Après DioudSteeelbackZaboutine, Nisqy et Duke, la rédaction est cette fois-ci allée à la rencontre d'un grand ami de la structure *aAa*, Sami "Rico" Harbi.

 

Journaliste en Corée, businessman puis manager pour Fnatic, coach de Dignitas puis de CLG Academy, Sami "Rico" Harbi est probablement une des personnalités françaises les plus expérimentées de la scène professionnelle de League of Legends. Actif depuis 2010, Rico a tout connu. L'ancien coach a terminé son contrat chez CLG cette année et a pris le temps de répondre aux questions de la rédaction *aAa*, en revenant sur son parcours et sur l'actualité. Il nous a également parlé de son expérience de la scène et de ce qui l'entoure.

 

 

Peux-tu te présenter rapidement pour ceux qui ne te connaissent pas ?

Tout a commencé en 2011 pour Millenium, où j'étais en Corée et servais de correspondant. J'étais journaliste là-bas donc je couvrais tout ce qui était GSL et première saison d'OGN sur League of Legends. Je gérais aussi tout ce qui concernait les joueurs là-bas puisque j'étais le point de contact, notamment quand Stephano était venu s'entraîner en vue de participer à la Blizzard Cup. C'est comme ça que je suis vraiment entré dans l'esport. Ensuite, j'ai fait un passage chez Fnatic. Au début j'étais dans le business, et ensuite j'ai accompagné l'équipe pendant les Championnats du monde 2013 jusqu'en demi-finale, et au début de saison 2014, j'ai fini par manager l'équipe. À l'époque j'étais un genre de General Manager, parce que le rôle de coach n'était pas encore fondamentalement admis par la scène occidentale. C'est arrivé à la fin de cette année-là. Fin 2014, début 2015, c'est là où à peu près toutes les équipes EU comme NA ont commencé à se doter de coachs à proprement parler. Avant ça, on faisait un petit peu tout. On essayait de coacher quand on pouvait, mais surtout de s'occuper du management de l'équipe de manière générale. Ensuite, en 2015, je suis allé chez Dignitas, où j'avais été appelé pour les sortir de la zone de relégation lors du Spring Split. L'objectif a d'ailleurs été rempli avec succès. Suite à ça on a fait un très bon summer split, avec une équipe dans laquelle il y avait notamment CoreJJ, le futur champion du monde. C'était juste avant qu'il fasse la transition en support. Après ça, fin 2016, j'ai été contacté par CLG pour prendre la tête de leur équipe académique après qu'ils aient échoué en phase de qualification pour les Challenger Series au premier tour de l'Open Qualifier. Donc on a fait l'Open Qualifier suivant en avril 2017, et on s'est qualifiés sans soucis. Enfin, Summer Split 2017 et Spring Split 2018 avec CLG Academy.

 

Tu as commencé en tant que joueur ou tu t'y es intéressé à travers l'encadrement et le journalisme ?

En ce qui concerne l'esport à proprement parler, c'est vraiment par le journalisme que je suis rentré dedans. J'ai eu un très bon niveau sur certains jeux, mais sur aucun qui n'ait une scène esport développée, comme Dark Age Of Camelot en RVR, ou Aion à sa sortie... Des trucs comme ça. Donc j'étais plutôt joueur de MMORPG, Wow Arena et tout ça. Mais en compétitif, ça a vraiment été en tant que journaliste que je suis rentré à la base.

 

Tu as déjà coaché et managé en LCS. Qu'est-ce qui a changé entre le moment où tu as commencé et aujourd'hui ?

Bah déjà au début, autant en Asie, le rôle des coachs était admis, compris et accepté par les joueurs, autant dans les pays occidentaux, ça a pris plus de temps. Déjà ce n'est pas là culturellement, et au bout d'un moment, il a vraiment fallu qu'il y ait une demande de la part des joueurs pour se dire que finalement, on avait besoin de quelqu'un. Même si cette personne n'est pas forcément meilleure que nous, mais au moins quelqu'un qui sera là pour coordonner l'équipe et s'assurer qu'on va tous dans la même direction.

 

Le rôle de coach est méconnu du grand public. Qu'en penses-tu ? Devrait-il être mieux mis en lumière selon toi ?

Pas nécessairement mis en lumière, mais mieux défini pour la communauté. Effectivement, c'est le métier de tous les fantasmes. Dès qu'il se passe quelque chose dans une équipe, on s'imagine que le coach avait X ou Y raisons, que les picks et bans c'est aussi le coach, mais tout est tellement plus compliqué que ça. C'est avant tout un métier de gestion humaine. Bien avant de faire de la stratégie, de révolutionner la meta, etc. Tu es avant tout là pour gérer cinq joueurs, voire plus si tu as un effectif étendu. Tu dois t'assurer que ces mecs-là communiquent correctement, qu'ils comprennent le jeu de la même manière, qu'ils ont un système de communication et de prises de décisions, un système de debrief bien précis, avant même de commencer à dire qu'à 3:30 on va poser une ward là. 

 

Rico lors des championnats du monde saison 2013 avec Fnatic

 

Concernant ton expérience en NA, la scène académique était déjà assez développée quand tu es arrivé là-bas, non ?

Oui et non... Si tu veux, quand j'arrive en NA pour l'Academy, il n'y avait que deux structures LCS qui avaient une équipe Academy. Il y avait Echo Fox avec Delta Fox, et il y a CLG. Et encore, quand je suis arrivé, CLG n'était même pas encore en Challenger.

 

Et qu'en est-il du circuit universitaire avec les programmes pour l'esport ?

Oui, ça existe aussi, mais pour le coup c'est une ligue universitaire gérée par la team Esport College de Riot. C'est un circuit séparé de celui des LCS et des Challenger Series.

 

L'arrivée des franchises a-t-elle fusionné toutes ces ligues ou est-ce que les deux circuits coexistent toujours ?

Non, il y a toujours les deux circuits. Il y a la ligue College Championship qui continue, où les universités s'affrontent entre elles. Et à coté pour le coup, tu as la vraie ligue académique où tu retrouves les rosters Academy de toutes les équipes LCS. 

 

Penses-tu que les deux circuits peuvent coexister et est-ce une bonne chose pour le développement de League of Legends ?

C'est une bonne chose pour le développement du League of Legends américain, parce que ça permet à des jeunes de faire une carrière, parce que mine de rien, c'est un énorme sacrifice de faire carrière dans l'esport et de tout lâcher pour essayer de percer en tant que joueur pro. Donc les ligues universitaires te permettent d'aller faire des études, d'avoir une bourse universitaire puisqu'il y en a pour l'esport aussi maintenant. Donc avec cette bourse, tu fais tes études, tu essaies de voir jusqu'où tu peux aller dans l'esport, et tu peux te faire repérer comme ça par une équipe. Ça a été le cas pour certains joueurs comme par exemple Shady qui a été support chez Phoenix1 l'année dernière et qui est maintenant chez TSM Academy. À la base, il évoluait en ligue universitaire. Donc les joueurs d'université se font repérer comme ça par les structures professionnelles, mais pour ceux qui n'ont pas cette chance-là, ça leur permet de continuer leurs études. Donc c'est un bon compromis pour ceux qui ne sont pas sûrs de leur niveau ou qui n'ont pas nécessairement la confiance pour franchir le pas et s'engager à 100 % sur le jeu. 

 

Qu'est-ce que le système de franchises a changé pour les équipes et notamment les équipes académiques ? On pense notamment à l'arrivée de clubs de NBA et de grosses structures sportives dans les organisations. Qu'est-ce que ça a changé ?

Alors déjà, je dirais que chaque structure a vécu la chose différemment. Mais globalement, ça représente effectivement plus de moyens. C'est indéniable. Maintenant, c'est vrai que dans la très grande majorité, ces moyens ont été investis sur les LCS et pas sur les académies. C'est d'ailleurs un peu le problème de la ligue académique en ce moment, c'est que chaque équipe a une académie parce qu'elle n'a pas le choix. C'était un prérequis obligatoire de Riot. Toute équipe devait se munir d'une équipe Academy. Donc les gens ont fait ça, mais effectivement, pour la plupart des structures, on est sur le strict minimum en termes de moyens investis. À côté de ça par contre, les structures LCS, que ce soit au niveau des locaux, du staff, des salaires, des moyens... ça a vraiment explosé cette année.

 

Tu veux dire que les équipes académiques n'ont pas accès aux même structures que les équipes A ?

Là encore, ça va dépendre des équipes. Mais globalement oui, tu n’investis pas autant sur les infrastructures de tes équipes académiques sur sur celles des équipes LCS. Notamment, au niveau des salles d'entraînement, des salles de reviews, au niveau du nombre de coachs... Une équipe LCS peut avoir jusqu'à six ou sept personnes dans le coaching staff, juste par rapport au jeu. Je ne parle même pas de tout ce qui va être kiné, psychologue, etc. 

 

Parle nous du cas CLG, parce qu'on sait que certaines équipes veulent faire tourner des rosters de 10 joueurs qui peuvent rentrer ou sortir de l'équipe LCS, et qui pourraient attribuer à leur équipe académique les mêmes moyens qu'à leur équipe première.

Hmmm, non. Je pense que ce n'est pas vrai. Je pense que même quand certaines personnes disent ça, ce n'est pas vraiment le cas. Ce n'est pas possible : tu as six à sept heures d'entraînement par jour pour une équipe de LCS, et à peu près pareil pour une équipe académique. Tu ne peux pas, en tant que coaching staff, te concentrer de la même manière sur les deux équipes. Il n'y a pas assez de temps dans une seule journée pour faire ça. Donc de toute manière, c'est juste impossible. Mais c'est normal. Dans une équipe de foot, tu ne vas pas avoir le même staff pour l'équipe une de Manchester United et pour leur réserve. 

 

Les joueurs de l'académie sont dans la même Gaming House que les joueurs de l'équipe A ? Quelles étaient vos relations avec cette dernière ?

Ça va dépendre des structures. Tu as des structures dans lesquelles ils partagent la Gaming House, d'autres où ils sont dans des Gaming Houses différentes... Et là, pour le Summer Split, beaucoup d'équipes changent de modèle et sont en train d'arrêter complètement les Gaming Houses. C'est le cas pour CLG qui a de nouveaux locaux, Team Liquid a déjà présenté son centre d'entraînement... Donc il commence à y avoir une vraie séparation là-dessus, où finalement, les joueurs Academy et les joueurs LCS vont venir s'entraîner dans le même centre d'entraînement, mais par contre, comme n'importe qui irait au boulot, rentreront chez eux le soir. 

 

 Rico lors de son passage chez Millenium en compagnie de Ryu, H0R0, Jree et Creaton

 

Fnatic a lancé son propre centre d'entraînement en Europe, même s'ils ont encore une Gaming House pour l'instant. Pourquoi est-ce que le modèle de la Gaming House arrive à ses limites selon toi ?

Là-dessus, je pense que j'ai un avis qui est un peu différent de beaucoup de structures occidentales. Moi, je ne suis pas nécessairement contre. Je suis pour essayer le modèle du centre d'entraînement, parce qu'effectivement, c'est peut-être quelque chose qui est dans notre ADN en occident de faire les choses comme ça, et de séparer les choses, d'intégrer un coach psychologique, de faire de la médiation... Enfin voilà, de faire les choses différemment. Je suis pour le fait d'essayer, mais attention à ne pas s'entêter. Parce qu'à vouloir faire cette séparation-là, il ne faut pas oublier que les mecs qui gagnent en boucle les compétitions internationales, c'est la Corée et un peu la Chine. Et là, on est en train de parler d'équipes dans lesquelles l'entrainement, c'est du grind, c'est de la Gaming House, c'est intensif... Donc voilà, toutes ces choses qui sont faites pour alléger le quotidien et pour faciliter un peu l'entraînement, pour éviter le burnout, tout ça sur le papier, je suis tout à faire d'accord sur la philosophie qu'il y a derrière. Par contre, il ne faudra pas s'étonner si on continue à ne rien gagner internationalement. Quand nous, on veut faire six ou sept heures d'entraînement, un peu de soloQ puis rentrer chez soi, de l'autre côté du globe, ça fait trois blocs d'entraînement, plus de la soloQ jusqu'à 3 heures du mat, et à la fin de la saison, tu as 1600 games de soloQ, plus tes 12 heures d'entraînement par jour. Il y a un moment où il y a aussi cette vérité-là. Je pense que c'est important d'essayer, parce qu'il ne faut peut-être pas copier bêtement ce qui se fait en Corée ou en Chine, là ou culturellement, c'est peut-être plus ancré dans le mode de fonctionnement. Nous, on ne fonctionne pas pareil, donc je suis pour le fait d'essayer, mais attention à ne pas s'entêter.

 

Avec les franchises et l'absence d’up & down, on pourrait penser que l'intérêt sportif de la ligue académique est limité. Qu'en penses-tu ? 

Eh bien, il faut le voir pour ce que c'est. Alors évidemment, on essaie de gagner, mais ce n'est pas critique. L'important, c'est déjà de mettre en place une vraie cellule de recrutement de jeunes talents. On va pas aller chercher Faker, tout le monde le connaît, il n'y a pas besoin. On va aller chercher des joueurs qu'on ne connaît pas, des joueurs qui sont jeunes et qui n'ont pas encore fait leurs preuves. Il faut mettre en place un vrai processus pour ces choses-là. Ensuite, au fil des splits, il faut les faire progresser. C'est vraiment ça, c'est une ligue qui te sert à progresser. Que tu la gagnes ou pas. Et puis en fait, pour la gagner, ça va dépendre de plusieurs choses. Je prends chez nous par exemple, on avait une équipe de cinq rookies qui n'ont jamais joué en LCS, à part notre jungler (OmarGod) qui avait fait quelques matchs en fin de split pour remplacer Dardoch, mais globalement, on était sur cinq rookies. À côté de ça, tu as d'autres équipes qui avaient des joueurs comme Fly, Moon, Keith ou GoldenGlue... Donc forcément, tu as plus d'armes sur le papier quand tu as des joueurs plus expérimentés, et c'est une stratégie qui est tout-à-fait respectable et dont je suis tout-à-fait preneur. Encadrer des joueurs débutants par des vétérans qui, dans une partie, vont être capables de les calmer si besoin, ou de faire le bon call... C'est une stratégie comme une autre. Après effectivement, dans le déroulement de la ligue, ça va être des équipes qui, sur le papier, ont plus d'armes pour gagner. Après, est-ce que ça va permettre aux joueurs débutants de vraiment s'améliorer ? Ou est-ce que justement, ces joueurs débutants ne vont pas un peu avoir tendance à se reposer un peu trop sur les vétérans... C'est aussi la contrepartie. Donc c'est une question de choix, mais l'important, c'est la progression. Nous par exemple, chez CLG Academy, on a fait un début de split assez médiocre, voire mauvais, mais par contre, on finit le split avec la plus longue série de victoires contre toutes les équipes du top 4. Donc on a vraiment montré une belle progression de la part des joueurs, et c'est d'ailleurs pour ça que la plupart ont été conservés pour le split suivant. C'est ce qu'on cherchait à faire. On voulait les prendre, les faire évoluer, et à la fin du split, pouvoir leur dire "voilà, toi tu as progressé de manière suffisamment satisfaisante pour pouvoir continuer à faire partie du programme Academy et jusqu'à pouvoir, un jour, prendre une place en LCS". 

 

Justement, concernant ton rôle de coach, l'abordes-tu de la même façon que si tu coachais une équipe LCS ?

Non, pas du tout. Parce que là, tu as des joueurs qui sont rookies, c'est-à-dire débutants dans tous les sens du terme. Donc au-delà du jeu, ne serait-ce que dans la façon de gérer le quotidien : à quelle heure tu te lèves ou tu te couches, comment gérer ta soloQ, est-ce que tu te connectes juste pour rigoler ou est-ce que tu essaies de tirer quelque chose de ta soloQ ? Donc il y a toute cette phase de transition-là qui est extrêmement importante. Il faut les professionnaliser dans tous les aspects, dans le comportement... Il y a toute cette partie-là. Il y a aussi les debriefs entre chaque match d'entraînement, où tu n'auras pas les mêmes retours. C'est aussi un vrai challenge en tant que coach, parce que quand tu coaches, le jeu évolue tout le temps. Il y a des patchs toutes les deux semaines, et le coach doit également progresser. Or la progression d'un coach passe énormément par l'échange avec les joueurs. Tu ne joueras jamais mieux qu'un joueur pro à sa position. Tu es la pour comprendre globalement le truc. C'est vrai que j'ai pu avoir des échanges avec des joueurs comme CoreJJ, Shiptur, Helios ou KiwiKiD, et ce sont des mecs qui, de par leur expérience et leur niveau, ont une vision et une compréhension du jeu qui est bien plus avancée que celle de la majorité des joueurs débutants. Donc il faut aussi aborder le métier de coach en Academy en prenant ça en compte. Quand tu vas debrief avec tes joueurs, les retours qu'ils vont te faire sont moins organisés, moins pertinents... Il faut justement leur apprendre à comprendre ce qui s'est passé dans la partie, à se concentrer sur le bon élément. Alors qu'un joueur expérimenté va immédiatement dire "ah non mais la partie on la gagne ou on la perd à ce moment précisément parce que", un joueur débutant va plutôt avoir tendance à se perdre dans des détails mécaniques du genre "ah ouais mais la effectivement, j'aurais dû flash dans cette direction..." Mais non, ce n'est pas majeur, ce n'est pas ça que l'on va apprendre de cette partie-là. Donc il y a toutes les choses-là à apprendre, et en tant que coach Academy, j'ai passé beaucoup de temps avec l'équipe LCS, justement pour ça. Je les ai accompagnés tous les week-ends en LCS, déjà pour écouter en direct les communications pendant les matchs de LCS, voir sur quels aspects ils se concentraient, et j'échangeais beaucoup avec le coach LCS, parce que forcément, ce sont des sources d'informations inestimables et indispensables pour un coach.

 

Du coup tu formais tes joueurs pour qu'ils progressent bien de manière générale, ou pour qu'ils soient capables de rapidement s'adapter à l'équipe LCS si besoin ?

Un peu des deux. C'est forcément lié. On leur apprend à être tout simplement meilleurs, et après chez CLG, on a essayé de développer un playstyle spécifique de la structure pour que n'importe quel joueur de n'importe quelle position puisse monter ou descendre en équipe A ou en équipe B et jouer de la même façon. Donc ça c'est ce qu'on essaie de faire, tout en jouant sur la spécificité des personnages. Tu prends Huhi, le midlaner de l'équipe 1, c'est un excellent roamer, et il est très très bon pour ça, alors que Tuesday, le midlaner qu'on avait en Academy, est meilleur mécaniquement sur certains types de personnages sur les petites escarmouches, donc il pouvait être plus intéressant dans certaines situations. Du coup je n'allais pas le forcer à jouer le même style que Huhi parce que c'était un style qui n'était pas le sien. Donc on essaie de se retrouver sur le mode de jeu ou le système de communication, la priorité qu'on va donner à tel ou tel objectif, etc. Tout en essayant d'utiliser la spécificité de nos joueurs pour pouvoir aussi nous donner plus d'options.

 

Du coup, mieux vaut un joueur qui a un playstyle complètement différent pour offrir plus d'options, ou un joueur qui a un peu le même style et qui est capable de s'intégrer plus facilement dans l'équipe une ?

Les deux se valent. Il n'y a pas de vérité, je pense que tout dépend du projet de l'équipe. Par exemple, si moi j'étais à la tête du recrutement d'une structure, j'aurais tendance à privilégier deux junglers différents. Un jungler plutôt du type support/engage, et un jungler qui sera plus hard carry. Parce que déjà, tu ne sais pas comment va évoluer la meta pendant une saison, et quand tu fais ton recrutement en novembre/décembre, le patch de pré-saison n'est pas encore nécessairement sorti, et tu vas peut-être recruter un joueur avec un certain profil, alors que tu vas tomber sur une meta qui favorise un autre style. Je pense que multiplier les options serait plus intéressant mais après, tu as aussi l'option, et ça se vaut, de se dire que tu veux juste un joueur qui soit capable de prendre la place de celui que tu as si jamais il y a un pépin, ou si jamais il y a une baisse de niveau.

 

As-tu été impliqué dans le scouting et la sélection des joueurs qui composaient CLG Academy ?

Alors quand je suis arrivé en 2017, après qu'ils aient raté la première qualification, le but n'était pas de changer l'équipe. Et de toute façon ça n'aurait pas eu de sens, puisqu'après un an et demi passé en Europe, et après avoir quitté Dignitas, je ne connaissais pas suffisamment les joueurs inconnus du grand public pour être pertinent sur du recrutement. Donc j'ai fait confiance au recrutement qui avait été fait de base, et encore une fois, ça a payé puisqu'on a gagné l'Open Qualifier en ne perdant qu'une seule game dans l'intégralité du tournoi. Donc ça a été plutôt concluant, et tous les joueurs sont là, ils ont progressé, ils ont du potentiel, et il n'y a pas de problème. Après, sur la transition entre 2017 et 2018, on a fait une cellule de recrutement avec le coach de l'équipe A, moi-même et l'assistant-coach LCS, où on a passé des heures et des heures à disséquer tous les joueurs qu'il y avait globalement sur le marché. Donc on a fait un tableau de priorités et ce genre de chose, et on a essayé de faire ce qu'on a pu. Mais comme je te l'ai dit au début pour l'académie, ça a finalement été compliqué de faire des changements puisque, même si on a Madison Square Garden qui est arrivé au capital, la majorité des fonds sont partis en LCS.

 

Le système académique est un bon moyen de détecter de jeunes talents pour les line-ups principales. Est-ce également le cas pour les coachs et les membres du staff technique qui devraient encore faire leurs preuves ?

Je pense que pour coacher une académie, il faut quand même des coachs qui ont un peu d'expérience. Je pense que c'est important, mais il n'y a pas tant de coachs que ça sur le marché. Mine de rien, ça reste un métier très jeune. Donc je pense que lorsqu'on veut coacher et qu'on a aucune expérience, l'académie est un bon système là aussi pour se faire les dents, et pour se rendre compte de ce qu'est réellement le métier, de ce que sont ses challenges, quitte encore une fois à mélanger un coach un peu rookie avec un ou deux joueurs vétérans qui seraient capables d'apporter et d'échanger de manière pertinente avec ce coach-là.

 

Tu as quitté CLG Academy a l'issue du split. Que s'est-il passé ?

Rien de particulier. J’avais été recruté jusqu'à fin 2017 et quand j'ai fait ma prolongation de contrat, c'était pour un certain projet avec des moyens qui devaient être mis en place pour l'académie. Finalement, ça n'a pas été fait comme je le pensais, ou comme c'était convenu initialement, donc bon. Et puis, travailler aux USA, c'est quand même travailler loin de sa famille et de ses proches, donc ça ne m'intéressait plus de rester pour un projet dans lequel je ne me reconnaissais plus particulièrement, et dans lequel je ne pouvais pas vraiment faire les choses comme je le voulais pour cette académie par manque de moyens.

 

Rico en compagnie des CLG Black, FallenBandite, OmarGod, Tuesday et Auto

 

En Europe, Riot a mis en place l'Open Tour pour remplacer la scène Challenger. Que penses-tu de ce modèle ?

Je trouve que c'est un modèle super intéressant puisqu'il permet de révéler des joueurs et des équipes un peu plus locales, sans s'enfermer dans ce système de franchises où on voit toujours les dix mêmes équipes un peu partout. Donc ça laisse la place à d'autres structures plus locales pour exister et fonctionner. Personnellement, je trouve ça très intéressant. J'aime bien le principe.

 

À ton avis, ce modèle va être conservé par Riot avec l'arrivée des "partenariats" en Europe ?

Je ne sais pas si ça restera en l'état, mais globalement je pense que oui. je pense que c'est quelque chose qui est amené à rester. Après, ça sera surement changé, comme tout change chaque saison. Ça va changer et être amélioré en ayant appris des saisons précédentes. Mais en tous cas, je ne pense pas qu'on se dirige vers une ligue académique comme c'est le cas aux États-Unis. Je pense que l'Europe est trop spécifique pour faire ça et ça ne serait pas intéressant. Je pense que faire jouer les ligues nationales, jouer sur le fait que justement, on parle de plusieurs pays et pas d'un ou deux, ça permet de toucher pleins de pays différents et plein de publics différents... Autant booster ces scènes locales nationales.

 

En Espagne, ils ont organisé un tournoi spécifique type Challenger Series, alors qu'en France on est sur un circuit de LAN. À ton avis, quel est le meilleur modèle ?

Je pense qu'il n'y a pas de meilleur modèle. Finalement, le meilleur modèle, c'est celui qui correspond le plus à chaque pays. C'est la spécificité de l'Europe, et c'est ce qui fait que l'Europe est l'Europe. Donc je trouve que c'est important et que c'est un bon choix. Maintenant, en tout cas pour la France, il faudra peut-être s'assurer que la qualité des LAN soit meilleure. Il y a souvent des problèmes de connexion, des problèmes d'organisation, etc. Même si c'est moins pire qu'avant, il me semble que dernièrement ça a été assez compliqué pour la Dreamhack Tours par exemple. Donc il faut stabiliser ça, s'assurer que chaque étape du tour de France soit de qualité pour les joueurs et pour les spectateurs. Mais l'idée en elle-même est très intéressante, et je trouve ça très bien.

 

Tu dis que le modèle doit s'adapter aux spécificités locales, mais pourtant, le modèle de franchises qu'on retrouvera l'année prochaine en Europe n'est pas du tout le standard en termes de compétitions. Est-ce que tu penses que c'est un système qui peut tout de même fonctionner en Europe ?

Oui, je pense que c'est quelque chose qui peut fonctionner. Par contre, je pense qu'il devrait y avoir un peu plus de turn-over au niveau des équipes qu'aux États-Unis. De mémoire, je crois qu'aux USA, il faut finir dernier pendant 4 ou 5 splits avant de voir son spot remis en question. Peut-être qu'il faudrait réduire ce nombre pour l'Europe... Je n'en sais rien, mais en tout cas, c'est important qu'un système comme ça existe de toute manière, pour permettre aux structures d'exister. Tu ne peux pas lever des fonds ou faire venir des investisseurs sur un modèle aussi risqué que celui de la relégation. Ce n'est juste pas possible. 

 

Les structures esport traditionnelles ne risquent-elles pas de disparaître au profit d'équipes de foot par exemple ?

Non, je ne pense pas. D'une part, je ne vois pas un club de foot se ramener tout seul et dire "salut, je veux un spot". Je pense que n'importe laquelle de ces équipes va d'abord chercher à faire ce qui s'est passé aux États-Unis. D'abord tu contactes les structures déjà existante. Tu vas voir Fnatic, tu vas voir G2, tu vas voir H2K, etc. Tu leur dit voilà, je m'appelle Real Madrid ou je ne sais quoi, l'esport m'intéresse donc est-ce qu'on peut bosser ensemble ? Ce n'est pas évident de se lancer de zéro. Il y en a qui le feront, et je ne doute pas qu'il y en a qui y arriveront. Mais ce n'est pas nécessairement le modèle de tous. Je pense que des structures historiques comme Fnatic ou G2 sont des équipes qui existent, qui ont une fanbase, et je ne les vois pas disparaître comme ça. Et si ces équipes-là n'arrivent pas à lever les fonds nécessaires pour rester, c'est qu'il y a de toute manière un problème au niveau du management. 

 

Mais on sait aussi que pour Riot, ce n'est pas qu'une question de budget ou de fanbase.

Non, bien sûr. Mais de la même manière que personne n'a douté que TSM, Cloud9 et CLG resteraient en LCS NA, je n'imagine pas que Fnatic se fasse kick. C'est juste impossible. À part vraiment s’ils présentent un dossier fait sur Paint, mais il ne devrait y avoir aucun problème. À part encore une fois financièrement s'ils n'arrivent pas à lever les fonds. Mais je ne me fais vraiment pas de soucis pour ça.

 

Lors du MSI, RNG a battu KING-ZONE. Est-ce la fin de la domination coréenne ?

Non, ce n'est jamais la fin de la domination coréenne. Je pense que RNG avait mieux compris la meta que les autres équipes, et selon moi, il y a aussi le fait qu'Uzi soit dans le top 3 des meilleurs joueurs du monde depuis 4 ou 5 ans. Avec Faker, Uzi c'est un monstre. Donc pour le coup, il avait autour de lui une équipe qui jouait bien, avec un Karsa excellent en jungle et un Mxlg qui est toujours respectable et très bon. Tu as un LetMe, qui a surpris pas mal de personnes mais qui a déjà dominé Khan quand ils jouaient dans la même ligue en Chine. Il ne faut pas l'oublier. Donc tu avais une très bonne équipe. Après, KING-ZONE, c'est un peu frais internationalement. Khan n'en est qu'à son deuxième tournoi international si je ne m'abuse. Pour l'instant, je ne l'ai jamais trouvé très impressionnant ou très constant internationalement. Donc à voir. BDD c'est un petit peu pareil, et puis Peanut, PraY et Gorilla, ils en sont à leur troisième finale internationale perdue. Donc il y a aussi peut-être un coté psychologique sur ces joueurs la qui fait que... Mais c'est pour ça que j'aurai toujours plus confiance dans un Samsung ou un SKT internationalement, que n'importe quelle autre équipe coréenne, peu importe ce qu'il se passe en LCK. 

 

Et qu'as-tu pensé de la prestation de Fnatic au MSI ?

J'ai trouvé que ce n'était pas fou. Mais globalement, je trouve que chez Team Liquid ou Fnatic, ou même RNG avant la finale parce qu'ils ont fait une très bonne finale, il y a beaucoup d'erreurs très évitables. Il y a eu de très belles phases de jeu, et on a eu un Caps que j'ai trouvé vraiment impressionnant. Je ne l'attendais pas à ce niveau-là, et il a vraiment fait un très bon tournoi. Mais je pense qu'il y avait vraiment un manque de régularité de la part des joueurs. Hylissang n'a pas été fou sur ce tournoi. Rekkles a connu une phase de groupe très compliquée. Broxah a été assez bon en poule mais moins convainquant en demi-finale. Il y a eu un niveau intéressant, mais un manque de constance au niveau du tournoi, et tu as besoin que les cinq joueurs aient un bon niveau en même temps pour aller plus loin.

 

Certains spectateurs ne s'intéressent pas aux LCS NA à cause de leurs mauvaises performances internationales. Qu'en penses-tu ?

C'est un fait, les NA n'arrivent pas à performer à l'international, par contre, en toute objectivité, je pense que de manière générale, lorsque tu regardes LCS NA et LCS EU, je pense que le top des équipes NA a une meilleure maîtrise du jeu en LCS. C'est un peu moins chaotique. Après, internationalement il y a un problème dans la région avec ça. Autant en Europe, on arrive à jouer de manière débridée, et on le voit régulièrement avec Fnatic, on l'a vu avec Misfits l'année dernière... C'est historique, on l'a vu avec Origen quand ils étaient encore en LCS. En Europe, on n'a pas peur de jouer notre style et de faire ce qu'on a à faire dans les compétitions internationales. En NA, ça a encore l'air un peu compliqué d'imposer son style de jeu et de trouver son identité à l'international. Donc je comprends que forcément, ça n'encourage pas les spectateurs européens à vouloir regarder les LCS NA. Ce n'est pas un problème de meta ou quoi, c'est juste un problème de préparation dans la façon d'aborder ces compétitions, dans la façon d'avoir aussi confiance dans sa propre région. De se dire qu'on a tel niveau dans sa compétition et qu'on est capable d'aller jouer son style ailleurs. Et on voit que ça marche quand on voit des équipes comme Gigabyte Marines, ou les WildCards brésiliennes ou turques. Ils ne cherchent pas à faire ce qu'ils ne savent pas faire, ils jouent leur jeu. Alors ça va plus pécher par rapport au niveau général des joueurs, mais quand tu as une équipe comme Team Liquid, avec des joueurs comme DoubleLift, Impact ou Xmithie, ce sont d'excellents joueurs. Le niveau est là donc le problème ne vient pas du niveau des joueurs. Le problème vient de la préparation, de la manière d'aborder ces matchs, ce sont des choses que les NA vont devoir travailler pour faire quelque chose de mieux. Finalement, quand on regarde les MSI 2016 où CLG arrive en finale, ils arrivent en finale parce qu'ils ont joué leur jeu. Parce qu'ils ont pris leurs picks à eux, ils ont joué leur propre style, et ça a marché. C'est la seule fois ou les NA ont été capables de faire quelque chose comme ça, et c'est quelque chose qu'ils doivent répéter, parce qu'on est encore une fois dans une région où en termes de niveau de joueurs, il commence à y avoir des joueurs très très très bons.

 

Un dernier mot pour les lecteurs de *aAa* ?

J’espère que vous resterez attentifs sur toutes les scènes, parce que l'esport est mondial. Donc c'est bien que *aAa* puisse s'intéresser et couvrir différentes régions avec différentes personnalités pour donner tout ça à leurs lecteurs. Et puis, mine rien, c'est bien que *aAa* soit toujours là, avec une certaine autonomie et indépendance par rapport à d'autres médias de l'esport où justement, le côté traitement pur de l'esport est un peu passé à la trappe. Sinon, n'hésitez pas à regarder la ligue académique américaine. C'est assez sympa, les games sont divertissantes, et ça progresse assez vite. Je pense qu'il y a certains joueurs qu'on verra bientôt à un autre niveau.