Une page se tourne chez SK Telecom T1. Bae "Bang" Jun-sik et Lee "Wolf" Jae-wan, doubles champions du monde, quittent l'équipe et ne joueront pas ensemble l'année prochaine. Si on connaît déjà la destination de Bang, rien n'est certain pour Wolf. Avant de partir, InvenGlobal les a réunis une dernière fois pour leur donner la possibilité de tirer un bilan de leur aventure, parfois très dure à vivre. La rédaction vous propose les meilleurs moments de l'interview : 

 

 

Merci d'être venus pour cette interview d'adieu, je ne sais pas quand on aura la chance de vous avoir tous les deux à nouveau. On commence comme d'habitude, pouvez-vous vous présenter ?

Wolf : Salut, je suis un ancien membre de SKT ...

Bang : Ah, tu te présentes déjà comme ça ?

Wolf : ... Je suis Lee "Wolf" Jae-wan.

Bang : Salut, je suis Bae "Bang" Jun-sik...

Wolf : C'est tout pour te présenter ? Tu es devenu ce genre de personne ? (rires)

 

Parlons un peu du passé. Après avoir testé votre synergie chez Najin Shield, vous vous êtes retrouvés ensemble chez SKT dans l'équipe S. Comment tout ça est arrivé ?

Wolf : Bang est un peu mon sauveur. Après avoir quitté Najin, j'étais à la recherche d'une nouvelle équipe et je l'ai dit à Bang. Il m'a dit "Ne fais pas ça, viens avec moi chez SKT !" Je lui suis éternellement reconnaissant pour ça.

Bang : C'était, à ce moment-là, la saison des transferts. Après Xenics, j'ai voulu candidater pour la position d'ADC chez SKT. Il y avait beaucoup de bonnes équipes à l'époque, mais SKT T1 était vraiment vue comme une équipe prestigieuse. C'était aussi le temps où tu venais faire des tests avec un support que tu aimais, on recrutait des duos en botlane. Ce n'est pas comme aujourd'hui où il y a un recrutement individuel.

Wolf : Il faut dire qu'on était amis avant de devenir joueurs pros. C'était vraiment cool de se retrouver à jouer ensemble chez SKT.

Bang : On était aussi très jeunes, parmi les plus jeunes joueurs à l'époque. Ça nous a donné une motivation et une force supplémentaires.

 

Ça faisait quoi d'être sélectionés, malgré la concurrence pour former la duolane chez SKT T1 S ? Avez-vous créé des souvenirs impérissables ?

Bang : Je le dis souvent en stream, mais le temps passé sur scène est très différent du temps passé à préparer le match. Je dirais que c'est 10 % / 90 % de la réalité. Je ne me souviens donc pas d'un match en particulier, mais des moments de préparation.

Je me souviens notamment du moment où les équipes S et K ont fusionné. Coach kkOma nous a donné beaucoup de conseils. Le support devait principalement engager les combats, et pour bien nous le faire comprendre, il a demandé à Wolf d'engager à chaque opportunité. Je crois que ça l'a marqué et qu'il a des séquelles (rires). Il a totalement carry une game avec Annie et à partir de ce moment-là, coach kkOma a reconnu sa valeur.

Wolf : À cette époque, je ne savais même pas comment jouer au jeu, ni comment jouer pour gagner. On ne faisait pas que gagner et je me souviens même que coach kkOma m'avait dit "Mais qu'est-ce que tu fous ?" C'était la première fois que je recevais un retour aussi dur. C'était dur, mais ça m'a permis de m'améliorer au fur à mesure, j'ai vu le jeu d'un nouvel œil. J'ai compris que ces critiques servaient à me rendre meilleur et je suis devenu bon sur les champions à engage comme Alistar. Maintenant, quand un nouveau joueur entre dans l'équipe, coach kkOma lui dit de ne pas s'inquiéter : "Wolf était pareil que vous au début".

Bang : Quand on y repense, ce qui paraît naturel aujourd'hui était un peu révolutionnaire à l'époque. Tous les joueurs de talent ont appris de leur coach, certains doivent leur progression à leurs conseils. Comme le jeu change sans cesse, c'est important de recevoir et de comprendre les retours.

 

 

Bang, toi aussi tu as des souvenirs où tu te fais réprimander ?

Bang : Oui, beaucoup ! J'ai un peu échappé aux critiques quand j'étais dans l'équipe S, mais après la fusion, elles m'ont rattrapé. Toute ma vision du jeu a été chamboulée. Mais c'était plus des conseils que de vraies punitions. En 2014-2015, la plupart des joueurs étaient talentueux et ils progressaient rapidement avec des conseils.

 

Avec du recul, on se dit que SKT a atteint son apogée en 2015-2016, en termes résultats mais aussi de style de jeu. Elle est devenue une équipe de renommée mondiale, quels étaient vos sentiments à l'époque ? De la fierté ? De la pression ?

Bang : Comme on jouait bien et que les résultats suivaient, les fans pensent que ça devait être un pur bonheur de jouer pour SKT. Mais si on me propose de revenir à cette époque, je refuserai. C'était tellement difficile ! Nos résultats étaient proportionnels au travail fourni. Chaque déplacement, chaque creep me donnait un stress énorme. Mais en même temps, j'étais certain de notre force. Avant la finale des Worlds en 2015, j'étais tellement confiant que j'avais dit à coach kkOma que si on perdait, ce ne serait pas normal et ça voudrait dire que Dieu était contre nous. 

J'ai ressenti le poids de l'étiquette en 2016, il a fallu travailler dur pour garder l'image de l'équipe victorieuse de 2015. Au Spring, on a joué moyennement et il y a eu beaucoup de critiques et d'hostilité. J'ai pris conscience de ce que c'était la pression qui pesait sur les épaules d'un joueur pro.

Wolf : Comme dit Bang, on s'était vraiment arrachés en 2015. On a pas eu le temps de réaliser qu'on était devenus une équipe de renommée mondiale et on avait pas mal de jeunes joueurs qui n'avaient pas encore connu beaucoup de succès. J'étais certain qu'en 2016, on aurait des résultats aussi bons qu'en 2015 parce qu'on travaillait tout aussi dur. Mais comme on a perdu quelques games, ça pose toujours des questions.

Bang : Il y avait pas mal de messages de soutien, mais aussi des commentaires négatifs. J'étais plus sensible à ça à l'époque, et je ne retenais que le négatif parce que c'était la première fois que j'en recevais autant.

 

Comment passer au-dessus des critiques ?

Bang : Personnellement, j'ai vu un coach psychologique début 2016. Bien que les fans veuillent nous voir comme des joueurs parfaits, ce n'est pas possible et il faut l'accepter. C'est impossible d'échapper aux critiques, c'est le lot de tous les sportifs.

Wolf : Je pense qu'au final, il n'y avait pas tant de critiques que ça, mais ça attire forcément ton œil. Je me rassurait en me disant que les critiques étaient faites pour me faire progresser.

Bang : Je ne pouvais pas penser comme Wolf sur le moment, je me demandais toujours pourquoi on me critiquait autant.

Wolf : Recevoir du soutien de la part des fans par courrier m'a aussi beaucoup aidé. Bien qu'il y ait des commentaires négatifs en ligne, je n'ai jamais reçu de lettre de la part d'un hater. Ouvrir une lettre bien faite pour se faire descendre, c'est ce qui aurait été vraiment terrible...

 

 

Que dire de la période 2017-2018, qui a été plus compliquée ?

Bang : Quel que soit le résultat, chaque année a été compliquée avec beaucoup de stress. Après 2016, une pensée décourageante m'a hanté, je me demandais pendant combien de temps je devrais continuer à jouer comme une machine et si j'allais survivre. Je me souviens qu'en 2017, après la finale régionale du printemps, j'ai cru que ma tête allait exploser en découvrant l'agenda du MSI ! On était passés de deux semaines de travail à un mois, pour enchaîner ensuite directement sur le Summer Split. J'ai demandé et obtenu de l'organisation une petite pause pour nous... Mais comme on a moins joué que les autres équipes à ce moment-là, je me demande si ce n'était pas une erreur...

Wolf : Dans les deux cas, c'était une situation perdante.

Bang : La situation n'avait aucun sens, en tant que joueur pro, mon but n'était plus de gagner mais de trouver du repos. Je me suis relâché et mon niveau a chuté. Je me suis rendu compte que ça n'allait pas, je me suis remis à fond mais je n'ai pas retrouvé mon niveau. C'était très compliqué, il y a eu beaucoup de critiques. Mais dans tous les cas, si je ne m'étais pas relâché à ce moment-là, je me serais inévitablement relâché plus tard. Je crois que c'est un des facteurs déterminants qui expliquent pourquoi j'en suis là aujourd'hui.

Wolf : Un ou deux mois, ça peut paraître court pour un fan, mais pour nous, c'est comme une éternité. Les autres équipes avaient continué à s'entraîner durement et c'était compliqué de les rattraper. C'est logique que nos résultats ne soient pas restés à la hauteur. Une de mes devises, c'est de ne jamais rien regretter. Mais cette période est un de mes regrets.

Bang : Mais si tu pouvais revenir en arrière, tu changerais quelque chose ?

Wolf : Possible qu'on aurait quand même dû se reposer à un moment...

Bang : Il n'y avait pas d'autre choix ! Si on me donne la possibilité de revenir en 2015, quelles que soient les conditions, je refuse. C'était tellement dur, je me suis vraiment demandé si j'allais survivre. Pour s'améliorer, beaucoup d'équipes ont demandé d'autres tournois, comme la Kespa Cup. Avec les Worlds, le MSI, la Kespa Cup, on ne se reposait jamais. Tout au plus trois ou quatre jours d'affilée dans l'année, pour le Chuseok (fête traditionnelle coréenne, ndlr).

Wolf : Juste après les Worlds, il y avait la Kespa Cup. L'équipe nous disait : "Vous avez fait de bons championnats du monde, reposez-vous... mais on devrait quand même faire quelques scrims, non ?" Là, c'était dur mentalement.

Bang : Toutes les équipes doivent connaître ça, c'est impossible de suivre l'agenda... Enfin, notre fainéantise est due à notre manque de professionalisme et on ne nous y reprendra pas. Le statut de joueur pro implique des responsabilités et il faut mettre de côté l'humain. Vouloir prendre une pause, c'est humain, mais je n'aurais pas dû montrer ce côté. Je ne peux critiquer personne si ce n'est moi-même.

 

 

Revenons au présent. Comment se présente 2019 maintenant que vous vous êtes séparés ?

Bang : Les conditions des joueurs s'améliorent, c'est un travail attractif qui me convient bien. J'espère donc continuer à jouer encore longtemps. Je me suis constamment amélioré avec le temps et rien ne me rend plus heureux que de partager ça avec mes fans.

Wolf : J'ai pensé quitter plusieurs fois SKT à cause de la difficulté, mais au final, j'ai toujours prolongé mon contrat. Cette fois, je pars vraiment sans savoir de quoi sera fait mon futur. Je pense continuer à jouer, mais je n'en suis pas certain. J'ai surtout besoin d'un nouvel environnement. On peut se demander si, après cinq ans chez SKT, je suis capable de m'adapter, mais je sais que je suis prêt pour un nouveau challenge.

 

Après cinq ans passés ensemble, qu'est-ce qui a le plus changé chez vous ?

Wolf : Tout le monde change et on est devenus ce qu'on est grâce à nos coéquipiers. Chez moi, ce qui a le plus évolué, ce sont mes paroles et mes actes. Avant, je faisais tout le temps des erreurs qui offensaient les autres, ce n'est plus le cas.

Bang : Pour moi, c'est ma façon de penser. J'ai en quelque sorte supprimé mes émotions. Je réfléchis et je questionne tout ce que j'entends, pour savoir si c'est vrai ou faux. J'ai appris à me remettre en cause, c'est essentiel dans League of Legends. C'est important de définir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. À cause de ça, on me dit beaucoup que mon visage n'a plus d'expression.

 

Wolf, qu'est-ce qui a le plus changé chez Bang ?

Wolf : Son poids ! (rires) On avait décidé de s'entraîner ensemble, mais j'ai abandonné en cours de route. À cause de lui, on me demande ce que j'attends et ça me stresse un peu. Mais je crois qu'on s'est tous les deux améliorés sur ce point.

 

Bang, qu'est-ce qui a le plus changé chez Wolf ?

Bang : Son mental, il est devenu plus adulte. Son apparence, ses connaissances et sa sagesse se sont améliorées.

 

 

Après tout ce temps chez SKT, voulez-vous remercier une personne en particulier ?

Wolf : J'aimerais remercier Bengi qui nous a toujours aidés. Quand j'ai joué jungle, on a eu beaucoup de discussions nocturnes pour savoir si je pouvais être meilleur dans la jungle. Je veux aussi remercier coach cCarter. Coach kkOma m'a beaucoup aidé dans le jeu, mais coach cCarter m'a lui aidé en dehors du jeu.

Bang : En 2017 et 2018, on est devenus les joueurs les plus anciens. Je me suis rendu compte que ce n’était pas facile d’apprendre aux jeunes joueurs. Je regrette de ne pas avoir pu rendre la pareille aux anciens joueurs, qui m’avaient aidé quand j’en avais besoin… Je voudrais aussi remercier l’organisation qui faisait tout pour notre confort. SKT était super et continuera à l’être. Je remercie tout le monde !

 

Avez-vous un mot à dire aux fans de longue date qui ont vous ont soutenu avec SKT pendant tout ce temps ?

Bang : Je veux dire à tous les fans de SKT et à tous les fans de la LCK d’absorber un maximum de bonnes ondes. J'espère que le stade de la LCK deviendra un endroit pour oublier le stress et les mauvais moments. J’espère qu'ils prendront soin de mes anciens coéquipiers et des membres du staff technique après mon départ. Merci de votre soutien et continuez à supporter SKT.

Wolf : Dès que j’avais les idées noires, ce sont les fans qui m’ont remis sur le droit chemin. Beaucoup de fans m’ont dit qu’ils avaient trouvé du réconfort en nous supportant SKT et moi. Je stocke tous les courriers des fans, et quand je passe un moment difficile, je les relis et je me dis que je ne perds pas mon temps parce que j’influence positivement les autres. Votre soutien compte beaucoup pour moi. J’espère vous revoir, n’importe où et n’importe quand. En quittant l’équipe, on laisse pas mal de rookies, prenez soin d’eux, notamment d’Effort !

 

Maintenant que votre botlane légendaire est séparée, vous redevenez des adversaires potentiels. Un mot à vous échanger ?

Bang: Si je le croise sur scène, je devrai le battre…

Wolf: Ce serait marrant !

Bang: On continuera à se parler et à se donner des nouvelles. En tant que joueur professionnel, j’ai rencontré beaucoup de bonnes personnes, et je continuerai à en rencontrer.

Wolf: On est amis, et dans League of Legends, il n’y a rien de mieux que de battre son ami. Croiser un ami en soloQ, c’est vraiment quelque chose.

Bang: Mais on risque d’être trop loin pour se croiser en soloQ (Bang évoluera en Amérique du Nord chez 100 Thieves, tandis que Wolf est pressenti en Turquie, ndlr)…

Wolf : Si on se rencontre sur scène, je sais ce qu’il déteste donc je prendrai du plaisir à lui rendre la vie impossible. Honnêtement, croiser Duke ou Impact en jeu par exemple, c’est vraiment marrant.

Bang: Je voudrais remercier tous les coéquipiers que j’ai croisés chez SKT T1, ce temps passé ensemble compte beaucoup pour moi. J’espère vous revoir bientôt !