Kim "cvMax" Dae-ho, le coach des Griffin, a été interviewé par Inven Global pour parler des brillants résultats de son équipe issue des Challengers Korea. L'occasion de révéler les secrets de sa méthode et sa philosophie de jeu bien particulière.

 

Qu'est-ce que ça fait de jouer en LCK pour la première fois ?

C'est trop tôt pour en parler, je n'ai pas encore eu le loisir d'y penser. Si on posait cette question après notre grande finale, je pourrais sûrement donner une réponse plus réfléchie... Mais comme on a un match important bientôt, ce n'est pas l'heure d'être émotionnel.

 

En décembre 2017, tu révélais que ton objectif était de remporter le Summer Split 2018 de la LCK...

Je n'ai jamais changé. Depuis que j'ai rejoint l'équipe, gagner la LCK et les Championnats du monde ont toujours été les objectifs, avec la certitude que c'était possible. Mais c'est drôle de voir comment les opinions des autres peuvent changer. Lorsque l'équipe était septième de la ligue Challenger, les gens me voyaient comme un clown et ne nous croyaient pas capables de réussir. Mais une fois qu'on s'est qualifiés pour les LCK, ils ont dû être déroutés. League of Legends est un jeu qui semble imprévisible en apparence, mais certains joueurs sont capables de performances athlétiques qui seront toujours supérieures à d'autres. Si on prend l'exemple du sport traditionnel, un éclaireur peut être envoyé pour regarder un match étudiant de basket. Un joueur clef sera perçu par la majorité des spectateurs comme un gamin qui est juste vraiment doué pour le basket... Mais l'éclaireur, lui, va percevoir la flexibilité, les capacités et le temps de réaction supérieurs à la moyenne. Une personne qui connaît son sport peut capter tous les petits détails tout en connaissant leur valeur. Les moindres mouvements de poignet, de cheville... Les personnes normales ne sont pas capables de voir les différences. Moi, j'ai toujours été conscient du potentiel de notre équipe. Quand je disais que je voulais finir premier, ce n'était pas des paroles en l'air comme on peut l'entendre dans des discours convenus.

 

Qu'est-ce qui est important dans ce processus ?

Avant de rejoindre l'équipe, j'ai évalué le niveau mécanique de tous les joueurs. Ils n'avaient besoin que d'un petit affinement. Pendant les scrims, je suis devenu certain qu'ils allaient tous progresser dans la bonne direction. Si Griffin n'était pas encore capable d'être un concurrent pour les Worlds, je savais qu'après deux ou trois mois, nous pouvions le devenir.

C'est à ce moment-là que j'ai commencé à parler des mes ambitions, mais personne ne m'écoutait. La majorité des gens disaient qu'avant nous, bbq, Kongdoo ou MVP avaient bien joué en Challengers Korea et que nous allions à notre tour galérer en LCK. Ils ont été aveuglés par les chiffres. 14 victoires et 0 défaite ne veulent rien dire en soi. Ce qui est important, c'est la manière d'arriver à ce résultat. Un 14-0 peut s'obtenir de plein de manières, et elles ne sont pas toutes bonnes.

 

Parmi les objectifs que tu t'étais fixés, certains n'ont pas été remplis, notamment celui de rester invaincu durant le segment.

Au cours de la saison, plusieurs de mes objectifs ont été rayés de la liste... C'est vrai qu'on a directement perdu contre kt Rolster pour notre premier match ! (rires) J'étais vraiment déçu, j'ai même pleuré. Afin de les stimuler, j'ai même dit à mes joueurs : "Nous avons échoué à devenir des légendes.

"Si un univers parralèle existe, les Griffin qui ont battu kt Rolster continueront à aller de l'avant. Mais dans notre univers, les Griffin sont morts. La défaite d'aujourd'hui restera pour toujours avec nous, même si on gagne nos cent prochains matchs. Notre rêve, notre légende est finie. La trace que nous voulions laisser dans l'histoire de l'esport n'est plus. Maintenant, nous ne sommes plus rien de spécial. Mais allons-nous rester de simples employés ? Devons-nous pour autant passer le reste de notre carrière à ne rien faire de spécial ?"

 

Après cette défaite inaugurale, nous avons changé notre façon de faire. Il n'y a pas de différence entre être en 100-1 et être en 100-3. Mais il y en a une grosse entre être invaincu et avoir une défaite. Comme on n'a pas réussi à rester invaincus, on a travaillé pour progresser sur le long terme. On a aussi essayé plein de stratégies différentes. 

 

 

Pourquoi te montrer aussi dur avec tes joueurs ?

Je leur ai demandé de bien ressentir cette défaite. Un gros choc consécutif à une défaite peut se révéler très bénéfique pour les joueurs. Évidemment, ils étaient déjà choqués après avoir perdu, mais je voulais qu'ils le soient encore plus ! Avoir de la force mentale est perçu comme une qualité difficile à travailler, mais je ne pense pas que cela soit le cas. 

 

"En termes biologiques, conserver une résolution pendant 3 jours est un exploit. Même 3 minutes c'est compliqué. Le cerveau humain est guidé par des hormones et c'est extrêmement difficile de rester concentré. C'est pour cela que je vous garde toujours à portée de fusil. Je veux être sûr de pouvoir vous donner la carotte mais aussi le bâton".

 

Quand les joueurs ne jouaient pas bien, j'ai même été jusqu'à leur dire : "Si vous jouiez avec une bombe attachée à votre cou comme dans le film Saw, est-ce que toi, tu aurais joué comme ça ? Même si ta tête était sur le point d'exploser ? Êtes vous incompétents au point de ne pas pouvoir empêcher votre propre mort ?".

J'ai été extrêmement stricte, je voulais faire sentir aux joueurs qu'ils pouvaient mourir à n'importe quel moment. Mais lorsqu'ils jouaient bien, je leur donnais mes louanges sans aucune arrière-pensée. Je suis une personne qui sait faire la part des choses et je dis toujours ce que je pense vraiment. Je leur ai déjà dit : "Tu es un génie ? Comment un être humain pourrait faire ce play ?".

 

Je coache mes joueurs avec une mentalité de gladiateur. Si un gladiateur obtient 100 victoires mais qu'il subit une défaite, c'est suffisant pour causer sa mort. Ceux qui ont goûté à la défaite n'ont pas eu l'occasion de voir le lendemain. Mais nous, à notre époque, même après une défaite, on peut continuer à jouer. Les joueurs professionnels sont des gladiateurs virtuels. J'ai demandé aux joueurs d'être des gladiateurs et de bien comprendre ce que cela signifiait.

 

La deuxième partie du split a été plutôt moyenne de votre part.

On s'est montré trop confiants. On a fini par jouer de manière désespérée pour espérer conserver notre place de numéro 1. Ce n'était plus notre jeu.

Mais on a appris beaucoup et j'ai rendu mon approche plus réaliste. J'ai compris que vouloir rester invaincu jusqu'aux Worlds était impossible. J'ai réalisé à quel point la LCK était une scène compétitive. 

 

Parle-nous un peu de ton leadership.

Je traite les personnes différement, je ne fais pas de discrimination mais je sais prendre les personnes comme il faut. Contrairement aux animaux, les humains ont des traits de caractère uniques. Mais il ne faut pas que la différence soit trop visible pour éviter les doutes et les conflits, le dialogue avec ceux auxquels tu apprends des choses doit être continu. Il faut que tu leur fasses comprendre où tu veux en venir et le but derrière tes méthodes.

Le propriétaire de l'équipe a réussi à bien éduquer nos joueurs concernant la mentalité professionnelle à avoir et les règles de vie dans la gaming house. C'était donc plus facile pour moi : dès le début, les joueurs ont accroché.

Mais j'ai aussi critiqué mes joueurs quand ils obéissaient trop facilement. "Si vous ne comprenez pas ce que je dis, ce n'est pas la peine de faire comme si. Nous sommes dans une relation horizontale. Une relation verticale entre coach et joueurs n'est pas efficace dans notre environnement de travail. On a besoin de travailler dans le doute, comme des scientifiques. Ne soyez pas passifs !"

On ne peut pas avoir de progrès si tout le monde dit juste "oui" tout le temps. Je dois toujours m'assurer d'avancer avec des joueurs qui me suivent à 100 %.

 

 

Est-ce que le fait de devenir coach a changé ta façon d'être ?

En devenant coach, j'ai changé en tant que personne. J'étais impulsif avant, mais maintenant je regarde au niveau global. Parfois, j'ai encore des fulgurances, mais je m'assure d'avoir un plan avant de les mettre en place. Mais comme je fais confiance à mon instinct, il m'arrive de le suivre.

League of Legends n'est pas différent, deux idées contraires peuvent coexister. Tu peux être par exemple proactif et passif en même temps. Tu peux aussi jouer défensivement et offensivement. Si ça l'air vide de sens, ce n'est pas le cas dans League of Legends. Trouver le bon équilibre est une véritable compétence. C'est pareil en phase de draft. Tu prévois d'abord un plan général, puis tu prends une décision comme ça et ensuite tu essayes  de renforcer cette direction.

 

Pourquoi jouer sans shotcaller ?

Je pense que League of Legends est un jeu qui doit être joué d'une certaine manière, c'est un quizz avec une bonne réponse. Par exemple, si tu as trois possibilités : pusher à 5 la midlane, rester à 4 au milieu et envoyer quelqu'un split-push ou faire un 1-3-1 ; tu peux très bien gagner avec les trois solutions, mais il y a toujours une solution qui est meilleure que les autres si tu les compares. Les 5 joueurs doivent être capables de comprendre et de choisir cette bonne solution. Si les joueurs ont des idées différentes et qu'ils essayent de suivre un call commun, il va forcémment y avoir des petits détails qui vont manquer. Si un joueur convainc les 4 autres de le suivre, c'est certain que ça va mal finir. Parce que si ça ne marche pas, même si c'était la bonne décision à prendre au final, celui qui avait raison va être confus par rapport à sa prise de décision et les 4 autres vont être persuadés qu'ils avaient eu raison... alors que c'est faux. 

Je pense que si les 5 joueurs prennent la même décision, même si ce n'est pas la bonne, ils peuvent changer cette décision en bonne décision. Une fois que tout le monde pense de la même manière, il n'y a plus besoin de faire de shotcall. Jouer sans aucun call est impossible, mais c'est notre but d'essayer de jouer sans ça. 

 

Comment faire un teamfight sans calls ?

Si on prend un joueur de Malphite, il va chercher à engager le fight avec son ultime. Mais la fenêtre d'opportunité est parfois très rapide, il n'a pas toujours le temps de faire le call. Et puis si jamais il le fait, ça finit souvent comme ça, un autre joueur va lui dire : "Non, pas maintenant". Ce qui rend la communication confuse. Moi, je pense que c'est mieux que le joueur de Malphite dise à ses partenaires : "Si je vois une opportunité, je fonce dedans". Et comme ça, tout le monde est dans le même état d'esprit et prêt à réagir.

 

Comment être sûr que le coach connaisse la bonne solution pour jouer ?

C'est difficile de trouver la meilleure solution. Mais je n'ai pas encore fait mon service militaire, je n'ai pas de petite amie et je n'ai pas beaucoup d'amis. Certains pourraient penser que je suis incompétent. Mais je ne suis sûrement pas incompétent pour League of Legends. Je suis assez confiant pour dire à mes joueurs : si tu penses différemment de moi, c'est que tu as tort.

Quand j'ai rejoint Griffin, j'ai demandé aux 6 joueurs s'ils pensaient mieux connaître le jeu que moi. Je les ai tous pris en 1v1, et je les ai tous battus. Et ensuite, dans le debriefing, je leur ai montré à quel point je connaissais le jeu. J'ai fait de mon mieux pour gagner leur respect et leur confiance. Après, bien sûr, je dois constamment réévaluer mes connaissances. Je ne peux pas oublier que je peux aussi avoir tort.

 

Si tu devais résumer la culture de ton équipe ?

Je demande à mes joueurs d'être extrêmement exigeants envers eux-mêmes. Un joueur doit se blâmer lui et seulement lui, et ce, quelle que soit la situation. Et c'est pareil pour moi. 

Mais nous vivons ensemble de manière très ouverte. Les joueurs imitent même ma voix (rires). 

 

Comment sens-tu la finale contre kt Rolster ?

Je vais devoir attendre les scrims avant de pouvoir me prononcer. Toutes les équipes de LCK et de LPL jouent à fond. J'étais fou de penser que ça serait facile. La finale contre KT sera compliquée, mais je vais juste faire mon maximum pour trouver une manière de les battre.