Après DioudSteeelbackZaboutine et Nisqy, la rédaction *aAa* est allée à la rencontre d'Hadrien "Duke" Forestier, le coach stratégique de la formation Splyce.

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Salut, Duke. Merci d'avoir accepté de nous répondre. Commençons par le commencement. Comment as-tu débuté les jeux vidéo ?

J'ai toujours été vaguement intéressé par l'esport sans trop savoir ce que c'était. Disons que là où j'ai été le plus proche de ça, c'était avec Warcraft 3 quand j'étais au lycée, où je jouais et regardais des replays. Après, ça a été Starcraft via Pomf et Thud. Ensuite, quand je suis rentré en école, je me suis mis à LoL via une vidéo de Chips et Noi et j'ai commencé à jouer, puis à regarder de plus en plus. Ensuite j'ai commencé à moins regarder le contenu en français et plutôt tout ce qui était stream inter, où ce genre de chose pendant quelques années, jusqu'au moment où je suis moi-même rentré dans l'esport.

 

Après avoir obtenu un diplôme de finance, tu as enchaîné quelques stages dans ce milieu, avant de finalement atterrir chez Ubisoft. Tes premiers pas professionnels dans le jeu vidéo ?

Oui, après j'avais déjà fait un stage chez Ubisoft et chez Lexis Numérique quand j'étais plus jeune, parce que je rêvais à l'époque de travailler dans le domaine du jeu vidéo, même si j'ai un peu divergé par la suite. Mais j'y suis revenu donc oui, c'est bien ça. Après je bossais déjà dans l'esport quand j'étais chez Ubisoft, mais c'était mon premier boulot post-école. J’avais fait un an de stage en finance avant en stage de césure.

 

 À quel moment t'es-tu dit que tu voulais faire du cast et de l'analyse sur League of Legends ?

En fait, au départ, je me suis retrouvé à écrire des articles. En stage de fin d'études, j'étais en République Dominicaine, et je n'avais pas suffisamment accès à Internet pour pouvoir jouer. Mais du coup, je suivais quand même League et je voulais m'occuper autour de ça. Donc j'ai commencé à faire des paris en ligne, parce que c'est possible à l'international même si ce n'est pas légal en France. Donc je pariais sur des matchs, et j'ai commencé à écrire sur mon blog parce qu'un mec m'avait motivé à le faire, ensuite j'ai écrit chez Millenium, et au bout de 6 mois, j'avais un peu fait le tour des articles et je ne prenais plus trop de plaisir là-dedans. Et ensuite, je me suis remis à regarder Chips et Noi alors même que je ne les regardais plus trop, et par hasard, je suis tombé sur une annonce comme quoi ils cherchaient des casters, et du coup je me suis dit why not, ça pourrait être marrant, surtout que l’image que j’avais d’Ogaming m’a fait me dire que ça m'aurait bien fait marrer de rencontrer ces gens. Finalement, c'est plutôt pour rencontrer des gens qui s'intéressaient vraiment à League que j'ai fait ça, et du coup j'ai fait quelques vidéos, et ils m'ont pris là-bas. Après, l'aspect analytique, c'est plus que ça a toujours été mon approche des choses en général, et du coup ça m'a permis de trouver ma place quand j'étais caster, c'est comme ça que je faisais mes articles aussi avant, je m'intéressais plus à l'aspect analytique, et je ne suis pas un hypeur de foules. Et petit à petit, c'est devenu un peu ma "marque de fabrique".

 

Après un an de cast, tu as changé d'orientation pour devenir coach du PSG Esports. Comment cette opportunité s'est-elle présentée ?

Donc j'ai fait un an de cast, et à vrai dire, même au bout de 6 mois, je trouvais ça sympa, mais j'avais un peu l'impression d'être limité. Il faut dire que je faisais ça le soir après le boulot, et au bout d'un an, j'avais un peu l'impression d'avoir fait le tour en ce qui concernait ce que j'apprenais sur le jeu, et je n'estimais pas que si je devenais caster chez OGaming en auto-entrepreneur, ça me permettrait d'en vivre. Du coup, vu que l'esport en général marchait bien, je me suis dit que j'allais pouvoir trouver quelque chose, et que ce qui se rapprocherait le plus de mes compétences, ça serait dans une équipe. Du coup, j'ai commencé à chercher, j'ai contacté Bora, j'ai eu des entretiens avec lui et j'ai été pris au PSG.

 

Donc c'est toi qui as fait une candidature au PSG ?

Oui. En fait, je savais qu'une équipe était en train de se monter, et je connaissais quelqu'un qui m'a mis en contact avec Bora. Il interviewait pas mal de gens à l'époque donc j'ai eu une grosse série d'entretiens, et on a eu un bon feeling. Il m'a fait confiance sur la façon que j'avais de répondre à ses questions et il a fini par me prendre. Mais j'étais aussi en contact avec d'autres équipes à l'époque.

 

Comment apprend-t-on un métier comme celui de coach dans un environnement avec autant de pression que celui du PSG ?

Comment... Disons qu'il y a autant de façons de coacher que de coachs. Donc c'est un peu comme si chacun faisait comme il pouvait. Mais moi, comment j'ai appris... Déjà, il y avait Bora qui, certes, était officiellement manager, mais qui assistait à tous les entraînements, qui donnait ses feedbacks en permanence, et qui avait aussi l'autorité sur les joueurs en termes d'expérience. Donc en fait, j'ai directement beaucoup appris de Bora. C'est aussi la raison qui m'a poussé à aller là-bas. Je savais que j'avais Bora avec moi, qui avait une connaissance de jeu de dingue, qui avait cette autorité... donc j'ai pas mal appris de lui. Après, j'ai d'avantage appris sur le milieu et la connaissance de jeu qui me manquait que sur le métier de coaching, parce que lui non plus ne connaissait pas. Et je pense que tu apprends quand même principalement avec l'expérience, donc j'ai appris au fur et à mesure, et après, c'est plus une question de personnalité, de façon de parler avec les joueurs... On ne peut pas vraiment se le transmettre d'une personne à l'autre. Disons qu'en termes purement managériaux, j'avais un peu d'expérience parce que c'est ce que je faisais chez Ubisoft. Tout ce qui est organisationnel, tout ce qui est contact humain... Je pense d'ailleurs que c'était ma force quand j'étais au PSG, la façon que j'avais de parler aux joueurs, au-delà de l'aspect technique, mais c'est finalement assez anecdotique. Mais après, j'ai appris au jour le jour, au fur et à mesure, et c'est aussi pour ça que j'essaie d'être dans des équipes avec des gens que j'estime vraiment, de qui je peux apprendre directement. Avant c'était YellOwStaR, maintenant c'est Peter et Mac qui bossent chez Splyce. Donc voilà.

 

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On sait que vous aviez de bons résultats en scrims. Comment expliques-tu les mauvaises performances de tes joueurs sur scène ?

En fait, le pire dans cette histoire, c'est que ce n'était pas sur scène, puisque les matchs se jouaient à l'appartement, donc littéralement dans les mêmes conditions. Mais pour revenir quand même là-dessus, je pense qu'au début du Spring Split, on n’était pas excellents, et on n’était pas bons non plus dans les matchs de CS. Donc au moins, ça, c'était cohérent. Et au fur et à mesure, on s'est mis à devenir bons et à avoir de bons résultats. D'ailleurs, c'est une histoire qui n'a absolument pas été racontée, mais on était partis de 0-5 pour finalement faire 5-5 pour se qualifier aux playoffs, et finalement perdre. Alors qu'en interne, Fnatic Academy et nous étions considérés assez largement comme les deux meilleures équipes Challenger de l'époque. Je pense que la performance de Misfits Academy est restée un mystère pour tout le monde, eux-mêmes inclus, mais nous avons perdu 2-3 contre Fnatic. Bref, à ce moment-là, on commençait à être bons en scrims. On était bons à la fin du split.

 

Par contre, ce qui est dingue, c'est plutôt au Summer. Au Summer, donc, en arrivant un mois avant les CS, on n'était pas bons lors des entraînements, et on s'est mis à être de plus en plus forts. Du coup on était super confiants en termes de staff, on avait vraiment l'impression que l'équipe progressait, et on se mettait à battre tout le monde, jusqu'au moment où on arrive contre Origen, qui était peut-être la pire équipe des Challenger. On devait avoir un ratio de 90 % de victoires contre eux. On en rigole encore, parce que leur coach était Mac avec qui je bosse en ce moment, mais malgré notre winrate contre eux, on perd 2-0, et ensuite, ça a un peu snowball. C'est à dire qu'on sort du match, et personne ne comprend parce que tout se passait bien en-dehors, et le problème, c'est que tu n’as que cinq matchs dans la saison, donc c'est compliqué. Tu te dis : "Alors qu'on était super confiants, on perd contre la pire équipe... Il ne nous reste plus que quatre matchs..." et d'un seul coup, tu te rappelles qu'il y a le PSG autour de ça, qu'on a déjà un peu grillé la cartouche en perdant contre Fnatic Academy lors du split précédent... Et là, il y a les mêmes doutes qui commencent à revenir, du coup les joueurs doutent énormément. Après, je ne saurais pas expliquer individuellement d'où venait la pression mais c'était un mix de la situation en Challenger Series, de l'image du PSG, de la pression accumulée depuis le Spring Split et du fait que c'étaient des joueurs qui, contrairement à maintenant avec Splyce, étaient beaucoup moins expérimentés. Aujourd'hui avec Splyce, généralement, si on n’est pas bon en scrims, on n’est pas bons on stage et vice-versa. Mais les joueurs au PSG étaient moins expérimentés et donc beaucoup plus sujets à ce genre de pression. Même si c'est tout de même toujours le cas chez Splyce, les joueurs sont toujours sujets à la pression, mais en tous cas c'était vraiment exacerbé au PSG, et tout concordait à cette situation de pression. Et en tant que coach pour sa première année, c'était assez difficile à gérer. Mais rétrospectivement, et surtout après avoir vu chez Splyce comment des coachs expérimentés géraient ce genre de situation, je ne pense pas que j'aurais fait les choses différemment.

 

Cependant, en y réfléchissant bien, rétrospectivement, il y a peut-être quelque chose. Je parlais des résultats de scrims, etc., et une chose que j'ai apprise lors de ce split, c'est de parfois faire volontairement perdre ton équipe. Ce qu'il nous arrive parfois de faire quand des scrims se passent "trop" bien, même contre de bonnes équipes, c'est de volontairement mettre les joueurs dans des drafts très inconfortables, quitte à qu'ils ne soient pas très contents. Mais du coup, il faut qu'ils nous fassent confiance parce que c'est un processus très risqué. On fait ça pour pouvoir faire ressortir des erreurs et parfois même perdre dès la draft, ce qui nous permet d'apprendre plus de choses. L'année dernière, si on était à 5-0 en scrims, on faisait en sorte de les finir sur un 6-0. Cette année, ça n'arrive a priori jamais parce que c'est à peu près sûr que pour la sixième game, et même avant en général, on se mettra dans une situation dans laquelle la game est ingagnable.

 

On peut d’ailleurs faire la comparaison avec Schalke 04, qui semble avoir eu le même problème que nous dans des conditions similaires. Une équipe qui cartonne en scrims et qui choke on stage, sous les couleurs d’un club et foot, avec même un ancien commentateur en coach ! Dans ce cas aussi, la pression subie par les les joueurs semble être leur principal problème, comme cela l’a été pour nous.

 

Tu as beaucoup parlé de la pression subie par les joueurs. Quelle était la part de pression que vous subissiez de la part de la structure du PSG ou de son encadrement ?

Bien sûr qu'il y en avait de la part de la structure. Après, je voyais depuis le début que le problème des joueurs était la gestion de la pression, et une partie de mon job consistait à absorber une partie de cette dernière, notamment avec l'audience, puisque j'avais l'avantage d'être français, donc je savais que le public français me mettrait plus de pression directement que sur les joueurs de par le lien direct que j'avais avec la communauté. De la même manière, j'ai essayé d'absorber aussi la pression du management avec lequel j'étais en liaison directe. Bora aussi évidemment, mais j'ai été très impliqué dans la relation avec le management pour le meilleur et pour le pire. Après, on pourra faire le procès de beaucoup de choses, mais j'ai toujours essayé de faire autant que possible le tampon entre les joueurs et le management, mais je sais aussi que ce n'était parfois pas suffisant. Ce n'est pas pour autant que le management était mal intentionné, mais c'est juste que forcément, ils veulent des résultats, ça ne marche pas, personne ne sait pourquoi, on a des bons résultats en scrims, qu'est ce qui se passe, etc.

 

Dans le sport traditionnel, le coach est en général le premier fusible. Quelle est la responsabilité du coach dans ce genre de situation selon toi ?

Bah en fait, ça dépend de ce que fait le coach. En ce qui me concerne, j'aurais pu sauter dix fois. Beaucoup de gens se posaient la question de savoir pourquoi Bora n'était pas coach. Et le fait que je sois rookie faisait peut-être un peu de moi le candidat idéal pour sauter en cas de problème. J'ai subi beaucoup de pression supplémentaire à cause de ça aussi. Je tiens à préciser que ce n'était pas du tout l'intention de Bora ou quoi que ce soit de m'utiliser comme fusible, mais il se trouve que je me suis retrouvé dans cette situation par la force des choses à cause de mon statut. Directement et indirectement, je sais qu'en interne, mon poste a été remis en questions plusieurs fois dans la saison, mais même si ça peut sembler absurde d'un point de vue extérieur, il s'avère qu'aussi bien Bora que les joueurs étaient satisfaits de mon boulot, et ils ne voyaient pas pourquoi j'aurais dû me faire sortir. C'est aussi pour ça que je suis resté jusqu'au bout du projet. Mais effectivement, jusqu'à la fin, je sais que mon poste a été remis en question. Je me suis aussi battu pour le garder.

 

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Finalement, tu as rebondi chez Splyce en tant que coach stratégique. Comment s'est passée la transition entre le PSG et Splyce ?

C'était un peu compliqué. Disons qu'après le PSG, j'étais un peu remué par cette année où j'avais accumulé beaucoup de pression personnelle. Et j'étais aussi déçu, parce que je m'étais donné à 200 % et j'avais l'impression d'avoir tout fait pour porter le projet qui finalement n'avait pas fonctionné. Et en plus, sans vraiment savoir pourquoi, parce que je ne voyais pas ce qui avait fail pour qu'on s'écroule à ce point par rapport aux scrims et ce que j'aurais dû faire de plus. Et j'ai pris tellement de pression, aussi bien de la communauté, d'ailleurs, et de plein de choses, que je n'étais pas sûr de remettre ça cette année. Mais finalement, mes potes dans l'esport, comme Chips, Noi et tout ça, m'ont remotivé et m'ont un peu relancé en me permettant de cast à Bercy. J'ai aussi pris un peu de recul, en allant notamment visiter d’autres gaming houses, pour essayer de comprendre, poser des questions à d'autres coachs, voir comment les autres faisaient. Je me suis dit qu'il fallait que je retente l'expérience. Alors forcément, en sortant du PSG, ce n'est pas comme si j'avais une cote d'enfer, et on ne peut pas dire que TSM ait toqué à ma porte pour me supplier de venir chez eux, donc il a fallu gratter un peu. Du coup, j'avais deux petites offres, par ci par là, et quelques opportunités sur la scène française, mais c'était compliqué d'en vivre. Par contre, j'ai vu que Peter Dun revenait du Brésil, et j'avais entendu beaucoup de bien sur lui, et je me disais qu'il fallait que je prenne du recul et que je trouve un mec dont je savais qu'il était bon. Parce que même en ayant visité d'autres gaming houses, je n'arrivais pas à faire un diagnostic complet de ce qui s'était passé au PSG. Attention, Bora était très bon en tant que joueur, mais ce n'était pas encore un coach, même si c'en est un maintenant. Mais je ne pouvais pas avoir cette expérience directe de quelqu'un qui avait beaucoup d'expérience dans le coaching. Il fallait que je trouve un mec qui était officiellement bon en tant que coach et que je bosse pour lui. C'est d'ailleurs très rare qu'un mec soit reconnu par ses pairs comme bon dans le coaching. Du coup je l'ai contacté sur Twitter, et il m'a dit qu'il était dans un processus de recrutement pour recruter des mecs pour bosser avec lui. Il m'a envoyé une grosse série de questions très techniques sur le match C9-WE des Worlds 2017. Et il m'a dit : "voilà, tu as 24h pour préparer ça, et tu me fais une restitution après". Ensuite, j'ai eu deux heures d'entretien technique, une heure d'entretien sur le coaching pur, et après, voilà, il m'a pris.

 

Quel est ton rôle au sein de Splyce ? Quelles sont les différences avec ce que tu faisais au PSG ?

Comme je l'ai dit avant, il y a autant de façons de coacher que de coachs, et de la même manière, tous ces postes sont un peu factices. Je m'explique : coach stratégique, assistant coach, tout ça, c'est des mots. Mais en vrai, personne ne sait vraiment ce que c'est que d'être coach de League, et ce, même au plus haut niveau. Je ne parle pas des Coréens, mais dans les structures européennes et tout ça, c'est un peu le Far West. Donc en fait, chacun fait ce qu'il peut faire. Alors après, on peut se répartir les rôles, mais si tu prends un analyste par exemple, s'il ne sait rien faire d'autre, il ne fera rien d'autre, mais s'il est très bon, il peut même se mettre à coacher directement. Mais pour revenir à ta question sur les différences avec Splyce, ce que je ne fais pas par rapport à l'année dernière, c'est que déjà, je ne suis pas directement responsable de la draft on stage, je n'ai pas l'aspect organisationnel à gérer, mais en fait, je ne le gérais déjà pas vraiment au PSG non plus, dans le sens où il y avait une telle structure derrière... Sinon, je n'ai pas été impliqué dans le recrutement chez Splyce, de la même manière que je n'avais pas été impliqué au PSG. Je n'ai pas de reporting à faire au management contrairement au PSG. Après, au jour le jour, je suis très impliqué dans les drafts et leur préparation, dans l'analyse macro de ce que fait l'équipe, énormément dans la communication, et ensuite, j'ai des liens privilégiés avec certains joueurs, notamment Odo. J'ai une très bonne relation avec lui donc on travaille beaucoup ensemble. Après, en termes de positionnement par rapport aux autres coachs, mon rôle est plutôt technique. Par exemple, pour les reviews, en général, c'est Peter qui les lead, sauf rares exceptions s'il a autre chose à faire, dans ce cas c'est Mac ou moi qui le faisons. Et dès qu'il y a des points sur lesquels je vais vouloir insister, ou sur lesquels je ne vais pas être d'accord, ce qui arrive d'ailleurs assez fréquemment, ou alors où j'apporte une autre perspective, là, j'interviens. Du coup, ça fait que j'interviens souvent pendant la review même. Mais l'idée est souvent d'apporter un autre angle d'approche, ce qui rejoint d'ailleurs ce que Nisqy avait dit dans l'interview que vous avez faite ensemble.

 

Oui, Nisqy nous avait dit que tu avais souvent un point de vue différent de celui de Peter et des joueurs.

En ce qui concerne les joueurs... Disons que souvent, j'arrive à faire le pont entre les idées de Peter qui ont parfois un côté un peu théorique, non pas que ce soit négatif d'ailleurs, et les joueurs qui ont une approche plus empirique. En tout cas, l'idée est d'intervenir de façon différente dans ces moments-là, ou alors quand je trouve que des points n'ont pas été mentionnés. C'est comme ça qu'on fonctionne, on essaie de toujours être complémentaires dans notre approche. Ça ne sert à rien que je vienne et que je dise la même chose que Peter. Autant la fermer parce qu'il le fait très bien, il parle très bien et il connaît très bien le jeu. Donc voilà, au jour le jour c'est comme ça que je fais. Et sinon, du point de vue humain, mon rôle est plus d'être le bad cop de la bande, dans le sens où Peter n'est pas du tout dans le conflit, ce qui est bien en tant que coach. Il est très concilient. Je peux l'être aussi, mais quand il y a des choses qui ont besoin d'être dites, parce que la vie en gaming house n'est pas toujours un long fleuve tranquille, je vais être celui qui va taper du poing sur la table. C'est aussi ça, mon rôle dans l'équipe.

 

Comme tu l'as dit, Peter Dun a la réputation d'être un excellent coach. Peux-tu nous révéler sa recette ?

Encore une fois, il n'y a pas vraiment de recette. Ce n'est pas si simple. C'est avant tout une personnalité, une façon d'interagir avec les joueurs. Mais déjà, une chose qu'a Peter, et qu'on a d'ailleurs tous dans le staff alors qu'on ne le retrouve pas forcément partout et même à haut niveau, c'est la capacité de travail. Dans le milieu de l'esport, tu peux demander à n'importe qui, du photographe au community manager en passant par le commentateur ou n'importe qui, tout le monde va te dire qu'ils passent leurs semaines à travailler. Sauf que quand tu vois ce qu'ils font au jour le jour, tu te rends compte qu'ils passent 90 % de leurs temps sur les réseaux sociaux ou à regarder des vidéos. On va encore me traiter d'élitiste, mais je pense qu'il y a relativement peu de personnes qui savent vraiment travailler 100 % de leur temps et qui savent aller jusqu'à souffrir lors du travail. C'est-à-dire faire des choses contraignantes, pénibles et répétitives. Je pense que Peter, Mac et moi savons le faire et c'est la première chose. Aussi bien du point de vue du reste du staff que des joueurs, ils ne se disent pas que le coach passe son temps à glander. Il est tout le temps en train de bosser pour emmener la team dans le bon sens. Sa recette, c'est le fait qu'il bosse tout le temps sur des sujets concrets, sans se noyer dans un verre d'eau non plus parce qu'on a une méthode et c'est bien organisé. Ce n'est pas une non plus une recette magique dans le sens où ça me paraît évident comme processus, surtout quand on est plusieurs à le faire. On a une réunion en début de semaine, pour savoir quels sont les sujets importants, comment on va les traiter, aussi bien d'ailleurs les problématiques humaines que les problématiques techniques, avec le manager, en prenant en compte le feedback des joueurs et tout ça. Ensuite on a un emploi du temps qui est mis en place avec des focus sur les sujets qu'on souhaite aborder. De plus, l'avantage d'être plusieurs coachs, c'est que par exemple, il y a eu une semaine ou le problème venait de la gestion des sidelanes et de l'utilisation du buff du Baron. On a vu ça en début de semaine, et moi, ce que je fais, c'est que pendant dix jours, je vais préparer une présentation très détaillée là-dessus, avec des vidéos et des trucs comme ça, et ensuite je vais la présenter aux joueurs un midi. De la même manière, la semaine d'après, c’est Mac qui va faire une présentation sur la jungle, la semaine d'après je vais faire une présentation sur le warding, la semaine d'après, Peter va faire la review d'une game intéressante, et ainsi de suite. On a un emploi du temps clair, des objectifs clairs, et on travaille pour le faire. C'est principalement ça. Ensuite, le reste, je dirais que c'est beaucoup d'expérience et une connaissance du jeu vraiment unique sur la scène occidentale. D'ailleurs, je pense qu'une autre grande force de notre staff, c'est une grosse connaissance de jeu. Elle permet de faire comprendre aux joueurs ce qu'on veut leur dire, et de comprendre les différentes subtilités dans un move qui pourraient paraître évidentes quand on regarde de très haut mais dont la perspective des joueurs est différente si on rentre dans leurs problématiques, pour ensuite leur faire comprendre une situation. Donc une grosse connaissance de jeu, mais aussi une grosse expérience de différentes situations que par exemple, moi, je n'ai pas, et que j'avais encore moins l'année dernière. Ça commence à venir pour moi, mais lui, ça fait sept ans qu'il est coach. Chaque situation de coaching est unique, mais il a un niveau de lecture plus global. Il a beaucoup de recul sur ce qu'il fait grâce à son expérience, parce qu'il a 30 ans et sept ans d'expérience, ce qui commence à être pas mal pour un coach de League of Legends.

 

 Moi je passais pour un clown au bout de six mois mais quand tu regardes les coachs européens, il n'y en a pas tant que ça qui ont plus de deux ou trois ans de réelle expérience de coach. Donc sept ans ça commence à être du sérieux. Et enfin, en tant qu'humain, comme Mac aussi d'ailleurs, c'est quelqu'un qui est toujours capable de se remettre en question. Typiquement, je pense qu'être un bon coach, c'est aussi être capable de se remettre en question. Alors forcément, je vais faire rigoler pas mal de lecteurs parce qu'il y en a pas mal qui pensent que je n'ai pas réussi à le faire, mais ce n'est pas dans ce sens-là que je veux le dire. Il y a une différence entre se remettre en question vis-à-vis des critiques de la communauté et vis-à-vis de ta propre démarche et de ton rapport avec ton équipe. Tu dois tout le temps te remettre en question, vis-à-vis de ce que disent tes joueurs, vis-à-vis de ce que te disent les gens avec qui tu travailles, et vis-à-vis des informations que tu prends sur le jeu en permanence. Il ne faut jamais être figé. Et ça, pour le coup, c'est quelque chose qu'il faut faire tout le temps, que j'essaie de faire, mais qu'un mec comme Peter qui a beaucoup d'expérience et qui a participé à beaucoup de tournois continue de faire. Pour illustrer cela par exemple, nous ne sommes pas du tout dans une hiérarchie dictatoriale dans la gaming house. Ça nous arrive très fréquemment d'avoir des discussions animées sur certains sujets, et dans lesquelles Peter va accepter de prendre le point de vue de quelqu'un d'autre, voire même reculer sur ses propres points de vue, et inversement. Bref, tout ça pour dire qu'il y a une vraie démarche de complémentarité dans l'approche, et personne n'est fermé à la discussion.

 

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Tu sortais du PSG qui devait être une structure extrêmement bien rodée en termes d'encadrement d'équipe multisports, alors que Splyce est une structure qui ne s'occupe que d'esport. Quelles sont les différences d'approche concernant la mise en place de moyens pour l'équipe ?

Honnêtement, c'est à peu près pareil. C'est peut-être quelque chose que j'aurais pu reprocher au PSG. C'est-à-dire que d'un côté, on se prenait la pression d'une vraie équipe sportive, mais de l'autre, on n’a jamais vraiment eu le bénéfice de se dire qu'on bossait avec une structure qui avait de l'expérience en termes de gestion d'équipe sportive. Nous avons bénéficié de l'image publique et de tout ce qui était fait pour mettre en avant les joueurs et tout ça, ce qui je pense nous desservait finalement plus qu'autre chose d'un point de vue compétitif étant donné que les joueurs le ressentaient plus comme de la pression supplémentaire. Mais au-delà de ça, on n’a jamais eu de préparateur physique ou de coach mental pour faire la différence. J'ai dû faire mes propres recherches de mon côté pour prendre des cours de sophrologie et de trucs comme ça, pour essayer de débloquer certaines situations, même si ça n'a visiblement pas suffi. Chez Splyce, j'ai à peu près la même chose qu'au PSG, mais la différence, c'est qu'on bénéficie plus de l'expérience de la structure, et les joueurs eux-mêmes sont plus expérimentés, donc c'est plus facile de bosser avec eux. Je ne veux pas dire que c'était difficile au PSG, mais les joueurs sont plus réceptifs.

 

Et sinon, le fait d'avoir un staff à trois coachs, plus un manager, et j'ai beaucoup d'estime pour les gens avec qui je bosse, nous aide beaucoup. Typiquement, au PSG, même s'il y avait Bora que j’estime énormément avec moi, il y a eu des moments où j'étais dans le doute, et je ne savais pas trop avec qui aborder le sujet. Et quand tu te retrouves à te poser des questions auxquelles tu ne connais pas la réponse, aussi bien d'un point de vue humain que stratégique, chez Splyce, on en parle directement entre coachs et ça avance grâce à notre différence de profils et d’expérience. Et à côté de ça, en termes de structure globale, Splyce est peut-être quelque chose de plus familial et plus humain, au travers du patron, qui s'appelle Marty. C'est quelqu'un de très cool, il est venu avec nous pour les playoffs, et pour le coup, il ne nous fait pas ressentir de pression. Il était déjà ravi qu'on soit en demi-finale, il est super positif. Ce n’est pas pour autant qu'il n’en veut pas plus et on est tous là pour ça, mais il comprend d'avantage les problématiques de joueurs professionnels que ne pouvaient le faire les gens qui s'occupaient de l’esport au PSG.

 

Vous avez terminé 3èmes de la saison régulière, puis 3èmes des playoffs. Quels étaient les objectifs en démarrant la saison ?

Honnêtement, ce qu'on se disait en interne, c'était que la saison est ratée si on va pas en playoffs : bonne saison top 6, très bonne saison top 4, excellente top 2 et dream top 1. Du coup on était plutôt contents. Je sais que les observateurs, la presse inter, etc. ne nous attendait pas du tout à ce niveau-là, et notamment les casters Riot. Après, il faut mettre un peu en relief notre performance, parce que je pense qu'on a été bons mais sans plus, dans le sens ou on a pu bénéficier de la contre-performance de grosses écuries comme Misifts ou Schalke. Disons qu'on a eu une grosse progression, et ce qui était bien, c'est que pour le coup, si on était bons en scrims, on était bons sur scène et vice-versa. Au début, on est arrivés, et on a perdu contre littéralement toutes les équipes du championnat pendant trois semaines à part 2 ou 3 victoires un peu volées au début comme contre UoL. Mais au début, on était vraiment nuls. Mais on a bien progressé pendant le split, jusqu'à avoir un petit coup de mou sur les deux dernières semaines, où on commençait à être un peu cramés, et finalement, on s'en est bien sortis à la fin. Mais on a des gros défauts qu'on va essayer de corriger pour le Summer. Donc voilà, on était très contents de cette troisième place. Paradoxalement, même si on n’a pas été très bons contre eux sur scène, je pense que G2 était à notre portée. Mais bon, on n’a vraiment pas fait un bon match contre eux. Mais par contre, Fnatic, on savait qu’on n’avait aucune chance de gagner.

 

Et comment avez-vous abordé le match contre Vitality pour la troisième place ?

Alors Vitality c'est simple, on avait perdu les deux matchs contre eux en saison régulière. La première fois, on s'était fait ultra cheese, et la deuxième fois, on avait hard throw sur un move, et ils avaient bien joué en nous punissant sur la botlane en cross map... Enfin bref, je ne vais pas rentrer dans les détails. Mais autant on a très rarement eu des regrets sur des games de saison régulière, autant sur les deux games contre Vitality, on les a vraiment eues en travers. Tout ça pour dire qu'ils ne nous impressionnaient pas tant que ça. C'est juste qu'ils ont un style de jeu qui est très bon contre le nôtre, parce qu'ils sont très agressifs en early game, ce qui est l'opposé de ce qu'on fait. Du coup, ils nous avaient un peu surpris les deux fois, mais cette fois on était confiants. On pensait vraiment qu'on était meilleurs qu'eux. Finalement on a gagné mais ce n'était pas clair non plus. On a gagné de justesse 3-2. Mais on était confiants contre Vitality en entamant le match, et surtout très revanchards. C'était vraiment l'équipe qu'on voulait prendre en playoffs pour les battre, parce qu'on avait vraiment une revanche à prendre.

 

Qu'a-t-il manqué à l'équipe pour atteindre la finale et remporter le split ? Est-ce que c'était un tant soit peu possible face aux Fnatic ?

Franchement, je ne pense pas. En scrims, c'était du 50/50, ou peut-être 55/45 pour Fnatic, mais ils étaient trop bons on stage. Ils ont trop d'expérience et ils ont un style de jeu trop punitif. Mais concernant ce qui nous a manqué contre G2 pour aller en finale... Pour le coup c'était vraiment des parties dans lesquelles on a un peu joué en-dessous de ce à quoi on s'attendait. Mais ce n'est pas qu'une question de choke. C'est aussi dû au fait qu'ils nous ont fait dé-jouer, parce qu'ils jouent bien leurs trucs et qu'on ne sait pas trop quoi faire contre. G2 est une équipe très clean, et comme on n’était pas assez proactifs en early game, on a été un peu trop attentistes et on s'est fait endormir. On a un peu dé-joué contre G2, mais c'est aussi eux qui l'ont provoqué. À ce niveau-là, ce qui nous a manqué, c'était surtout de l'expérience. Et ce qui nous a aussi manqué dans ce split, et plus généralement pour être une bonne équipe, c'est que je pense que notre phase de lane était vraiment trop fragile, ce qui nous empêchait justement d'avoir un peu plus d'agressions en early game. En early game, tout est lié. Si tu ne domines pas ta lane, tu ne peux pas bouger et être proactif sur la map. Ça, c'est vraiment notre focus pour le Summer Split.

 

Quels sont vos objectifs pour le Summer Split ? Minimum top 3 maintenant ?

C'est ça. Honnêtement, on sait que cette 3ème place n'est clairement pas acquise. On sait qu'on a fait une bonne saison par rapport à ce qu'on s'attendait nous-mêmes à faire, et on sait qu'on a encore de gros défauts. Il va vraiment falloir se battre pour refaire la même performance, mais c'est l'objectif. L'idée, c'est de se qualifier aux Worlds. Ce qu'on s'est dit, c'est que l'objectif ultime pour cette saison était de ne faire que progresser, se qualifier aux Worlds, et dans un monde de rêve absolu, ce serait de sortir des poules.

 

Et de battre SKT en finale ?

Disons que c'est un rêve, mais qu'on reste réalistes. Disons que l'objectif plausible en tant qu'objectif de rêve serait déjà d'aller aux Worlds et de passer les poules. Déjà on va rester sur le fait d'aller aux Worlds, et ce n'est absolument pas fait. Mais on sait sur quoi on doit bosser et on va tout faire pour, mais ce n'est pas évident.

 

Si vous allez aux Worlds, vous aurez déjà une petite expérience internationale avec les Rift Rivals. Comment allez-vous préparer ça ?

On va préparer ça comme d'habitude. On va néanmoins essayer de mettre beaucoup d'emphase sur la préparation des Rift Rivals. On a vu ce qui nous manquait en playoffs où on était un peu moins sûrs de nous, mais comme les autres équipes aussi, en fait. Regarde le match contre Vitality, ils étaient sous pression contre nous et on était sous pression contre eux. Les Fnatic, quant à eux, arrivent à jouer leur jeu, au moins en LCS EU, dans les matchs importants. Nous, on a encore du mal à faire ça, donc on va préparer les Rift Rivals le plus sérieusement possible pour essayer de s'entraîner à jouer à notre meilleur niveau dans les matchs à enjeux. Si on se ramasse, on pourra au moins peut-être apprendre de nos erreurs, et si on cartonne, eh bien tant mieux, ça nous donnera de la confiance pour la suite. Donc on va essayer de le jouer sérieusement, tout en gérant l'aspect fatigue parce que ce format n'est pas évident. On se retrouve à partir pour une semaine à Los Angeles en fin de semaine 2, pour revenir juste pour la semaine 3. Donc il va aussi falloir gérer ça. Ça nous inquiète un peu mais on va essayer de gérer ça proprement. Parce qu'encore, l'année dernière c'était en Europe, alors que cette année, c'est à LA. Donc il faut prendre en compte le décalage horaire, les dix heures de trajet à l'aller et au retour... C'est quelque chose.

 

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Le MSI s'est terminé sur la victoire des RNG en finale. Est-ce le début de la fin de la domination coréenne à l'international ?

Je pense. Après ça fait plusieurs années, et je le dis aussi parce que je me suis toujours un peu intéressé à la Chine, qu'on parle de l'arrivée des Chinois. Mais pour moi, je pense que c'est un peu inévitable. Je pense que la Corée restera toujours forte mais que la Chine est trop importante pour qu'ils ne performent pas au bout d'un moment. Il y a tellement de joueurs, d'argent, de talents... Alors certes, on s'est moqué d'eux pendant quelques années, mais à partir du moment où les structures chinoises rattrapent les structures coréennes, aussi bien en termes de staff que de structure même, il n'y a pas de raison. Les Coréens ne sont pas une "race supérieure" par rapport aux Chinois. Je ne connais pas exactement la proportion de joueurs en Chine par rapport à la proportion de joueurs en Corée, mais quand tu as autant de gens qui jouent, les talents finissent par arriver, et il y a un moment donné où tu vois ce que ça donne. Je ne sais pas si c'est le début de la fin pour la Corée, mais c'est peut-être le début de la fin de l'hégémonie totale de la Corée sur League of Legends. Mais ce n’est pas pour autant que c'est le début du début pour l'Europe...

 

Du coup, qu'as-tu pensé de la performance de Fnatic lors du MSI ?

J'avais donné mon avis plusieurs fois avant la compétition, mais ce qui me faisait peur chez Fnatic, et c'est aussi ce qui s'était passé aux Rift Rivals l'année dernière, c'est qu'ils s'enferment un peu dans la facilité en Europe, parce que forcément, on n’a pas le même niveau qu'en Asie. J'ai l'impression qu'ils ne cherchent pas suffisamment à sortir de leur zone de confort quand ils jouent à l'étranger et c'est plus ça qui me dérange. Et c'est pour ça que j'étais beaucoup moins critique sur leur performance en demie face à RNG. Certes, ils se sont fait 3-0, mais au moins, ils ont essayé de jouer un peu l'early game, ce qui était pour moi leur seule chance de gagner. Je suis un peu sceptique sur ceux qui ont critiqué leur draft. Je pense qu'ils ont fait le bon choix. Je ne suis pas mécontent de ce qu'ils ont fait en demi-finale, c'est sûr qu'ils auraient peut-être pu mieux jouer, mais ils se sont donné les chances d'y arriver, et ce n'est pas passé. C'est comme ça, ils ont juste été moins bons que RNG, c'est certain. Après, tout n'est pas à jeter pour Fnatic, ils ont des joueurs qui ont besoin d'arriver un peu plus à maturité, même si Rekkles, qui est un joueur d'expérience, aurait peut-être pu être plus entreprenant. Mais de voir arriver des joueurs comme Caps, c'est plutôt bon signe pour l'Europe. Caps a quand même réussi à faire flipper les midlaners coréen et chinois. Ce n'est pas rien. Pour le reste de l'équipe, Broxah a très bien joué, Bwipo est un archi rookie, qui a certes fait pas mal d'erreurs, mais il fait quand même de bonnes choses. Bon, Hylissang était peut-être un peu en-dessous. Je pense qu'il ne fallait pas forcément en attendre beaucoup plus de Fnatic. Le truc, c'est aussi que Fnatic est le reflet de la région européenne en général. On a beau continuer d'essayer d'être compétitifs, on a perdu énormément de joueurs, tout est en reconstruction, avec un talent pool qui n'est pas le même qu'en Chine, des structures qui ne sont pas les mêmes qu'en Corée, et avec de l'argent qui n'est pas le même qu'en NA. On fait un peu avec ce qu'on a. Il y a ce côté où tout doit un peu être reconstruit chaque année. Ce n'est pas encore très stable. Donc peut-être que si on met des franchises, que les joueurs commencent à rester en Europe parce qu'ils sont bien payés et qu'on commence à avoir plus de stabilité, je ne suis pas non plus complètement pessimiste sur l'Europe. Je pense qu'à un moment, on devrait pouvoir être un peu plus compétitifs que ça. Après, est-ce qu'on ira concurrencer la Chine ? J'ai des doutes.

 

Quel est ton point de vue sur le système de franchises ?

Je t'avoue que je me pose moins ces questions systémiques qu'à l'époque où j'étais caster parce que j'ai moins de temps pour le faire. Et puis depuis l'année dernière, je n'ai plus très envie d'être clivant sur Twitter ou ce genre de chose. Je ne cherche pas forcément à trop réfléchir à ce genre de chose mais je pense que l'avantage des franchises, c'est qu'à un moment, il faut quand même trouver un moyen de donner économiquement une sécurité aux équipes. C'es-à-dire que j'ai vu beaucoup de discussions, notamment sur *aAa*, concernant des équipes comme H2K, comme si elles se foutaient du monde... mais il faut bien réaliser qu'ils galèrent à mort, que pratiquement aucune équipe n'est financièrement viable et qu'au moins, les franchises permettront d'attirer des sponsors et tout ça. Si on n’arrive pas à trouver un moyen à court terme, au bout d'un moment, les structures vont peut-être se barrer. Je pense donc que c'est une bonne chose à court terme pour les équipes LCS. Le problème, c'est plus pour les équipes du subtop, comme GamersOrigin et tout ça, à qui on a un peu fait miroiter un rêve qui n'existe plus, sans leur donner d'alternative. Les European Masters ça va 5 minutes mais ce n'est pas grand-chose, et moi je trouve qu'au moins, et ça ne serait que justice, il faudrait leur donner des places pour les tournois Wildcards. Parce que toutes ces équipes-là, non seulement elles ne peuvent plus aller en LCS, mais elles ne peuvent plus non plus aller à l'international. Il n'y a pas de raison pour qu’elles ne puissent pas aller en Wildcards. Parce que qu'après, la réponse que pourrait donner Riot ou les autres équipes Wildcards, serait de dire que "oui, mais vous avez déjà une place en Europe pour les LCS". Mais tu peux leur répondre que ce n'est pas le même tournoi. Pourquoi est-ce qu’on n’aurait pas une place en Europe, une place pour la France, une place pour l'Angleterre, et ainsi de suite. Vous avez bien des places pour la Turquie, des places pour le Brésil, des places pour l'Amérique Latine du Nord, l'Amérique Latine du Sud... Alors certes on joue sur le même serveur, mais finalement, ce sont des compétitions différentes, avec équipes différentes pour une population différente. Donc pour moi, ces clubs-là, ce serait normal de les faire accéder aux Wildcards, ne serait-ce que pour leur donner un objectif et un rêve à long terme. Quelque chose qui leur permet de se dire que s'ils font une saison de ouf, ça va être un peu mieux que de gagner la Dreamhack Tours et de faire une performance aux European Masters. Ce qui est bien, mais qui reste entre équipes du subtop européen, ce qui du coup ne va pas soulever les foules. Les fans qui voudront regarder de l'esport pur, dans ce cas ils regarderont les LCS, et la masse regardera peut-être plutôt de l'entertainment. Par exemple, je pense que typiquement, la France est un pays qui n'est pas forcément intéressé par l'esport même, mais plus par l'aspect entertainment du truc, et va typiquement basculer sur un jeu comme Fortnite. C'est pour ça qu'on voit un tel engouement pour Fortnite en France par rapport à d'autres pays, par exemple.

 

On fait une parenthèse, mais Fortnite a pourtant beaucoup de succès ailleurs qu'en France, non ?

Oui, c'est vrai que c'est un truc de fou internationalement, mais il faut voir que le troisième plus gros streamer mondial sur Fortnite est français. Ça n'est pas anodin.

 

Il faut voir la façon très court-termiste qu'on a eu de gérer l'esport en France à l’époque, en voulant mettre en avant l’aspect divertissement. On a aussi une langue qui restreint notre public. On a donc été obligés de trouver un moyen rentable de faire de l'esport, et cette démarche a fini par s’imposer un peu partout comme la seule viable sur le marché français... J’avais été très critique envers Eclypsia et Arnaud Dassier à l’époque, avant le PSG, qui ont été le fer de lance de cette mutation de l’esport vers un divertissement proche de la télé-réalité, mais tout le monde a suivi le mouvement à part peut-être O’Gaming qui avait déjà acquis sa place sur le marché, sans pour autant réussir à passer à la vitesse supérieure par manque de moyens.

 

On a donc créé cet esport "à la française", qui était avant tout du spectacle plus que de l'esport à proprement parler. La communauté française a appris à aimer l’esport pour l’aspect "jeux du cirque" plus que pour l’intérêt compétitif qui ne devient qu’un prétexte. Il est intéressant de voir que ce modèle est maintenant international puisque c’est exactement comme ça que fonctionne Fortnite avec des streamers comme Ninja.

 

Avec l’arrivée de Fortnite, les « personnalités-joueurs » ont trouvé un jeu plus adapté à leur business, et convergent naturellement vers le nouveau phénomène. Ils embarquent en même temps toute une partie de leur communauté qui les suit eux en tant que personnalité plutôt qu’un jeu en particulier. On peut aussi se réjouir de la professionnalisation des équipes françaises, ce qui a rendu obsolète l’aspect cirque qu’était la scène française avant. Mais c’est aussi ce qui a poussé vers la sortie les anciennes personnalités dépassées par le niveau.

 

Pour revenir à la question, oui, Fortnite a un énorme succès à l’international avec la démocratisation de l’esport-spectacle, mais le succès est d’autant plus retentissant en France qu’il est dans la parfaite continuité de ce que nous avions déjà créé sur LoL. Fortnite a donc logiquement entraîné avec lui une partie de la communauté. Ce changement est beaucoup moins ressenti dans d’autres pays où l’on joue beaucoup à LoL, d’où cette sensation de « dead game » en France. Et entre nous, on en est pourtant bien loin ! Bref, une grande partie de la communauté ne suivait déjà plus LoL pour le jeu mais pour les gens qui y jouaient, et Fortnite s’est contenté d’officialiser la migration.

 

On peut dire que la scène esport en France s’est construite autour de ses propres contraintes, à savoir la langue en premier lieu, et a servi en quelque sorte de laboratoire au développement de nouvelles formes de divertissement dérivées de l’esport, bien que le mot esport ne soit alors plus utilisé que comme un label de crédibilité.

 

Penses-tu que les structures esport historiques pourront rivaliser sur le long terme avec des énormes structures comme des clubs de football ?

Je ne sais pas... Je ne suis pas sûr qu'il y ait tant de clubs de foot que ça en Europe qui soient intéressés. Après, le truc, c'est que ça risque de beaucoup faire comme les clubs d'Overwatch League. Ça sera des partenariats entre les structures historiques et des investisseurs ou des clubs de foot. Donc sur le long terme, je ne sais pas. Tout dépend de l'investissement qui sera récupéré. Après c'est plus en termes d'organisation. Il va falloir un sacré boulot pour qu'UoL rattrape le Bayern de Munich, il n'y a pas de doute là-dessus. Mais vu que je ne pense pas que ce soit très compliqué de gérer une équipe de LoL par rapport à un club de foot, je pense que ça ne sera pas vraiment un problème. Si les gens trouvent les investissements, ça se passera bien.

 

Peux-tu nous parler du projet de Splyce avec l'arrivée des franchises ?

Non, ce n'est pas mon boulot. Je ne sais même pas ce que j'ai le droit de dire, mais je sais juste qu'ils postulent.

 

Crédits Photo @RiotGames

 

Par le passé, tu as plusieurs fois été critiqué pour ton franc-parler sur Twitter. Avec le recul, penses-tu que cela ait parfois été justifié ? Aurais-tu fait les choses différemment si tu avais pu ?

Ce n’est pas évident de revenir là-dessus puisque je ne pense pas que mon point de vue sur tout ça soit compatible avec ce que le public attend, aussi bien sur mes sorties sur Eclypsia que sur le PSG de manière plus large. Peut-être est-ce le bon moment de revenir sur le sujet une bonne fois pour toutes, alors allons-y.

 

En ce qui concerne le PSG, j'ai bien évidemment une part de responsabilité dans l’échec du projet en tant que membre de l’équipe et je ne l’ai jamais nié. Ce qui m’a vraiment surpris, puis dégoûté par la suite, c’est à quel point la communauté française a été prompte à me faire porter tout le poids de l’échec. Et c’est arrivé dès le premier match. Bien sûr, je comprends certaines des raisons évoquées, c’est-à-dire aussi bien mon inexpérience que mon passé de commentateur en France. Mais j’étais quand même étonné de voir ce déferlement dès la première semaine alors que jusque-là, il me semblait pourtant avoir toujours essayé de renvoyer une image positive et sérieuse. De la même manière, le retour de 0-5 à 5-5, suivi d’une élimination très serrée en playoffs dans les conditions qu’on connaît, a apparemment été oublié. Le coaching a été tenu responsable du niveau de l’équipe la première semaine, et pas de l’amélioration du niveau de l’équipe tout au long du split… En suivant cette logique, je suis certainement parfaitement étranger à la performance de Splyce ce split.

 

Le traitement qu’on a subi au second split a été identique, sauf que cette fois, les résultats ont été catastrophiques sauf à la toute fin… mais c’était trop tard. De mon point de vue, ce split était surréaliste, et comme je l’ai dit, et comme d’ailleurs on me l’a souvent reproché, je ne comprenais pas le décalage entre le niveau de mon équipe pendant la semaine et le jour du match. Malheureusement pour le public qui me reprochait ça, je n’ai rien d’autre à dire ! En tant que coach, c’est sur les scrims qu’on bosse, et c’est là-dessus que je travaillais.

 

Quand je lisais des commentaires suggérant de ne pas s’appuyer sur les scrims pour préparer les matchs, c’était parfaitement absurde du point de vue d’un coach. L’intégralité de l’entraînement des équipes pro passe par les scrims, ce qui est d’ailleurs un problème, mais c’est un autre sujet. Avec le recul et après avoir vu comment fonctionnent des coachs expérimentés, eh bien, je n’aurais pas vraiment fait les choses très différemment, si ce n’est appuyer plus fermement une demande de psychologue sportif. C’est apparemment la solution aux problèmes de pression que nous n’avons pas su gérer.

 

Du coup, en termes de communication, la seule chose que j’aurais pu faire aurait été de ne rien dire et laisse la communauté se défouler. J’ai fait l’erreur de vouloir expliquer ce qui se passait à l’intérieur de la gaming house mais ça n’entrait pas dans le cadre ce que les gens voulaient entendre. Pourtant, je suis resté coach pendant les deux splits malgré mon travail apparemment catastrophique et le turn-over pourtant permanent au sein de l’équipe. J’imagine que mon boss, YellOwStaR, n’a pas réussi à voir et comprendre les mêmes choses que tous ces observateurs extérieurs plus avisés et expérimentés !

 

En ce qui concerne Eclypsia, il est clair que j’étais allé trop loin lorsque j’avais insulté la communauté dans son ensemble et je m’en suis déjà excusé. Je ne reviens cependant pas sur ma réaction initiale qui me semble encore justifiée. Comme s’il n’était pas suffisamment difficile de mener ce projet à bien, contre l’opinion publique par ailleurs attisée par quelques "influenceurs", il fallait en plus qu’Eclypsia aille encore plus loin dans sa démarche de venir gratter des clics sur le terrain de l’esport. Et tout ça avec l’indécence qui les a toujours caractérisés. Non seulement il fallait gérer la pression engendrée par des matchs perdus mais il fallait maintenant gérer celle des matchs non joués. Les réponses de différentes figures de la communauté oscillaient entre le troll et la mauvaise foi et me semblaient parfaitement absurdes, bien que parfaitement calculées pour jouer sur la position de force dont ils jouissaient au sein de leur communauté. C’est l’instrumentalisation de la communauté que je n’ai pas su gérer, et qui a conduit à mon dérapage par habitude de vouloir répondre à tout le monde comme lorsque j’étais un simple forumeur. Bref, je réitère mon mea culpa sur les propos que j’ai pu avoir directement envers la communauté, mais je reste sur mes positions quant à ma réaction initiale vis-à-vis d’Eclypsia et des différents membres qui étaient intervenus sur le sujet.

 

Depuis ces passages, j’évite de donner mon avis sur des sujets clivants sur Twitter. Force est de constater que pour se faire apprécier, il est bien plus stratégique d’aller dans le sens du vent ou de se taire, mais le franc-parler n’a aucun avenir en public. On peut d’ailleurs faire le parallèle avec les joueurs pro aux déclarations virulentes qui finissent toujours par se faire crucifier par la communauté au moindre faux pas : la seule chose qui compte est le résultat, le reste n’est qu’une vaste comédie dont il faut connaître les règles.

 

Tu as dit que public manquait d'insides pour comprendre les enjeux du rôle de coach et des contraintes que tu peux rencontrer avec les joueurs. Que faudrait-il pour que cela arrive moins souvent ? Peut-on critiquer quelqu'un qui manque d'éléments pour avoir une réflexion plus juste ?

Il est évident que c’est un problème, surtout pour un jeu comme League of Legends dont le jeu amateur est aussi éloigné du jeu professionnel. Malheureusement, il ne suffit pas de regarder des games en quantité industrielle pour comprendre le jeu, et sans contact avec l’intérieur de la scène professionnelle, le processus d’apprentissage est très compliqué, voir impossible.

 

Cependant, il n’est pas impossible d’essayer d’éduquer la communauté sur le sujet. Le problème est que ce type de contenu, technique ou didactique, et par didactique j’entends des guides de haut niveau et pas des guides pour Tryndamere top, est difficile à produire tout en ne rencontrant qu’un succès très relatif. Bref, ce n’est pas rentable, et encore moins en France où la communauté n’a jamais appris à s’y intéresser tout en ayant une audience potentielle bien plus restreinte.

 

J’ai pour ma part toujours essayé d’aller dans cette direction, par mes articles, mes casts et plus récemment mes vidéos. À ce titre, je pense que ma dernière vidéo en date est idéale pour comprendre certains aspects du jeu plus en profondeur, même si j’ai fini par passer à l’anglais parce que je ne voyais pas vraiment l’avenir de ce type de contenu en France… À part ça, grâce aux relations que j’entretiens avec le cast français et la communauté dans un sens plus large, il me semble avoir fait énormément pour améliorer la connaissance de jeu du public de la scène française au travers de l’explication et de la vulgarisation de certains concepts qui n’étaient même pas mentionnés en cast ou ailleurs il y a encore 2 ans. La question est de savoir si le public cherche réellement à s’intéresser au jeu, ou encore une fois préfère l’aspect "jeux du cirque" bien plus facile d’accès. Si le public s’intéressait réellement à l’aspect technique du jeu, peut-être y aurait-il plus de contenu dédié ? Toujours est-il qu’il en existe sur Internet, souvent en anglais. Mais encore faut-il se donner la peine de s’y intéresser.

 

Au sujet de la possibilité de critiquer quelqu’un qui manque de connaissances, pour moi, c’est se poser la question à l’envers. Si j’ai bien compris la question, on m’a fait ce genre de critique en réaction à des critiques initiales sur certaines de mes décisions. La question serait-donc : "peut-on critiquer quelqu’un quand on manque d’éléments pour avoir une réflexion plus juste ?" La réponse est certainement oui, puisque tout le monde peut donner son avis, mais il y a la manière de le faire. Lorsque l’on lit un thread post-match, on a l’impression d’assister à un pugilat de l’équipe perdante et de sa draft sous couvert d’analyse. Le gagnant n'a rien fait de bien, et c'est le perdant qui a perdu tout seul. Donc, tout est mauvais chez le perdant, aussi bien la draft que le reste, et c'est là-dessus que repose l'analyse. Mais en réalité, ça va beaucoup plus loin que ça. Il faut se poser les bonnes questions, et peut être prendre les professionnels un peu moins pour des imbéciles. Quand j’étais au PSG, j’étais sidéré des commentaires aussi tranchés sur la draft qui ne tenaient compte que d’une fraction de la problématique de mise en place. C’est à peu près la même sensation que si un élève de cinquième venait corriger une copie de Maths Spé en prétendant ne pas avoir besoin de connaître les théorèmes nécessaires, voire de ne pas s’embarrasser à lire des lettres dans une équation.

 

Je ne dis pas qu’il n’y a jamais d’erreur : bien entendu, il m’est arrivé d’en faire – même si c’était rarement celles que je voyais évoquées après un match ! Et il y en a tout le temps eu, notamment parce que les choix sont pris de concert avec les 5 joueurs dans des intervalles de trente secondes tout en ayant des situations asymétriques. Il faut cependant essayer de comprendre certains choix avant de sauter sur une conclusion par facilité de se complaire dans le trashtalk. Mais je pense que la communauté pourrait comprendre ces enjeux et progresser, et que ça finira par arriver. Parce qu'une fois qu'on aura élagué toute cette part de la communauté qui ne veut que du sang et des larmes, qui migrera vers des nouveaux jeux en vogue comme Fortnite ou simplement grandira, peut-être qu'il ne restera qu'un public comme celui de Starcraft 2 par exemple, un public de passionnés qui s'intéresseront vraiment au jeu, et qui en plus auront, j'imagine, gagné en maturité. J'espère qu'ils se poseront vraiment la question plutôt que de savoir qui devrait finir empalé sur une pique à la fin d'une partie.

 

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Comment envisages-tu la suite de ta carrière ?

Franchement, je ne sais pas trop, je fais au fil des opportunités. Disons que cette année, je voulais être un peu en retrait d'un point de vue image publique, et je voulais vraiment bosser avec des gens bons pour au moins être sûr de moi. La grosse différence entre moi au PSG et moi maintenant, c'est que maintenant, quand je parle à des joueurs, je suis sûr que ce que je dis est pertinent. Non pas forcément que j'ai raison, mais c'est pertinent, parce que j'ai vu le process marcher, parce que je l'ai personnellement vu validé par des joueurs et coachs de haut niveau. Du coup, ça me donne une certaine confiance que les joueurs ressentent dans ma façon de leur parler. C'est un cercle vertueux. Alors que l'année dernière, il y avait ce côté remise en question permanente. Et contrairement à ce que je pouvais renvoyer, ce doute était d'autant plus fort étant donné que c'était ma première année. C'est moins le cas maintenant. Je dois juste faire une remise en question de mes connaissances, mais pas de moi-même à chaque fois que je m'adresse aux joueurs, ce qui me permet d'être beaucoup plus direct et beaucoup plus sûr de moi.

 

Le problème d'être coach aussi, c'est que c'est un boulot qui te prend toute ta vie. Tu fais ça 24h/24 et 7j/7. Tu as un peu l'impression d'être un sous-marinier. Tu pars quatre mois à Berlin, tu ne fais rien d'autre que du LoL, tu n'as pas de vie sociale, et la seule chose que tu peux espérer recevoir, c’est soit un titre, soit une quantité variable de trashtalk... Personne ne va venir féliciter un coach, personne ne va venir te demander si tu passes un bon moment. Au contraire, tu es censé être la bouée. C'est un boulot qui est très dur, très ingrat, et qui commence seulement à être payé correctement, mais ce n'est pas non plus la folie, surtout en Europe. C'est vraiment un boulot prenant. Après, je ne le regrette pas non plus. J'ai été chez Ubisoft, avant j'étais en banque d'affaires, au jour le jour, je préfère mon taff actuel. Mais voilà, il faut être prêt à faire des concessions, et capable de faire abstraction de beaucoup de choses ou alors il faut être très bon sur Twitter. Il y a beaucoup de personnalités qui se reposent sur beaucoup de chance, de vent, alors qu'il y a des gens qui taffent énormément et qui resteront dans l'ombre pour toujours dans l'esport. C'est tout le problème de savoir comment faire la différence entre l'aspect spectacle et l'aspect performance, surtout en tant que coach où, honnêtement, les seuls mecs qui peuvent juger de la performance d'un coach, c'est ses joueurs, ses assistants et son manager.

 

Sinon tu mets des chemises à fleur, tu parles avec une voix grave et tu t'habilles comme un mac.

Et bien justement, tu vois, on se moquait beaucoup de Yamato pour des raisons diverses. Je me souviens qu'à l'époque, je faisais quelques blagues sur Yamato chez O'Gaming. Moi, ce qui m'a toujours saoulé un peu, c'est l'aspect de son image publique perpétuellement mis en avant. Cette espèce de comédie. Encore une fois, c'est un peu ce qui m'a joué des tours l'année dernière, c'est que je n'ai jamais joué la comédie. Même si ça m'arrive de faire des blagues, je ne fais pas semblant de parler sérieusement en sortant un truc soi-disant clivant, pour ensuite dire "non mais en fait c'était du troll ne vous inquiétez pas". Tout le monde fait ça et ça m'énerve. C'est juste des mecs qui veulent tâter le terrain, mais qui ne veulent pas assumer ce qu'ils viennent de dire. Du coup je reprochais à Yamato d'en faire des caisses sur son image publique au-delà de son taff. Mais, surtout récemment, tous les retours que j'ai eus de lui étaient plutôt positifs. Ses joueurs l'aiment beaucoup, il fait son travail de coach, c'est quelqu'un de charismatique qui sait entraîner ses joueurs dans sa vision du coaching, et en tout cas, ses joueurs sont très satisfaits de son taff et c'est l'important. Donc je pense que Yamato ne fait pas partie des potentielles fraudes de l'esport. Mais en vrai, il y en a de moins en moins. Je pense qu'il y en a beaucoup eu, et qu'il y en a encore à divers degrés, mais ce qui me donne aussi envie de rester, c'est qu'il y en a de moins en moins et que ça commence à se professionnaliser sérieusement. Je ferai le bilan à la fin de l'année, mais mon objectif, c'est d'apprendre énormément cette année, de faire le bilan sur ma première année de coaching, d'essayer de m'améliorer et d'être head coach l'année prochaine.

 

As-tu un mot pour les lecteurs de *aAa* et plus généralement pour le public français ?

J'ai toujours essayé d'être franc, peut-être trop, mais il me semble avoir toujours essayé d’apporter un maximum à la communauté dans un domaine technique pourtant ni rentable ni populaire. Si j’ai pu paraître blessant, je m’en excuse volontiers et j’ai commis certaines erreurs de communication dans la forme par le passé. Néanmoins, sur le fond, je ne retire rien.

 

Que ce soit à travers moi ou d’autres, j’espère surtout que la communauté française profitera du phénomène de migration actuel pour pouvoir se recentrer sur ce qui a fait de League le jeu qu’il est aujourd’hui : l’esport et l’aspect compétitif. À ce titre, je continuerai d’essayer de transmettre ce que je peux, et je serai toujours ouvert à la discussion avec ceux que ça peut intéresser dans la limite de mon temps disponible, de plus en plus restreint.

 

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