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Blizzard trop sévère avec les joueurs de l’Overwatch League ?

 

Le 9 mars, Blizzard a officiellement annoncé une série de quatre sanctions envers des joueurs de l’Overwatch League, dont xQc qui a reçu une seconde suspension après avoir passé toute l’étape 1 sur la touche. Que s’est-il réellement passé pour que le studio américain prenne ces décisions ? L’éditeur est-il trop sévère avec les joueurs ?

 

Explication des sanctions

 

Silkthread : La sanction la plus simple concerne le DPS de Los Angeles Valiant. Une amende de 1000 dollars lui est demandée pour avoir partagé son compte. Nous avons peu de détails sur le contexte, mais il n’est pas le premier à être sanctionné pour cette raison : en décembre, Undead, U4 et Xushu de Shanghai Dragons, ont été les premiers à recevoir une amende. Ce n’est pas une violation du Code de conduite de l’OWL, mais purement et simplement, du règlement du jeu.

 

TaiRong : Ce coach sud-coréen avait partagé un meme sur Twitter à propos de la bombe atomique contre le Japon. Autant dire que c’était maladroit, d’autant plus que lui-même n’était pas au courant de l’origine de cette blague au moment du tweet, le 11 février. Il l’a donc supprimé, s’est excusé publiquement et a donné 1000 dollars à une fondation d’Hiroshima pour la paix. Ce tweet n’a pas fait beaucoup de vagues, jusqu’à ce que Blizzard décide de lui donner un avertissement formel, ce qui a relancé la controverse.

 

Taimou : Cette sanction concerne un joueur qui n’est, pour le coup, pas très connu pour sa toxicité : c’est la seconde sanction qu’il reçoit à son encontre (avec une suspension de l’APEX en octobre 2016 pour des propos inappropriés). Cette fois, Blizzard lui adresse une amende de 1000 dollars pour avoir proféré, à deux reprises, des insultes homophobes sur son live personnel.

 

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 Taimou a dû passer à la caisse

 

Ces deux insultes ont été clippées par des spectateurs et adressées à ESPN, un média connu pour faire sortir des scandales et des informations avant leur officialisation. Cette information a fait l’objet d’un article chez ESPN et il n’a fallu attendre que le lendemain pour que Blizzard lui donne une amende. Cette décision est contestable, dans la mesure où d’autres joueurs ont déjà fait de telles remarques en live sans recevoir aucune sanction : la seule différence, ici, est que l’histoire a été rapportée à un média, ce qui lui a donné plus de proportion.

 

Enfin, concernant son coéquipier xQc, la décision de sa suspension mérite bien plus d’explications.

 

 

Après sa seconde suspension, xQc va jeter l’éponge

 

Accrochez-vous, c’est long ! Le tank de Dallas Fuel, xQc, a reçu une amende de 4000 dollars (environ 3200 euros) ainsi qu’une suspension de 4 matches. Cela signifie qu’il ne jouera plus pendant toute cette étape, mais devrait rejouer dès le début de l’étape 3, le 5 avril (...s'il trouve une autre équipe). Au total, sur 10 semaines de ligue, il n’a joué que 4 semaines. En attendant, cette seconde suspension a des conséquences plus graves pour lui que la première.

 

Pour rappel, xQc a été suspendu pendant 6 semaines le 19 janvier à cause de tweets toxiques répétés, le dernier étant une insulte homophobe adressée à Muma, le tank des Houston Outlaws, qui venait en plus de faire son coming-out. Il s’en est suivi une vidéo d’excuses et des performances  discutables de la formation Dallas Fuel, qui a terminé 10e lors de l’étape 1, alors qu’elle faisait partie des équipes favorites pour la saison inaugurale.

 

A l’étape 2, il est donc revenu sur scène et n’aura pas mis plus de deux semaines pour se faire sanctionner une nouvelle fois. Ces sanctions s’expliquent par une succession de comportements toxiques de sa part : l’un encore sur Twitter, où il a déclaré que les casters de l’Overwatch League « lui donnaient le cancer », une critique du niveau de jeu de Fate sur son live, une autre de Jake et enfin, l’utilisation d’une emote sur le live de l’OWL.

 

xQc n'aura joué que deux semaines durant l'étape 2 de l'Overwatch League

 

D’abord, éclaircissons les accusations que le joueur Jake porte envers lui. Comme xQc l’a expliqué dans son live du 10 mars, il lui a reproché d’avoir lancé le meme « J LUL A K E ». Pour rappel, ce meme est censé désigner un mauvais joueur de Chacal, à l’image de Jake qui a mal joué dans un live de xQc. Désormais, ce meme a pris des proportions telles que Jake reçoit quotidiennement des messages privés d’inconnus qui lui envoient ce meme. Problème : c’est xQc qui a lancé cette tendance, ce qui le place comme responsable de la situation. Dans son live du 10 mars, il a demandé à ses spectateurs d’arrêter de le faire, mais il n’a aucune emprise sur la situation. Si sa communauté est connue pour sa toxicité, lui ne peut pas la contrôler… encore des accusations à ajouter à la pile. Mais l’accusation la plus contestable était celle de son message « TriHard 7 » sur un live de l’Overwatch League où Malik Forté était à l’écran.

 

 

TriHard 7 ? Malik Forté ?

 

Malik Forté est un animateur afro-américain (oui, cette information est importante) qui a été recruté dans l’Overwatch League à l’étape 2. Au bout de quelques jours, la communauté de Twitch a trouvé la bonne idée de spam l’emote « TriHard », qui représente un homme noir, à chaque fois qu’il apparaissait à l’écran. C’est un peu comme le fameux « J LUL A K E » qui envahit le live lors des apparitions du joueur des Houston Outlaws. Ne cherchez pas : c’est Twitch.

 

En quoi est-ce un problème ? TriHard est une emote qui représente un homme noir sur Twitch. En revanche, le texte « TriHard 7 » est une forme de salut que xQc utilise avec sa communauté depuis longtemps. En somme, toute cette affaire a commencé à cause d’un quiproquo. Ici, la question n’est pas de savoir si le fait de spam l’emote d’un homme noir quand un homme noir apparaît à l’écran, est raciste : elle se trouve dans la façon qu’a eu Blizzard de réagir à la controverse.

 

La décision de suspendre et de donner une amende à xQc est arrivée après que Malik Forté ait exprimé son aberration devant le spam de TriHard quand il apparaissait à l’écran, considérant cette tendance comme du racisme ordinaire. C’est à cette occasion que quelqu’un a posté une capture d’écran de xQc écrivant « TriHard 7 » dans le live, ce qui a donné le coupable parfait pour Blizzard. Si « TriHard » apparaît systématiquement quand Malik Forté est là, elle l’est aussi à d’autres moments du live, notamment quand xQc se montre sur le chat où l’on voit des centaines de « TriHard 7 » apparaître, puisqu’il s’agit d’une emote que lui utilise sur son live.

 

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Malik Forté est présent sur la scène esport depuis plusieurs années 

 

Blizzard a donc pris deux décisions successives : d’abord, bannir xQc pour l’utilisation de cette emote (mais aussi pour les autres comportements toxiques qu’il a eus ces deux dernières semaines). Ensuite, Blizzard a décidé le 10 mars de bannir de façon permanente les utilisateurs du chat qui utilisent l’emote « TriHard ». Autrement dit, c’est xQc qui a été condamné en premier, puis le reste du chat, qui lui a été averti contrairement au joueur de Dallas Fuel… mais voilà, xQc n’est pas à sa première suspension au sein de l’Overwatch League, ni à sa première sanction par Blizzard (banni pour toxicité auparavant), ce qui le met en position de « mauvais élève » où il ne peut plus se permettre le moindre faux pas. Ou la moindre emote, apparemment. Sur ce sujet, Malik a bien précisé qu’il ne pensait pas que xQc avait fait preuve de racisme : lui condamne l’utilisation de l’emote « TriHard » quand il est en live, une attitude que lui et ses proches subissent depuis plus de 3 ans sur Twitch.

 

xQc pense alors à jeter l’éponge. Même si certaines accusations contre lui sont parfaitement justifiées, d’autres ressemblent à des prétextes que le staff trouve pour l’éloigner le plus possible de son circuit. Dans un live du 10 mars, il a éclairci les controverses qui le concernaient en critiquant notamment la réaction de Malik Forté et la prise de parti de Slasher, un reporter qui donne très souvent des informations internes sur ce qu’il se passe dans l’Overwatch League (le sel ici). Il affirme également penser à quitter l’Overwatch League et son équipe. Même si lors de sa prise de parole on ne peut pas savoir s’il est sérieux, c’est la première fois qu’il le dit officiellement. De plus, la structure recrute un nouveau main tank le 9 mars : OGE. « Ça me brise le cœur de voir que ceux qui ne font pas de recherches ont le dernier mot » affirme-t-il dans son live. « Ceux qui s’y connaissent le moins ont le plus grand impact sur la situation. » 

 

A peine deux jours plus tard, xQc annoncera la fin de son aventure chez Dallas Fuel, décision prise d’un commun accord.

 

 

Des sanctions trop sévères ?

 

Maintenant que la situation est éclaircie, il convient de se demander si Blizzard est trop sévère avec les joueurs de l’Overwatch League. Soyons clairs : ici, c’est le Code de conduite de l’Overwatch League qui est remis en question. Ce dernier régit les participants à l’OWL, contrairement au règlement du jeu qui s’applique autant à eux qu’à n’importe quels joueurs. En outre, alors que le règlement est public, le Code de conduite qui régit les membres de la ligue est confidentiel. Face aux critiques qui pullulent sur les réseaux depuis la série de sanctions du 9 mars, Nate Nanzer, directeur e-sport d’Overwatch, a affirmé que le code allait être rendu public : « Après tout, pour la NBA, chacun peut trouver le règlement sur le site officiel. Nous travaillons pour en faire de même. » Une décision qui pourrait éteindre les controverses, mais cela ne change rien au fait que les joueurs n’ont aucun recours contre les sanctions qui leur sont adressées.

 

Pourtant, les enjeux sont de taille : il ne faut pas oublier que si une amende n’est pas la plus grave des sanctions, une suspension peut mettre fin à la carrière des professionnels dans l’esport. Cela s’est vérifié sur d’autres jeux comme League of Legends, avec par exemple le bannissement à vie de Krepo le 20 mai 2017, qui était caster chez Riot Games (maintenant coach). Si certaines décisions strictes sont prises pour cause de triche (utilisation de logiciels frauduleux sur les FPS, ou encore le fameux « match-fixng »), ce qui est contre le règlement du jeu lui-même, d’autres sont prises sur des thèmes beaucoup plus sujets à controverses, comme pour le cas de Krepo : il était accusé de détournement de mineure à cause de snaps compromettants. Dans ce cas, c’est le Code de conduite auxquels sont soumis les professionnels qui n’est pas respecté, et les règles sont bien plus floues.

 

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Krepo a quitté le cast des LCS Europe en juin dernier 

 

Concernant l’Europe, il convient aussi de citer la suspension de 6 mois de Mithy et Nukeduck en 2014, autrefois chez Ninjas in Pyjamas. L’article concerné dans le règlement des Challenger Series était le suivant : « Aucun membre d'équipe ne peut se livrer à un quelconque acte jugé immoral, scandaleux ou contraire aux principes conventionnels propres à un comportement éthique par le Code de l'invocateur. » Ces actes s’étendent-ils à la vie personnelle des joueurs ? Quelle est la définition d’immoral, d’éthique, de scandaleux pour Riot Games ? Autant dire que cela laisse toute liberté à l’éditeur pour décider des sanctions. Dans ce cas précis, les deux joueurs avaient été suspendus à long terme pour insultes racistes et homophobes, pendant des parties faites en-dehors du cadre des Challenger Series.

 

Prenons une situation plus proche de xQc : le 21 janvier, kNg, un joueur de CS:GO, a écrit un tweet homophobe envers Thorin, un journaliste très connu. Cela est arrivé seulement deux jours après le tweet homophobe de xQc et il y avait beaucoup d’attentes sur les sanctions que lui encourrait, par rapport au joueur de l'OWL. Le joueur de CS:GO était déjà connu pour avoir été viré de chez Immortals après avoir proféré des menaces de mort. Cette fois encore, la décision fut instantanément prise de le virer de son équipe, 100Thieves. C’était un seul tweet, et ça lui a valu sa place (mais là encore, il avait une réputation qui jouait contre lui, cette équipe étant sa seconde chance). Cette sanction est bien plus sévère que celles que xQc a obtenues dans l’OWL, lui ayant pu rester dans son équipe et continuer à faire du streaming à côté, à défaut de jouer dans la compétition.

 

Une volonté de se rapprocher des grandes ligues sportives

 

Pour résumer, les sanctions de l’Overwatch League sont sévères, mais elles ne détonnent pas avec les autres jeux que l’on peut voir dans l’esport : le racisme, l’homophobie, le sexisme sont très mal considérés au sein des autres communautés et les exemples de scandales sont nombreux, que ce soit même sur Hearthstone, Starcraft II etc. Il est indéniable que dans une période où l’esport explose, les joueurs deviennent de véritables personnalités publiques qui doivent donner une bonne image, que ce soit pour la communauté de leur jeu, de leur structure ou encore pour être dans les bonnes volontés de leurs sponsors. En somme, comme des sportifs professionnels.

 

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 Blizzard veut que sa ligue soit exempte de tout reproche 

 

Mais il est vrai que Blizzard durcit de plus en plus sa politique concernant sa ligue : il suffit de voir l’amende qu’a reçue Taimou. Le principal argument est qu’elle se veut considérée comme une ligue « mainstream » et la plus proche possible des grandes ligues américaines comme la NBA, NFL etc. Cet état d’esprit se prouve largement par beaucoup d’aspects de l’OWL : les noms d’équipe liés non pas à une structure privée, mais à une ville ou une région, des maillots numérotés, un storytelling qui s’apparente au sport… ajoutons à cela que nous ne sommes qu’à sa saison inaugurale, ce qui signifie que l’éditeur a tout à prouver pour attirer plus de sponsors non-endémiques et intéresser le grand public. Autrement dit, les joueurs de cette saison sont les premiers exemples, les premiers ambassadeurs de ce format et aucun pas de travers n’est permis. Au vu de ce changement, il y a fort à parier que les sanctions vont continuer à pleuvoir les prochains mois, surtout si les joueurs sont contrôlés sur leurs réseaux-sociaux, mais aussi sur leurs lives personnels.

 

Pour terminer, ces actualités ont relancé le débat de former une union de joueurs pour se défendre contre des décisions comme celles que l’on a vues. En effet, ce sont eux les parties faibles des contrats. Ils ne disposent d’aucune aide pour négocier leurs contrats, se reconvertir ou encore, n’ont aucun moyen de faire grève.

 

Mais si les experts prévoient qu’une union finira par se former, il est encore trop tôt pour que cela puisse se structurer. xQc en a d’ailleurs vaguement parlé lors de son live : selon lui, « ils ont essayé », sous-entendu que ça n’a rien donné.  Espérons qu’un jour, nous aurons la même chose que les unions et syndicats de sportifs, car pour l’instant, les seuls embryons de fédération présents dans l’esport avantagent les directeurs de structure contre les éditeurs, et non pas les joueurs au sein de leur structure, qu’ils soient fautifs ou non.