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Presque deux mois ont passé depuis la fin de The International 8. C'est avec du recul que 7ckngMad, sacré champion avec OG, s'est confié à *aAa*.

 

Fin août 2018, un joueur français décroche avec son équipe le plus grand titre de l'histoire de Dota 2 : The International 8. Devenu superstar et fierté nationale, Sébastien « 7ckngMad » Debs, aussi surnommé « Ceb », a répondu aux questions de la rédaction après avoir pris quelques semaines de vacances bien méritées.

 

*aAa*Dicidens : Après votre qualification pour le TI8, quel était votre objectif au sein du tournoi ?

7ckngMad : L'objectif était clairement d'aller au bout. Après c'est une question assez personnelle : les joueurs pouvaient avoir des objectifs différents. Moi, très honnêtement, je visais un top 6. J'aurais été satisfait mais aussi déçu de ne pas avoir fait mieux, mais je n'aurais eu aucune honte au regard de la saison qu'on venait de traverser.

 

À l’issue d’une phase de groupes assez moyenne, où vous prenez deux fois 2 - 0 contre Evil Geniuses et contre Team Liquid, vous réussissez à accrocher la 4ème place de cette poule jugée très relevée. Surpris de partir en Upper Bracket ?

Alors je ne dirais pas surpris parce qu'on s'est battus d'arrache-pied. Mais j'étais extrêmement soulagé parce que l'Upper Bracket, c'est vraiment une première étape. Sur Dota, la crainte pour la majorité des joueurs est de se retrouver en élimination simple plutôt qu'en double élimination... dans le premier cas, ce n'est pas toujours la meilleure équipe qui gagne alors que dans le second, c'est toujours la meilleure équipe qui passe, ce qui fait qu'on n'a pas de regret lors d’une défaite.

On était effectivement ultra soulagés d'être en Winner Bracket. On savait qu'on avait le potentiel d'être en Winner Bracket sans problème.

 

On a vu OG progresser fortement tout le long du tournoi avec notamment un 2 - 0 face à VGJ.Storm en quart de finale alors qu'ils avaient terminé premiers du groupe B. Cette victoire a dû vous donner le sentiment que le titre était à votre portée. Non ?

Non, on n'y pensait pas du tout encore. On était vraiment dans une philosophie « match après match ». Contre VGJ.Storm, on était confiants car on avait un bon record en entrainement : on s'était beaucoup entraînés contre eux, même avant les qualifications TI8. C'est une équipe qu'on connaît bien, qu'on respecte énormément et on savait qu'on avait de quoi les battre si on jouait à notre niveau. On savait qu'on était bien mentalement, par contre on ne pensait du tout à ce qui allait venir après. Après les avoir battus, on était clairement soulagés. C'était notre première partie dans le Main Event sur la grande scène, c'est toujours une partie charnière, la première partie des playoffs en particulier. On a commencé sur un 2 - 0 contre VGJ.Storm qui eux avaient fini premier du groupe B. Ils étaient clairement en très grande forme.

 

Pas à un seul moment on ne vous a vus favoris dans cette rencontre, et pourtant...

Ce fut la ligne rouge de tout notre TI8. Je pense que tout le monde nous a déclarés outsiders sur 95 % des matchs qu'on a joués. On est juste ultra soulagés de les avoir battus sans penser à ce qu'il allait se passer après.

 

Ensuite, vous jouez contre Evil Geniuses en demi-finale. Tu te retrouves opposé à s4 et Fly qui sont tes anciens coéquipiers. À la fin du match, c'est forcé. Pas un regard, pas un sourire, c'est tendu, la salle frémit légèrement. Tu en parles suffisamment dans l'interview que tu as donnée à L'Equipe. En revanche, est-ce qu'aujourd'hui tu serais prêt à rejouer avec eux ? 

Non, non, non, non. Jamais.

Même si j'ai une victoire garantie au prochain TI, je ne remettrai plus jamais les pieds dans une équipe avec ces joueurs-là et d’autres joueurs ayant le même profil. Ça, c'est très clair.

 

On a senti plus qu'une déception quand tu en parlais, de la peine finalement ?

Oui, complètement.

 

Et cette peine aujourd'hui s'est un peu atténuée grâce à cette victoire face à Evil Geniuses et lors du TI8 ?

Y'a eu de l'amitié entre s4, Fly et moi par le passé mais plus du tout maintenant. La victoire du TI8 ne va rien changer. Ce qu'ils ont fait, ils l'ont fait en sachant qu'on ne participerait peut-être même pas au TI8. Ils étaient certains qu'on n'y serait pas cette année-là donc la victoire d'OG en ce qui les concerne, ça ne change rien. Ils se sont biens trompés sur ce qu'ils pensaient concernant l'équipe qu'on avait. La preuve, c'est qu'on remporte le TI8 en repartant de zéro avec des conditions très difficiles. Ils se sont trompés sur toute la ligne.

 

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(c) TheHexHaven  

 

Durant les phases de groupes, quelles équipes étaient les plus à craindre et ont le plus impressionné selon toi ?

Pour nous, en arrivant sur le TI, l'équipe numéro 1, c'était Team Liquid de très très loin. À ceci près qu'on ne s'était pas du tout entraînés contre Evil Geniuses pour des raisons évidentes. C'est la seule équipe qu'on n'a pas jouée une seule fois avant le TI8. On n'avait donc aucune idée de ce à quoi ils ressemblaient mais pour nous, l'équipe à abattre, c'était vraiment Team Liquid.

 

A contrario, quelle serait l'équipe qui t'a le plus surpris en termes de contre-performance ?

Mineski. Hum, Team Liquid aussi. Pour nous, Team Liquid, c'était l'équipe qui nous paraissait la meilleure en entraînement. Je sais qu'ils font un top 4 mais je trouve qu'ils auraient pu aller plus loin. J'étais persuadé que si on devait aller en finale, ça serait contre eux. Après, la vraie contre-performance, c'est Mineski  qui jouait à un très très haut niveau avant le TI8, qui était assez inquiétante et qui a fait un flop complet. Ils ont eu une montée en puissance que les gens n'ont pas pu voir car c'était à huis-clos durant les entrainements. Mais toutes les équipes du TI8 savaient que Mineski était un sacré morceau. 

 

Étonnant comme réponse. On aurait pu penser à Virtus.pro ou Newbee ?

Newbee, ça fait déjà un moment qu'ils rament. Mais sur le papier, c'est vrai. C'est une grosse contre-performance. Mais c'est une équipe qu’on n’attendait pas forcément. S'ils avaient commencé le tournoi en très grande forme, on aurait pu penser qu'ils étaient remontés en selle. Mais on a compris très rapidement qu'ils galéraient. Virtus.pro, par contre, je ne les attendais pas. Tout le monde les attendait comme grand favori du TI8. Mais [même si] j'avais dit en interview qu'il s'agissait d'une très grosse équipe, leur résultat ne m'a pas surpris tant que ça.

 

Lors de l'ultime game du tournoi face à PSG.LGD, à 19 minutes de jeu, vous étiez menés 22 - 6. Que se passe-t-il à ce moment-là dans ta tête ? 

Y'en a eu des parties avant et même des très difficiles mais honnêtement jusque-là on ne s'était jamais dit, à aucun moment, d'aucune partie, que ce n'était pas gagnable. Aucun défaitisme ou aucune négativité. Mais à ce moment-là, durant cette partie, l'action qui mène au 22 - 6, c'est un team fight ou on essaie de réunir tout ce qu'on peut pour favoriser nos chances de leur prendre quelque chose. Et on reprend malheureusement une énième débâcle où ils nous mettent un 4 - 2. C'est catastrophique. Ils continuent de nous enfoncer. Et là, j'ai senti de la non-communication dans l'équipe, que ça commençait à arriver. Là, quand même, c'est chaud quoi ! C'est la manche décisive, il y a 22 - 6, on vient de se reprendre un énième team fight, c'est dur. J'ai tout de suite recommencé à communiquer pour qu'on se reconcentre très rapidement. C'était un moment très intense pour nous. Ça a peut-être duré 10 secondes maximum, mais 10 secondes de flottement, c'est très long. Mais on s'est reconcentrés quasiment immédiatement après.

 

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Le PSG a manqué de peu le titre cette année - (c) TheHexHaven 

 

Quand on remporte le TI, on a gravi l'Everest. On ressent quoi à ce moment quand on voit le Radiant tomber ?

À ce moment là, je ne comprends pas ce qu'il se passe.

On est tous concentrés à différents niveaux. Il y en a qui ont compris que c'était fini, que le Radiant allait tomber dans 2 secondes, que les joueurs du PSG.LGD étaient en train de respawn, qu'ils ne pouvaient rien faire. Mais moi, à ce moment-là, j'étais tellement concentré que j'étais encore en train de parler du team fight. J'étais encore en train de dire qu'untel allait respawn dans les 20 secondes, je parlais même du cooldown de mes spells... j'étais vraiment ultra concentré. Je ne me suis pas pas rendu compte du tout de ce qui se passait ! Et pourtant je savais que c'était la game 5 et qu'on était sur le point de gagner le TI8 mais… je ne sais pas. Mon cerveau n'arrivait pas à intégrer que c'était fait.

Même quand le Radiant est tombé, je suis resté assis devant mon écran et tous mes coéquipiers se sont levés pour se prendre dans les bras. Les feux d'artifices ont explosé dans tous les sens. Et moi je suis assis, sonné. Il a fallu qu'ils viennent me chercher, qu'ils me secouent, parce que je ne réagissais pas.

 

Quand on regarde bien la partie 5 en replay, on se rend compte à quel point vous êtes revenus des enfers...

Ah mais complètement ! C'est impressionnant parce que j'ai regardé les games chez moi plusieurs fois depuis et pas seulement celles d'OG. Mais il y a plein de games d'OG du TI8 que j'ai  regardées en stressant. Je me disais qu'on allait perdre. Et là je me suis rendu compte que c'était stupide car c'était OG, que c'était moi qui jouais et surtout qu'on avait gagné à la fin. Mais en regardant  la game 5, c'est ce sentiment de « c'est vraiment chaud là ». Cette partie était la plus dure du tournoi !

 

Qu'est-ce qui pourrait te procurer aujourd'hui une plus grande émotion dans l'esport ?

Tu joues pour quoi maintenant ? Pourquoi tu continues ?

Oh lala, excellente question. En ce qui me concerne, y'a aucun joueur à Dota 2 qui a gagné deux TI. Chaque année, il y a une bonne vingtaine de joueurs qui visent le double titre. Ce jeu me passionne, la compétition au plus haut niveau, c'est mon oxygène. Gagner un deuxième TI et continuer de jouer avec mon équipe surtout. Ce sont plus que des coéquipiers, ce sont des frères. C'est du bonheur de pouvoir faire ces défis ensemble. Mais très honnêtement ? Qu'est-ce qui pourrait me procurer un plus grand bonheur que de gagner ce TI-là ? Je ne sais pas. Je ne pense pas qu'il y en aura. Certainement d'autres émotions avec les fans, avoir de vraies communions mais en tant que joueur et compétiteur, je ne peux pas dire.

 

Et du coup, ce n'est pas un peu dur de se remotiver pour la saison à venir ?

Si, c'est très dur. Il faut se poser les bonnes questions. S'il y a bien deux choses qui ne bougent pas, c'est tout le côté sacrifice et le travail. Comme je le disais, la motivation peut changer et il faut continuer à trouver un bon équilibre sinon cela ne peut pas marcher. C'est pour ça qu'on a décidé de ne pas participer au premier Major de l'année, qu'on s'est désistés volontairement pour que chacun puisse se donner le temps de reconstruire cette motivation. Il se trouve que c'est le cas, on est tous de nouveau motivés, c'est très important. Pour le coup, c'est la première fois que nous ne sommes plus forcés de poursuivre ce Graal, gagner absolument The International. Maintenant, est-ce qu'on veut y retourner de notre plein gré ? C'est une vraie question à se poser. Une question un peu stressante parce qu'on fait ça la tête dans le guidon depuis maintenant 10 ans pour certains d'entre nous et voilà, il faut prendre son temps.

 

Penses-tu qu'un jour, un autre joueur français pourra réaliser un tel exploit et as-tu déjà repéré des petits jeunes talentueux ?

J'espère qu'il y aura un joueur français ou même plusieurs qui réaliseront cet exploit. Chaque année, c'est un exploit plus important parce que la compétition se durcit depuis le TI1 donc je ne sais pas, mais je l'espère de tout mon cœur. Il y a quand même du travail à faire sur la scène Dota 2 en France. En ce qui concerne les jeunes talents... il y en a qui sont très bons mais qui n'ont pas de visibilité. J’espère que mon exploit donnera de la visibilité à Dota 2, en inspirera certains, convaincra d'autres que ça vaut le coup de sponsoriser des équipes. C'est un jeu qui a une telle aura à l'étranger, qui fait partie des plus gros jeux esports mondiaux alors qu'en France, nous sommes au niveau zéro. Pourtant il y a un Français qui vient de gagner le TI8 et il y a le PSG.LGD en finale du tournoi. C'est clairement inexplicable, cet immobilisme en France par rapport à Dota 2. J'espère que ça changera. 

 

Qu'est ce qui a changé dans ta vie professionnelle depuis cette victoire ?

Il y a clairement la fameuse aura des TI Winners. Que se soit le joueur lambda qui joue à Dota 2 et qui se retrouve dans l'une de nos parties ou le fan qui lit une interview, je dirais qu'il y a un respect de l'exploit qui est là. Il y a énormément de joueurs qui ont du talent. Je parle de joueurs professionnels qui pourraient gagner le TI si, le jour J, ils sont au niveau, s'ils se préparent correctement, s'ils jouent avec les bonnes personnes. Mais le fait de le gagner, c'est clair que ça fait taire tous les détracteurs. Il y a clairement une unanimité temporaire et très agréable en même temps. 

 

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Sébastien célèbre sa victoire devant les caméras - (c) TheHexHaven  

 

Tu as été contacté par le président de la République française ou par le secrétaire d'État au numérique et à l'innovation Mounir Mahjoubi ?

Non, j'ai juste vu un tweet dans lequel j'étais tagué mais aucun contact oral.

 

Comme je le disais précédemment, tu as donné une interview à L'Équipe. As-tu été  contacté par d'autres grands médias français ?

Non.

 

Tu as reçu des offres d'autres équipes pour participer au Dota Pro Circuit 2018-2019 ?

Oui, mais c'est confidentiel. En revanche, je suis extrêmement heureux et épanoui chez OG. Je joue avec des frères. On a construit ce groupe envers et contre tout. Donc si on a survécu à ce qui s'est passé avant le TI8, on survivra bien à quelques propositions.

 

C'est quoi et quand, ta prochaine échéance compétitive ?

La prochaine échéance compétitive aura lieu durant les prochaines qualifications européennes du second Major de l'année qui démarre le 26 novembre.

 

TI9 en Chine, tu en penses quoi ? Ce n'est pas ce qu'il peut y avoir de mieux en terme de spectacle ?

Je pense que cela va être une étape dans la vie du jeu. C'est une excellente nouvelle. Là-bas, Dota 2 est absolument immense. Il va y avoir un engouement incroyable le jour du tournoi. En plus, c'est en partenariat avec les autorités publiques. C'est vraiment au plus haut niveau de ce que l'on peut organiser. Il y a une chose qui me fait un petit peu peur, c'est que si par malheur on se retrouve avec une finale Ouest contre Ouest, on pourrait avoir une finale « ratée ». Par expérience et pour les avoir beaucoup côtoyés pendant ma carrière, les fans chinois sont très très très chauvins ! Je sais que des supporters peuvent quitter le stade en plein match si leur équipe perd. S'il n'y a aucune équipe chinoise en finale, on pourrait avoir un stade à moitié vide. Mais mis à part ça, c'est une excellente nouvelle pour Dota 2.

 

Question primordiale ! Es-tu parti en vacances ?

(Rires) Alors oui, je suis parti en vacances. Enfin dans notre cas, c'est plutôt rentrer en vacances car nous sommes sur la route tellement longtemps toute l'année que pour nous, les vacances, c'est quand on peut être à la maison quelques semaines. Donc du coup, je suis allé dans le sud de la France, à la maison. Je suis originaire de Toulouse à la base donc j'ai passé une semaine et demie en famille par là-bas.

 

On arrive au bout de cette interview. Un mot pour la fin ?

Je remercie toutes les personnes qui liront cette interview. J'encourage les gens à continuer de promouvoir Dota 2 si ça les passionne. Si vous ne connaissez pas Dota 2, intéressez-vous-y car c'est un jeu qui a beaucoup à offrir. Cet engouement, cette aventure n'est possible que grâce à cette communauté dont je fais évidemment partie. Que nous puissions continuer à vivre cette aventure exceptionnelle tous ensemble.