement, le traitement de la question du jeu vidéo, et indirectement, de l’eSport, évolue dans les médias, et c’est tant mieux. Nul doute que ce 16 décembre 2012, des milliers de personnes ont tout simplement appris qu’il y a des joueurs professionnels et toute une scène sportive « parallèle » à ce qu’ils ont l’habitude de voir, et c’est un bon point.

Ces derniers mois, le nombre d’articles parlant de sport électronique et de son univers a crû, notamment autour des acteurs d’OGaming, sujet de mon prochain article. D’une manière logique, plus les médias en parleront, plus l’intérêt pour l’eSport grandira, puisque l’exposition médiatique est la seule chose qu’il manque actuellement à la discipline pour qu’elle explose.

Et franchement, imaginer Claire Gallois monter sur la grande scène de l’ESWC un jour pour remettre une médaille d’or à MVP ou aux NiP, ça serait la classe, non ?

Non.

Lien vers la VOD du reportage : http://www.wat.tv/video/kevin-vice-champion-monde-5dzaj_2flv7_.html
Article original : http://www.rogaaajj.com/1088-petit-cinq-a-sept-a-huit-avec-lesport