Boyan, co-fondateur du média Rocket Baguette, dédié comme vous avez pu le deviner à l'esport Rocket League, a souhaité partager une petite ôde à son jeu de prédilection rédigée par ses soins. Vous pouvez la lire ci-dessous.

 

 

Rocket League est-il la meilleure simulation de football ?

 

Lorsqu’on évoque le terme de « simulation de football », on pense inévitablement aux franchises FIFA et PES. En regardant de plus près les mécaniques de jeu proposées, on réalise qu’on est plutôt loin de celles du football. Loin de ces superpuissances marketing, le studio indépendant Psyonix a créé un univers qui, au prix de quelques libertés créatives, place le joueur au cœur de sa relation avec un ballon, faisant de Rocket League un sérieux candidat au titre de meilleure simulation de football. 

 

Dans la prospère industrie du jeu vidéo, le football tient, comme partout ailleurs, une place de choix. Chaque année, les « jeux de foot » s’écoulent à des millions d’exemplaires, profitant de l’excitation des passionnés à chaque début de saison. EA Sports et Konami, éditeurs des deux principales franchises, se contentent depuis 25 ans maintenant de jeux dont la différence, d’une année sur l’autre, n’est pas visible à l’œil nu. Lorsqu’on regarde l’évolution en terme de gameplay, on s’aperçoit que les mécaniques sont les mêmes. Dans FIFA Soccer 95 tout comme dans FIFA 18, la touche A sert à tirer et la touche B à faire une passe. La réussite de ces gestes ne dépend pas du joueur, mais des compétences attribuées aux avatars qu’il contrôle. 

 

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Le toucher de balle, aspect importantissime de Rocket League

 

Avec chaque nouvel opus, ces mastodontes revendiquent toujours plus de réalisme. Les stars du football sont modélisées à la perfection, on peut même distinguer certaines manières de prendre son élan ou de frapper le ballon, propres à tel ou tel joueur. Aujourd’hui, ces jeux ressemblent comme deux gouttes d’eau, effectivement, aux retransmissions télévisées de rencontres professionnelles. Est-ce bien cela que l’on doit attendre d’une simulation de football ? 

 

Pour répondre à cette question, il faut au préalable définir deux choses. Simulation et football. Pour « Simulation », voilà ce que dit le Larousse : « Représentation du comportement d'un processus physique au moyen d'un modèle matériel dont les paramètres et les variables sont les images de ceux du processus étudié ». Pour « Football » : « Sport dans lequel deux équipes de onze joueurs chacune cherchent à envoyer dans le but adverse un ballon sphérique, avec les pieds, la tête ou toute autre partie du corps (excepté la main ou le bras) ». 

 

Sans contestation possible, la partie football correspond. Mais pour le côté simulation, le doute est permis. Le processus physique d’envoi du ballon est mis de côté. Les aspects de contrôle et de touche de balle sont considérés comme acquis et, de ce fait, sont complètement délaissés. Or, l’essence de ce sport, ne réside-t-elle pas dans cette relation entre le corps et le ballon ? 

 

Ce qui rend le football si complexe, si riche et donc si passionnant, ce sont les propriétés physiques d’un ballon dans le contexte de la gravité terrestre. La réaction du cuir est unique à chaque touche de balle. Une infime modification de la localisation et/ou de la puissance de l’impact entre un pied et le ballon va entraîner une trajectoire complètement différente. La différence entre une frappe qui va partir en touche et une frappe qui va partir en lucarne est infime. 

 

En tant que joueur (du dimanche) passionné, au même titre que des millions d’autres, je peux l’affirmer : cette relation avec le ballon et ses propriétés physiques est unique. Elle découle d’un instinct naturel, d’une compréhension de l’espace qui ne s’apprend pas mais se ressent. Et la sensation procurée par une touche de balle réussie est elle aussi spéciale. Un éphémère instant de sérénité au milieu d’une éternité de chaos. 

 

Comment reproduire cela dans un environnement virtuel ? Le ballon, la gravité, d’accord, mais le reste ? Le corps, les jambes, tout sauf les mains et les bras ? Courir ? Sauter ? Il est tout simplement impossible de reproduire la complexité du déplacement humain et de la rendre contrôlable au travers d’une manette de jeu. Personne ne peut en vouloir à FIFA et PES de ne jamais s’être lancé là-dedans. Le football dans son intégralité ne peut tout simplement pas être simulé. 

 

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Adepte de FIFA et PES, je n’avais jamais remis en question leur approche du football jusqu’à l’été 2015 et la sortie de Rocket League, un jeu qui a choisi de s’intéresser à ce rapport avec le ballon, en utilisant le subterfuge le plus malin qui soit. Psyonix, un studio indépendant de San Diego a été aussi rusé que Pipo Inzaghi dans une surface de réparation adverse dans le temps additionnel. Le corps humain a été remplacé par un moyen de transport universel : la voiture ! Un véhicule dont les propriétés physiques sont connues de tous, très simples à reproduire – les simulations automobiles sont elles aussi un classique du jeu vidéo. 

 

Aussi farfelu que cela puisse paraître, taper dans un ballon virtuel avec sa voiture virtuelle offre une sensation proche de celle ressentie sur un terrain de football. N’avez-vous jamais eu l’impression, au volant, que votre voiture était le prolongement de votre corps ? Passé le temps d’adaptation, plus ou moins long en fonction de l’aisance de chacun à associer ces concepts qui, dans la vraie vie, semblent totalement incompatibles, on découvre toute la profondeur et la richesse de Rocket League. Votre performance dans le jeu va dépendre de votre habilité à manier le ballon. En allant plus loin, on découvrira même des notions stratégiques de placement et de déplacement, comme tout (e)sport collectif qui se respecte. 

 

psgRocket League a séduit d'importantes structures comme le PSG eSports

 

Dans Rocket League, Psyonix a su reproduire la physique unique d’un ballon soumis à la gravité terrestre et à offrir un outil qui remplace le corps humain. Bien sûr, de nombreux ajustements au niveau des règles ont été nécessaires, nous éloignant de la définition du football vue précédemment. Mais l’essence est là. Les sensations sont là, pour la première fois dans un environnement virtuel. Psyonix a réussi là où personne d’autre n’a réellement osé s’aventurer. 

 

Le jeu est sorti il y a trois ans, comme une suite à un obscur premier opus de 2009 et aujourd’hui, il existe des virtuoses de cette discipline, qui pilotent le ballon avec le même brio que Cristiano Ronaldo, Léo Messi et autres Antoine Griezmann. Il existe une scène compétitive de Rocket League, relativement développée. Le format de compétition officiel oppose des équipes de trois joueurs dans des rencontres de cinq minutes. Une trentaine de joueurs dans le monde vivent du jeu et peuvent donc être considérés comme professionnels. On retrouve même certains traits culturels existants dans le football : les joueurs européens ont été précurseurs dans la mise en place de jeux de passes, tandis que les nord-américains se sont, à une époque, distingués par une agressivité supérieure. 

 

Les français sont bons, très bons, voire les meilleurs. Alexandre « Kaydop » Courant, 20 ans, est double champion du monde en titre. Il est en tête du classement mondial des joueurs ayant remporté le plus de gains en compétition, avec plus de 120 000 $ en deux ans de présence au plus haut niveau. Comparé à d’autres disciplines esport, Rocket League reste assez confidentiel, mais le lien avec le football se fait de plus en plus. Dans la division RLCS européenne (Rocket League Championship Series, la ligue officielle, organisée par Psyonix), on trouve le PSG Esport, présent sur la scène depuis bientôt un an, ainsi que Renault Sport Team Vitality (une association entre le constructeur automobile et la structure française Vitality spécialisée dans l’esport). Le FC Nantes, le Servette de Genève et Lausanne Sport sont également actifs à un niveau inférieur, tout comme l’a été le club espagnol du FC Valence.

 

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 Kaydop, chez dignitas, après son second titre de champion du monde RLCS en juin dernier à Londres

 

Une rencontre de haut niveau se caractérise par son intensité et sa nervosité. Les matchs se jouent dans une arène fermée dont le ballon ne peut s’échapper. Pendant les cinq minutes que dure un match, les seuls moments de répit ne durent que quelques secondes, le temps d’un ralenti après un but. En cas d’égalité, les équipes vont en prolongations et sont départagées par la règle du but en or. 

 

En janvier dernier, c’est un but en or de Victor « Ferra » Francal qui a offert la victoire au PSG Esport face à l’équipe nord-américaine de G2 Esports en finale du tournoi majeur Dreamhack Open à Leipzig. Et début juin, à la Copper Box Arena, un des sites qui a accueilli les jeux Olympiques de Londres en 2012, les deux dernières minutes de la finale des RLCS ont offert un incroyable scénario à rebondissements aux 5 000 personnes présentes dans la salle qui n’en sont pas ressorties indemnes. 

 

L’esport est un domaine en pleine expansion qui bouillonne. Ses aficionados n’ont qu’une hâte, c’est la conquête du grand public. Une simple question de temps, compte tenu du fait qu’il est aujourd’hui l’une des principales sources de divertissement des générations les plus jeunes. Rocket League en sera son porte étendard, la discipline qui offrira un spectacle à la hauteur des sports actuels et qui convaincra le public du véritable statut d’athlète à accorder aux compétiteurs esportifs. Et Kaydop deviendra une gloire nationale, au même titre que Platini, Zidane et Griezmann.