Je ne sais pas qui ou quoi m'a poussé dans cette voie mais ce quelqu'un ou ce quelque chose m'y aura poussé d'une bien belle manière puisqu'encore aujourd'hui je ne ressens ni le besoin ni l'envie de me relever. Et oui j'y suis bel et bien tombé dans ce métier que tout le monde aime à caractériser de "plus beau métier du monde". Je me souviens encore de ces premiers mois dans ce nouvel univers qui s'ouvrait à moi. Tout d'abord plutôt inconscient des enjeux et des contraintes de ce nouveau "hobbie" j'avançais à pas léger vers un inconnu qui me semblait pourtant déjà familier. Ceci s'expliquant peut-être par le fait que mon entourage a toujours été d'humeur gourmande. Contrairement à pas mal de bambins qui veulent devenir pompier ou policier a l'orée de leur avenir, je présentais déjà un intérêt certain pour les tartes aux pommes et autres plats faciles mais demandant néanmoins quelques prédispositions pour ne pas les rater. Bref, j'ai encore le souvenir du dernier conseil de classe de troisième qui clôturait symboliquement la fin de quatre années passées dans la même enceinte de mon collège. Le corps professoral voulait m'orienter vers une filière générale plutôt que de m'envoyer dans une "voie de garage" que j'avais pourtant choisie. Malgré tout, Madame le proviseur et Madame le professeur principale feront les démarches pour m'envoyer au Lycée Hôtelier : le plus dur pour moi était fait. J'avais enfin les cartes en main pour la suite de ma vie. Après des grandes vacances où le stress prenait le pas sur la chaleur estivale, j'entrevoyais enfin l'arrivée dans ce fameux lycée à la réputation plus que bonne ces années-là. Le jour de la rentrée sonnait et celui du choc des styles aussi. Finis les jeans, baskets et bijoux en tout genre (de toute façon je ne portais pas de bijoux à l'époque) et bienvenue au lycée Hotelier : pantalons à pinces et chaussures de ville de rigueur. Avouez que pour un gamin de 14 ans, le changement était plutôt brut de décoffrage. Enfin bon, je n'étais pas le premier ni le dernier à devoir me plier aux exigences de cet établissement qui apparaissait à mes yeux comme quelque chose de prestigieux. Finalement, au fil des trois années de mon bac technologique, j'ai dompté petit à petit le microcosme éducatif de l'hôtellerie. La pression de ce milieu stricte se dissipait au fil des jours pour laisser place à un comportement plus mature et réfléchi. Malgré toutes les mises en garde des professeurs concernant la difficulté du métier, bon nombre d'entre nous étaient bien décidés à perséverer dans le milieu. Je me souviendrai toujours d'une phrase qui avait résonné dans ma tête comme dans celles de mes camarades j'imagine, et que mon professeur de cuisine avait proférée pendant un cours théorique. Belle coïncidence puisque c'est ce même professeur auquel j'avais du faire face lors de mon entretien d'admission en filière technologique. Cette phrase c'était : "Parmi vous, je suis persuadé que la moitié aura abandonnée avant la fin de ces trois années". Il avait pas vraiment tort puisqu'au moins un tiers avait déjà fuit le milieu si particulier dans lequel nous evoluions avec difficulté les premiers mois. Je parle d'un environnement particulier puisqu'il l'est. A l'époque la comparaison était quasi-infaisable entre une filière générale et celle ou j'étais. Rigueur de la tenue vestimentaire, Horaires à rallonge et surtout bipolarité de l'enseignement : le général et le professionnel. D'ailleurs, bon nombre de professeurs "généraux" devaient s'adapter à nos retards répétés résultant de travaux pratiques plus longs que prévus... Au final, ces trois premières années de découverte et d'apprentissage étaient très intenses et formatrices à la fois. Deux stages de deux mois chacun venant s'imbriquer en Juillet et Aout. Comprenez par là, qu'à 15 ans, je n'avais déjà plus de grandes vacances... Belle leçon pour nous mettre face à la réalité du métier. D'ailleurs j'ai appris il n'y a pas si longtemps que le déroulement des stages a changé. Désormais c'est au cours de l'année scolaire que ceux-ci sont effectués. Comprenez que maintenant, les élèves bénéficient de leur grandes vacances. Injustice quand tu nous tiens. Pendant que j'y suis, j'aime à me rappeler que je faisais partie de la dernière promotion à avoir passé un entretien écrit et oral pour rentrer dans ce lycée. Depuis moi, plus de "portic de tri". Coïncidence ou réel impact, toujours est-il que depuis ce changement, plus rien n'était vraiment pareil : plus de jeunes venus ici parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils voulaient faire plus tard et moins de réels motivés pour percer dans le métier. Mon lycée devenait à son tour l'un des garages pour les jeunes âmes égarées désorientées par une conseillère d'orientation plus préoccuppée par ses prochaines vacances aux Seychelles que ce dont pourquoi elle était payée. Enfin, au final, cela n'avait pas vraiment de répercussions sur ma propre personne mais entâchait un peu plus, au fil des rentrées scolaires, la réputation qui avait fait de mon école une des meilleures de France. Quoiqu'il en soit, c'était comme ça, en Juin j'apprenais donc l'affectation de mon stage tant attendu. Je partirai à Saint-Raphaël dans un Hôtel-restaurant du bord de mer. Toulouse/Saint-Raphaël, le moins que l'on puisse dire, c'est que c'était pas la porte à côté. J'avais 15 ans et je ne me doutais pas encore que ces deux mois seraient aussi riches en émotions. A cet âge, partir loin de ses proches et qui plus est pendant deux mois, c'est une réelle étape à franchir. Plus d'autonomie, moins de cocooning, telles allaient être les conséquences de cet éloignement. La séparation entre mes parents et moi fut plutôt difficile et les deux premières semaines qui s'en suivirent également... Loin de tout, confronté à ce nouveau monde qu'est celui du travail, Je n'ai pas vraiment été épargné par mes patrons qui me faisaient travailler plutôt beaucoup par rapport à la convention de stage signée quelques mois auparavant. Mais bon, c'est la réalité du métier me disait-on... Et moi j'acquiesçais sans broncher, mais en déprimant dans ma chambre une fois la porte refermée. Rajouter à ça une innondation inopinnée due à des pluies diluviennes qui avait complétement envahi ma chambre, je peux vous dire que le moral était vraiment pas au beau fixe. Enfin bon, au bout d'un mois, les choses allaient déjà beaucoup mieux. Les effets de la séparation avec mes proches s'étant dissipés au fil des jours, je commençais ma "nouvelle vie" au contact d'autres stagiaires. Finalement, deux mois plus tard, c'est un autre garçon que mes parents ont retrouvé. Plus expansif, moins introverti, ce stage aura eu un impact plutôt positif sur mon caractère. Je ressortais de cette première expérience de vie plus fort, moins fragile et susceptible qu'avant. Le mois de juin de l'année suivante, rebelote. Cette fois-ci, je partais destination la capitale, dans un grand restaurant du 16ème arrondissement en plein coeur... du bois de boulogne : c'est bizarre, mais quand je disais ça à quelqu'un, la première réaction était un rire gras suivi d'un "Hum coquin va!". J'ai vite compris pourquoi même si j'en avais déjà eu des échos de ce fameux bois. Ce stage là, je l'ai bien vécu dès le début malgré la chaleur de cette fameuse canicule de 2003, ceci provenant sûrement du fait que j'en avais déjà un dans mon escarcelle. Et contrairement au premier, je travaillais en cuisine et non en salle. LA grosse différence qui venait me conforter un peu plus dans mon choix d'orientation. C'est ici que j'ai eu mes premiers contacts avec la cuisine gastronomique de ce restaurant aux deux étoiles michelin. D'ailleurs il a obtenu sa troisième il y a trois ans je crois. C'était la première fois aussi que je découvrais Paris, ses Champs-Elysées, sa Tour Eiffel, son métro et... son bois de boulogne. Alors certes, le restaurant était implanté en plein coeur de ce lieu mythique mais bien protégé de ses habitants quelques peu étranges. A 16 ans, j'en ai vu des choses bizarres rôder dans les parages, taper dans leurs mains et siffler des passants aux allures pas très nettes toutefois. La nuit, je prenais garde de bien fermer ma porte à double tour, sait-on jamais. Enfin quand j'y repense, le fait qu'un restaurant gastronomique soit situé dans un tel endroit est plus atypique et folklorique qu'autre chose. Quoi qu'il en soit, ce stage m'aura permis de me faire entrevoir les coulisses d'une cuisine rigoureuse et perfectionniste, une cuisine que se rapprochait de ce que j'attendais de mon futur métier. J'aurais aussi eu l'occasion d'apercevoir des stars comme Jean Reno, Johnny hallyday, Jean-Paul belmondo ou encore Robert de Niro avec qui j'ai eu la chance d'être pris en photo. De beaux souvenirs donc pour un stage haut en couleurs. Des anecdotes plein la tête en repartant, le coeur serré, en territoire occitan. Des anecdotes, c'est sûr, il y en a eues. Je pense notamment aux nombreuses fois ou je suis monté sur le toit du Pré Catelan afin d'y faire mûrir des tomates encore trop vertes pour être servies au client et du jour ou de ce même toit, j'ai pu apercevoir Jean Paul en train de manger en compagnie... de son chien. J'avais bien ri et j'étais assez excité à l'idée d'être dans une position plutôt particulière, celle d'un paparazzi privilégié pouvant se délecter du spectable en toute liberté. L'autre histoire que j'ai en mémoire est sans nul doute le jour de mon départ ou avant de m'en aller nous sommes allés, mes parents et moi, manger dans ce restaurant qui m'avait accueilli depuis deux mois. Une chose est sûre, les petits plats avaient bien été mis dans les grands pour nous. Une sorte de repas que le Chef Frédéric Anton, que je salue au passage, avait pour habitude de servir à des V.I.P. Une grande joie et fierté d'avoir pu faire partager un peu de ce que j'ai vécu à mes proches à travers de ce repas extraordinaire. De retour sur Toulouse, j'entamais, après un mois de vacances mérité, ma dernière année en filière technologique. Avec tous les tracas que peut connaitre un futur candidat au baccalauréat je continuais mon petit bonhomme de chemin pour finalement obtenir mon BAC synonyme de premier vrai diplôme (oui parce que le brevet, ça sert un peu vraiment beaucoup à rien cela dit en passant). Un peu avant ça, deux options s'étaient présentées à moi : soit je rentrais dans la vie active soit je continuais les études. J'ai choisi de continuer un peu histoire d'enrichir mon savoir mais aussi de ne pas être confronté tout de suite à la réalité du travail. J'ai donc été accepté en BTS Hôtellerie ou Gestion Hoteliere, marketing, economie et autres matières générales cohabitent avec les matières professionnelles. Une année plutôt intéressante ou de nouvelles notions venaient parfaire un peu plus mes connaissances théoriques du métier et de son environnement. Entre ces deux années d'études, quatre mois de stages. Oui vous lisez bien, cette fois-ci, on double la mise. De Mai à Aout, j'allais passer ma vie à Saint-Jean-de-Luz. Je n'imaginais pas que cette ville en bord d'océan, j'allais en tomber sous le charme. Un vrai coup de coeur que ce soit pour la façon de vivre des riverains ou pour l'activité estivale touristique plutôt haletante. Bref, c'est d'un pas léger que je me rendais en territoire basque le temps d'une saison la plus mouvementée de l'année dans ce pays. L'hôtel-restaurant dans lequel j'allais effectué mon stage donnait un accès direct à la plage principale de Saint Jean puisque son activité phare était la thalasso-thérapie. Ces quatres mois en cuisine ont été les plus riches en découvertes culinaires. Mêlant la cuisine traditionnelle à celle dite "minceur", de nouvelles techniques pour alléger les plats m'étaient inculquées dès les premiers jours de mon arrivée. Vinaigrette et mayonnaise sans huile, entrées diététiques, cuisson à la vapeur, cuisson des viandes et poissons sans matières grasses, autant de principes à assimiler pour coller parfaitement à la fonction principale d'un établissement proposant des cures : faire maigrir. En marge de ce nouveau travail, j'étais logé dans un duplex avec pas moins d'une dizaine de stagiaires venus ici le temps d'un mois, deux mois ou tout comme moi le temps d'une saison. Et tout ce beau monde cohabitait d'une manière plutôt bonne. Evidemment, des rapprochements inévitables, des engueulades, de nombreuses soirées festives rythmaient la vie de cette "auberge basque". Là bas, j'ai vraiment découvert une autre facette de mon métier. Alors qu'à Paris, ma vie était rythmée plus par le travail que par autre chose, ici j'entrevoyais la notion de plaisir tout en travaillant. Et oui, pensez bien que lorsqu'on habite et travaille à quelques dizaines de mètres de la plage, le choix était vite fait quant à l'activité choisie pendant la pause de l'après-midi. C'est donc tout bronzé que j'ai fini ma période de stage fin Aout. Je peux affirmer sans nul doute que c'est ici, dans cette cuisine, que je me suis émancipé professionnellement parlant : plus d'assurance, plus de connaissances, plus d'humour : oui, plus d'humour. Et il en faut pour survivre dans une cuisine et s'intégrer le mieux possible. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que mes collègues n'en manquaient pas, au contraire ! Pour le coup, le retour sur Toulouse pour entamer ma deuxième année de BTS avait vraiment une pâle couleur. L'océan, la plage, les corps dénudés, les collègues, tout ça revenait sans cesse dans mes pensées et me replongeait dans une pathologie bénine que l'on appelle nostalgie. C'est vous dire que c'est quatres mois m'avaient complètement changé la vision du travail, à tel point que cette année d'étude s'annonçait désormais plus comme une torture qu'autre chose. Mais malgré tout, je n'allais pas rechigner à la tâche. Pour cette seconde année de, nous avions le choix entre deux options : A et B. La A permettait aux moins manuels de se diriger vers une voix de bureau à base de cours de gestion, mercatique et économie alors que la B allait me permettre de rester au plus près de ce que j'aimais faire. Quelques deux semestres plus tard, je partais plutôt confiant pour les examens bien que le mot "révision" n'était pas vraiment au coeur de mes préoccupations. Je préférais m'intéresser à l'après examen plutôt qu'à ce dernier : un peu comme on met la charrue avant les boeufs. Finalement les boeufs avaient entre temps repris les rennes puisque c'est fin Juin que j'empochais définitivement le diplôme de Technicien Supérieur. Avouez que ça sonne bien... On m'avait sollicité avant la fin de mon mandat étudiant pour m'inscrire en Licence mais j'ai refusé. Le temps était venu pour moi de rentrer les deux pieds en avant dans ce nouveau monde que j'avais à plusieurs reprises pu approcher le temps de quelques mois. Ces cinq années d'apprentissage, je les ai plutot bien vécues bien que la fin fut difficile à boucler. Passant d'un statut de novice à celui d'apprenti, je m'attendais toutefois à subir la dure loi de l'"Expérience" mais pas aussi durement. Vous devez sûrement voir de quoi je veux parler, vous les plus vieux. Lorsque les personnes à qui vous envoyez votre CV vous répondent avec cette fameuse phrase "Je suis désolé Monsieur, mais nous recherchons des personnes avec au moins 5 ans d'expérience", ou "Désolé monsieur mais vous ne correspondez pas au profil que nous recherchons". Autant de réponses qui, au final, vous font désespérer et ne plus y croire. Jusqu'au jour où une personne décide de vous faire confiance et vous permet de démarrer votre vie professionnelle. Il est amusant de remarquer qu'à l'école, le corps professoral vous fait miroiter un début de carrière tonitruant si vous obtenez votre diplôme, mais au final, on a rien sans faire ses preuves. Je ne parle que du point de vue de mon métier, mais que vous ayez un BEP, CAP, BAC ou BTS, dans n'importe quel bon établissement hôtelier qui se recpecte, une personne rentrant sur le marché du travail devra systématiquement passer par la case départ : second commis, premier commis, 1/2 chef de partie, chef de partie etc., tel est l'ordre logique de l'évolution d'un cuisinier. Aujourd'hui, au bout de trois ans de vie professionnelle, et à 22 ans seulement, j'ai su convaincre mon chef que j'étais quelqu'un de confiance qui vivait son métier avec passion. Ce dernier a su me le rendre puisqu'aujourd'hui les perspectives d'avenir s'ouvrent à moi plus vite que je ne l'aurais espèré. J'aimerais aussi mettre l'accent sur une petite chose que beaucoup de gens disent. Evitez d'employer le mot "cuistot" pour une personne exerçant le métier de CUISINIER. C'est vraiment péjoratif et dénigrant au final même si, je vous l'accorde, nous devons bien composer avec. JEAN_JACQUES.