Après Dioud et Steeelback, la rédaction *aAa* est allée à la rencontre de Thomas "Zaboutine" Si-Hassen. 

 

De commentateur professionnel pour O'Gaming à head coach dans la franchise OpTic, Thomas "Zaboutine" Si-Hassen est devenu au fil des années l'un des personnages incontournables de la scène française de League of Legends. Dans une entrevue de quarante-cinq minutes, il revient pour *aAa* sur son aventure américaine.

 

 

*aAa* : Bonjour, Zaboutine ! Peux-tu revenir sur la genèse du projet OpTic sur LoL ? À quel moment du processus d'intégration de la structure en tant que franchise as-tu été contacté ?
Zaboutine : J'ai été contacté quasiment dès les balbutiements du projet, parce que je suis allé à Berlin fin août de l'année dernière pour me former avec les équipes de production EU de Riot. Je devais faire l'analyse desk en anglais pour la petite finale des LCS EU summer 2017, et sur le parking, j'ai croisé Romain Bigeard, que je connaissais correctement parce qu'on se croisait régulièrement à Berlin. Et il m'a dit : "Écoute, j'ai été approché par une structure, il n'y a rien d'officiel pour l'instant, mais en gros, c'est une équipe qui voudrait rentrer dans le franchising. Il s'agit d'OpTic Gaming, c'est gigantesque sur les FPS, et ils seraient intéressés pour que je quitte l'Europe pour aller bosser chez eux." Du coup il m'a dit qu'il avait besoin d'un coach et m'a demandé : "Est-ce que ça te dirait d'être coach ?". J'ai répondu que oui, parce qu'en fait, ça tombait à un moment un peu creux de ma vie, et tout ce que je faisais avant arrivait un peu à son terme. Je savais que j'allais me faire licencier de mon travail dans la finance parce que je ne travaillais plus assez à cause de l'esport. Je venais de sortir d'une rupture amoureuse, et en plus de ça, j'avais essayé de négocier avec O'Gaming un poste à temps plein et nous n'étions pas tombés sur un accord. Donc en gros, la proposition de Romain tombait parfaitement bien, et j'ai accepté.

S'est ensuivi une période très bizarre, où je savais que je pouvais changer de vie, mais où je ne pouvais pas encore vraiment le faire, parce qu'on ne savait pas si OpTic avait le slot ou pas. L'annonce du franchising arrivait le 25 octobre, donc entre temps, j'ai discuté avec Romain et je lui demandais régulièrement des news. Lui est parti à Los Angeles pour la présentation du projet avec les différentes personnes de chez OpTic et de Riot, et le 23, il m'a appelé pour me dire qu'on avait le slot. Suite à ça, ils ont fait la proposition à Romain, qui m'a offert l'emploi. Et le 9 novembre, je suis parti à Dallas, où se situe le QG d'OpTic, pour monter un projet dans lequel il n'y avait, à ce moment-là, que Romain et moi.

Tu connaissais déjà OpTic Gaming ?
Je connaissais parce que je les avais vus sur CS, mais sans plus. Je n’étais pas un grand fan avec des Green Wall tatoués sur le dos.

Comment aviez-vous réparti les rôles entre Romain et toi ? OpTic avait déjà embauché du staff pour le projet ?
Il n'y avait que Romain et moi, même si le coach de l'équipe académique avait déjà été sélectionné (il s'agissait d'Andrew "Veritas" Cooley). C'est un Texan qui a à peu près mon âge, qui est aussi un ancien de la finance, et c'est un type extraordinaire. On a bossé à deux ou trois, éventuellement quatre, dans un bureau, mais surtout Romain et moi, en fait. On a travaillé d'arrache-pied pendant un mois et demi parce qu'à ce moment-là, on n’avait pas de gaming house, pas de joueurs, pas de contrats, pas d'emploi du temps et pas de projet sportif. La seule chose qu'on avait, c'était un slot de LCS et un match à jouer le 20 janvier. On était le 9 novembre et je venais de rencontrer les gens de chez OpTic.

Vous n'aviez donc pas de rôle précis à ce moment-là, toutes les décisions étaient collégiales ?
Oui, c'était collégial. Il n'y a pas eu de conflit, mais tout a été extrêmement précipité. On doit constituer une équipe de cinq joueurs, sans pouvoir les essayer par manque d'asset, dans un marché sur le point de complètement exploser.

Quel a été ton rôle et ton champ de décisions durant le mercato ?
En gros, avec Romain, on a travaillé de la manière suivante : déjà, le top management d'OpTic nous a donné une enveloppe. Au préalable, quand on a vu l'enveloppe, et par rapport aux aprioris et à l'expérience de Romain sur le marché des transferts en Europe, on pensait être largement au-dessus du marché et être capables de recruter une équipe de killers. Il s'avère que, si on ne compte pas le staff, on est le plus petit budget des LCS NA. Je me suis retrouvé pour la première fois à contacter des Zven et Mithy, etc. Et quand je commence à ne voir que des salaires à six chiffres et des millions de dollars passer pour accéder à des gros joueurs, je me rend compte que ça va être extrêmement compliqué d'avoir une équipe avec des cadors. Donc le but après, c'est de construire une équipe avec des gens qui sont très compétents, mais qui ne sont pas nécessairement les joueurs les plus... je ne dirais pas les meilleurs parce que je n'aime pas ce terme, mais plutôt pas les plus reconnus à leurs postes. On voit que TSM ou Cloud9 n'ont pas eu les résultats escomptés, donc finalement, ce n'est pas vraiment qu'une question de noms.

Donc on a commencé comme ça. Moi, j'avais un veto au niveau des joueurs et Romain un veto sur leur comportement. Et on avait aussi un veto positif, dans le sens ou si un de nous deux était vraiment convaincu des qualités d'un joueur, on pouvait le prendre quand même en mode "fais-moi confiance". Donc on s'est retrouvés à passer 650 coups de fils. Les salaires ont augmenté de jours en jours, et en quatre jours, on a ficelé une équipe.

 

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Crédits photo @OpTicGaming

 

Concernant le salaire, Romain disait qu'au début, les salaires étaient devenus fous, et que plus le mercato se rapprochait de la fin, plus les joueurs étaient prêts à faire des concessions sur le salaire pour être sûrs de jouer en LCS.
Je vais prendre un exemple avec Ignar, l'ancien support de Misfits. On avait discuté avec lui plusieurs fois parce qu'il nous intéressait au poste de support. Il nous a dit : "Je vais tempo, j'ai plusieurs offres". Très bien. Ignar regarde ses autres offres, puis je reviens avec une nouvelle offre. Ensuite, des gens en Europe ont contacté Ignar qui, voyant le marché s'enflammer, a décidé de prendre un agent coréen qui a mis des prix exorbitants. Du coup on a recontacté Ignar directement pour lui dire : "Écoute, on t'a fait une offre concrète, on ne peut pas vraiment aller plus haut". Finalement, tout le monde parle avec Ignar et Ignar finit chez bbq Olivers. Pourquoi ? Parce qu'à un moment donné, voyant qu'Ignar c'était compliqué, voyant aussi que le marché de l'ADC américain était en train d'exposer avec ces Sneaky et des Cody Sun qui étaient extrêmement chers, nous, on est arrivés sur Arrow. On l'a eu au téléphone et là, gros coup de cœur : le gars est hyper sympa, motivé, il est intelligent et drôle. Tu te dis, ça c'est quelqu'un avec qui j'ai vraiment envie de travailler. Donc on en parle avec Romain, et il me dit qu'il a vraiment envie de travailler avec Arrow. Je lui dis que moi, par contre, ma priorité est la midlane. Dans ma conception du jeu, tout passe par la midlane, et si on n’a pas un bon midlaner, je vais bricoler toute la saison mais ça ne va pas marcher. Et d'ailleurs, les seules équipes qu'on battait régulièrement étaient CLG et Golden Guardians, deux équipes qui avaient un déficit au niveau de la midlane et qui ont eu une saison extrêmement compliquée à cause de ça. Tout passe par la midlane dans LoL, donc moi, je voulais un gros midlaner. Et j'ai dit à Romain qu'à moins d'un Bjergsen ou un Pobelter, sachant qu'on n'avait pas de connaissance du marché des rookies et qu'on ne pouvait donc pas sortir un mec du chapeau, on allait partir sur un import. Du coup, on s'est retrouvés avec un import sur la midlane et un import ADC et on a dû exclure Ignar. Donc par exemple, nous on était acheteurs d'Ignar, et finalement Ignar s'est retrouvé chez bbq. Parce qu'avec la loi des imports, une fois que tu as sécurisé tes postes clés, tu te retrouves dans cette situation-là.

Parce que selon toi, Ignar aurait préféré jouer en occident plutôt qu'en Corée ?
De mémoire, il était équivalent sur les trois. Pour lui, c'était une question de projet sportif, d'offre, etc. Mais ce que je veux dire, c'est que les LCS NA, c'est ce qu'il y a de plus lucratif après la Chine, de loin. C'est plus lucratif que la Corée et que l'Europe. Aujourd'hui en tout cas, mais je pense que ça va le rester pendant encore très longtemps. Du coup, quand tu as une offre de LCS NA, surtout quand tu es un joueur star en pleine montée, tu n'as pas envie d'aller dans une équipe qui va faire huitième en Corée, avec tout le respect que j'ai pour les bbq Olivers. OK, ils ont Trick et Ignar, mais je n'ai pas l'impression que bbq Olivers soit le meilleur choix sportif qu'Ignar aurait pu prendre, et je pense que dans ce cas, le temps a joué en défaveur du joueur.

OpTic Gaming avait été choisie pour encadrer une des line-ups du Scouting Grounds. Team Ocean a donc été ta première véritable expérience en tant que coach. Peux-tu revenir dessus ?
Je ne savais pas vraiment ce que c'était que le Scouting Grounds. J'étais en plein mercato, et d'une certaine manière je n’en avais un peu rien à faire, mais OpTic s'était engagé, et moi, en tant que head coach, je devais assurer la prestation vis-à-vis de Riot Games. Et finalement, il s'est avéré que c'était une excellentissime expérience, parce que tu te retrouves à interviewer et tester des joueurs pour ensuite les drafter. Un phénomène de draft exactement comme en NBA pour ensuite constituer une équipe et faire de la compétition pendant deux jours. Et ça m'a permis de valider toutes mes connaissances avant de commencer la saison. Ce que j'estimais vrai dans le jeu, je l'ai fait appliquer à mes rookies, et il s'est avéré qu'on a fait un 100% de winrate on stage.

Un vrai test grandeur nature...
Exactement, et en plus de ça, c'est moi qui choisissais les rookies, et je ne m'étais pas non plus trompé sur les profils. Donc j'étais content d'une certaine manière. Et ça m'a permis de rencontrer les différents coaching staffs. Je ne me suis pas trompé sur les joueurs, je ne me suis pas trompé sur les profils, je ne me suis pas trompé sur la manière de les coacher, et à la fin, on gagne le Scouting Grounds, et j'ai gardé de très très bonnes relations avec l'intégralité des joueurs que j'avais là-bas. Ce sont donc évidemment de très bons rookies, donc des joueurs moins chers, et qui pourraient être une vraie manne pour la suite. D'ailleurs, j'ai un des joueurs qui est resté dans mon académie pendant toute la saison.

Quelles sont les plus grandes différences entre ce que tu t'attendais à faire en tant que coach et ce que tu as vraiment fait ?
Ce n'est pas du tout pareil que ce que j'imaginais. Le coaching est un métier que les gens ne connaissent pas et qui est extrêmement méconnu du public. En fait, la position de coach est un peu pourrie par rapport à l'idée que les gens ont, parce que la seule chose que Riot et les équipes mettent finalement en avant, c'est les drafts, alors qu'en fait, la draft doit représenter entre 1% et 3% de mon travail de la semaine. Il n'y a rien de plus simple que de faire une draft. On fait six scrims par jour, quatre jours par semaine, donc je fais vingt-quatre drafts par semaine, plus deux sur scène. Je m'en fous un peu de la partie draft, ce n'est pas difficile de drafter correctement sur League of Legends, mais c'est la seule chose qui est retransmise au public. 

 

Donc mon travail en fait, c'est d'ancrer les forces de mes joueurs, et de les rendre conscients de ce qu'ils sont capable de faire, autour d'un projet sportif qui est commun, et de créer des automatismes. C'est ça, mon travail. Donc la définition d'un plan de jeu, autour de la force de tes joueurs, l'articulation d'un plan de jeu, et l'exigence de très haut niveau vis-à-vis de ce plan de jeu. C'est ça qui constitue le quotidien. Ça inclut la gestion psychologique des émotions des joueurs. Ça inclut l'explication des différentes phases de jeu et des compréhensions sur le plan macro, puisque moi, je n’ai pas un niveau de jeu qui me permet de demander à un joueur de me rendre des comptes sur ce qu'il fait sur sa lane. Je n'y comprends pas assez pour être exigeant avec lui. Pour ça, j'ai quelqu'un d'autre à côté de moi qui s'en charge. C'est aussi communiquer à mon coaching staff, qui était vide au début parce que je voulais travailler seul pour comprendre ce dont j'avais besoin. Je devais transmettre à mon coaching staff les directives sur la manière dont ils doivent communiquer avec les joueurs et sur leurs rôles bien précis en termes de retours. De synchroniser avec Romain sur tout ce qui va être le calendrier, etc. De telle sorte à structurer tout ça et qu'on ait une routine de performances qui s'installe, où les joueurs sont conscients des exigences qu'ils ont au quotidien vis-à-vis de la structure, vis-à-vis d'eux-mêmes et vis-à-vis de leurs teammates pour arriver et reproduire ce schéma-là on stage et gagner. En gros, c'est ça, le travail d'un coach.

Tu es arrivé en tant que coach rookie, et Romain devait être connu pour son travail chez UoL mais n'avait jamais travaillé en NA avant. Quel accueil t'ont réservé les acteurs de la scène NA ? Et le public NA ?
En fait, en étant très honnête, il n'y a pas vraiment eu d'accueil, parce qu'on n'a pas gagné. Et à partir du moment où tu ne gagnes pas... regarde les 100 Thieves, ils ont pris des joueurs stars. Bon, c'est simple, les trois plus gros budgets des LCS NA cette année, c'est, dans le désordre, Team Liquid, Echo Fox et 100 Thieves. Bon bah il n'y a pas de secret, c'est le top 3. Donc forcément, quand tu arrives avec des infrastructures stars, des joueurs stars, quand tes joueurs arrivent en Tesla aux locaux, que tu as full merchandising partout, etc., tu imagines que pour nous, le merch est arrivé en semaine 8. Notre merch officiel vient d'arriver, et la boutique vient d'être ouverte à la fin du Spring Split. Donc on était complètement en porte-à-faux par rapport à tout ça, parce qu'on a manqué de temps ou d'argent. C'est ce triangle de la création, ou tu as soit de la merde rapidement et pas cher, soit quelque chose de qualité et pas cher, mais c'est lent, soit quelque chose de rapide et de qualité, mais c'est cher. Donc nous, on a choisi quelque chose de pas cher et de qualité, donc c'est un projet qui est forcément au long terme, et donc on s'est retrouvés dans cette situation-là.

 

Donc pour l'accueil, au début les gens sont un peu curieux, et puis après tu prends une, deux, trois, quatre, cinq briques, et les gens s'en foutent de toi. Ils ne te disent même plus bonjour, et tu es juste l'équipe que tout le monde pulvérise. Après, les joueurs entre eux sont sympas. Moi, j'ai rencontré les coachs dans un séminaire de coachs, donc je suis plus ou moins... Je vais pas dire pote parce que je ne suis pas pote avec tous, mais je m'entends bien avec certains, et je suis pote avec d'autres. Ça se passe bien d'un point de vue intégration dans l'écosystème compétitif, mais maintenant, la presse ne nous connaît pas, et tout le monde s'en fout. Si tu gagnes une game toutes les deux semaines, tout le monde s'en fout. J'ai gagné cinq games en neuf semaines. Donc forcément... L'accueil est bon, dans le sens ou le public a été sympa, les gens sont sympas, les casters sont sympas, tu sors de temps en temps, tu en croises un ou deux dans un bar, mais l'intégration se fait quand tu gagnes, en fait. C'est ça, la compétition. Tout le monde s'en fout des joueurs d'Amiens, Lens ou Nancy en Ligue 1. Tu suis Marseille, le PSG, Lyon, Saint-Étienne quand ils gagent... Pourquoi ? Parce que ce sont des équipes qui ont suffisamment gagné pour créer un engouement.

 

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Crédits photo @RiotGames

 

Quelles sont pour toi les principales causes de votre décevante saison ? Est-ce un problème de budget ou un problème global ? Ou est-ce un problème de niveau individuel au niveau des joueurs ?
Le truc, c'est qu'en fait, la performance, c'est un peu tout. C'est-à-dire que si jamais je te dis que c'est la faute du budget, ça veut dire que je me désolidarise complètement du succès de mon équipe. Ça veut dire que le coaching staff, ou alors même moi en tant que coach, si on payait un meilleur coach plus cher, si on était allés acheter Kkoma, bah finalement l'équipe aurait mieux marché. Mais ce n'est pas forcément vrai. Ce que je peux dire, c'est que ce qui était difficile est qu’on n’a pas pu essayer nos joueurs, et qu'on a dû les engager tout de suite. Ce qui fait qu'en fait, on est parti sur des promesses. Par exemple, je vais prendre le cas de LemonNation qu'on a release. On arrive avec LemonNation, donc Romain vient me voir, on discute de LemonNation, il me demande ce que j'en pense. Je lui dit : "Écoute, le gars a la réputation d'être super intelligent, etc. Par contre il est un peu vieillissant, son niveau n'était pas extraordinaire les saisons précédentes. Moi je veux bien croire au retour en état de grâce et tout ça, mais bon..." Romain me répond : "Écoute, j'ai eu une discussion de deux heures avec lui, il est motivé, il va se tuer à l'entraînement, il va tout tout tout donner cette saison. Fais-moi confiance". Je lui ai donc dit : "Écoute Romain, ton call c'est mon call, là-dessus, t'es le General Manager, si tu me dis de te faire confiance, je te fais confiance". Donc forcément, j'avais des doutes, qui sont légitimes, je ne suis pas en train de dire que Lemon est une merde ou quoi. J'avais des doutes légitimes, je voyais ce qu'il faisait l'an dernier, je me dis que par effet de continuité... Après, peut-être que l'an dernier il n’avait pas le même niveau d'investissement, donc suite à sa conversation avec Romain, on a décidé de faire comme ça. Donc, finalement, sur une promesse.

Oui, et ça n'aurait pas été le premier à connaître une période creuse et à revenir au premier plan, comme Febiven notamment.
Exactement. Bon, lui, ça faisait quand même un moment qu'il avait quitté son état de grâce, mais encore une fois, qu'est-ce que tu fais dans cette situation ? Tu ne vas pas arriver et jeter l'opprobre immédiatement sur lui en disant non. Romain me dit : "Écoute voilà, il est là, il est motivé, il rentre dans notre cadre budgétaire, il est sympa"... Ok. Donc en l'occurrence, Lemon, il a eu une saison décevante. Je peux parler aussi de Zig. Donc pour Zig, j'avais le choix entre deux ou trois toplaners dans notre gamme de budget. Je ne connaissais pas les rookies. Par exemple, Dhokla, je ne le connaissais pas. On tombe sur Zig. Je l'avais vu, je trouvais qu'il avait été performant lors des saisons précédentes, je me dis bon, je ne vois pas pourquoi ce type-là qui a été bon serait mauvais, on va partir sur Zig. Ce n’est pas forcément le meilleur joueur NA, mais il y a moyen de gagner avec Zig.

Il s'avère qu'on a eu deux urgences. Une sur le topside de la carte et une sur le botside, pendant quasiment l'intégralité de la saison, ce qui fait que ça a complètement déséqulibré l'équipe, en plus d'Akaadian qui est encore dans un apprentissage. Je suis très content d'Akaadian, même s'il a encore énormément de choses à corriger, parce qu'il throw énormément. Je ne parle pas de son kick avec Lee Sin. Mais vraiment, en scrims, il throw régulièrement, il est assez dur à gérer parce qu'il est très très émotif, donc parfois, il est juste hyper toxique, mais j'aime beaucoup travailler avec lui. Enfin voilà, on a eu deux urgences, et ça, on ne pouvait pas ! C'est-à-dire qu'avec de l'argent, tu t'évites ce genre de choses, parce que tu vas directement acheter un joueur de top calibre. Si je te dis que je remplace Zig et LemonNation par Aphromoo et Impact, tu vas me dire que oui, j'achète un produit qui est déjà à maturité, donc je n’ai aucun problème. Donc oui, l'argent peut résoudre ce genre de choses.

 

Mais, c'est peut-être aussi parce que moi, rookie coach, je n'ai pas su gérer le problème de la lane. Je n'ai peut-être pas été capable de remplacer Zig ou LemonNation par un rookie qui est enfermé chez lui, et qui est meilleur qu'eux. Donc ça vient aussi du coaching staff, de Romain et moi qui ne connaissons pas la scène NA, et qui devons faire confiance à d'autres personnes. Ça vient aussi des joueurs eux-mêmes. Je pense que les productions brutes de certains joueurs de l’équipe ne sont pas au même niveau que d'autres. Forcément, si je fais une comparaison entre Zig et POE, leurs performances cette saison, c'est deux poids, deux mesures. Et à la fin, ça fait une saison en demi-teinte, parce que neuf semaines ça va vite, et que tu as des équipes qui ont, elles, acheté des produits finis. Quand tu prends Huni dans ton équipe, tu peux quasiment prendre quatre briques à côté, et Huni, il carry tout seul. Parce qu'en plus d'être un excellent joueur, c'est un leader technique, c'est un leader stratégique et c'est un leader humain.

D'accord, mais c'est aussi une question de structure. Tu vois des structures comme Cloud9 qui arrivent à sortir des rookies comme Contractz ou Licorice, et qui arrivent à en faire des joueurs directement performants en LCS.
Alors oui, mais regarde, en l'occurrence, je connais le mec qui est derrière Cloud9, Jonathon. C'est un type qui est absolument génial. C'est leur coach académique, et ce type-là, il fait partie de la scène. Il est sur la scène depuis quatre ans. Il a vu Contractz monter, il a vu Biofrost monter, il a vu Dardoch monter, il a vu Akaadian monter... Tous ces gens-là, il les connaissait. Il te dit : "Les prochains, c'est untel, untel et untel". Il a Zeyzal dans son académie. Il a eu Goldenglue, même si Goldenglue a eu des problèmes mentaux de stress on stage, mais c'est un très bon joueur quand il est en scrims. Donc forcément, tu prends un type comme ça, qui est capable de connaître l'intégralité de la scène, avec Cloud9 qui est une équipe présente depuis toujours. Donc Jack, il arrive sur le mercato, il attend que les gros noms partent, il dit : "Oh, Svenskeren, personne n'en veut ? Allez hop, tu viens avec moi". Il l'achète à prix faible, et derrière il vend un Contractz, qu'il a dû vendre un bon prix chez Golden Guardians. Tu n'as pas vu la saison de Contractz ? Il a fini dernier. Donc on crie au rookie, mais finalement, Akaadian qui était finalement en disgrâce l'an dernier se retrouve à une meilleure position, et Reignover quasiment à égalité avec Akaadian et Contractz. Ce qui prouve quelque chose. C'est que la part du coaching et la gestion long terme d'un projet dans l'esport est hyper importante, parce que tu as l'anticipation des performances, donc ça te permet de scooter et d'acheter à moindre prix et de vendre plus cher que la valeur actuelle d'un joueur, etc. Et ça, tu ne peux pas l'avoir en deux mois, ce n'est pas possible. Donc c'est tout ça qui fait qu’on n’a pas gagné. La réponse est un peu longue, mais je ne peux pas la raccourcir.

J'imagine qu'avec le départ de Zig, c'est Dhokla qui a gagné sa place de titulaire dans l'équipe première ?
Alors, on est sur plusieurs pistes, dépendamment du profil qu'on va voir. Personnellement, je suis extrêmement satisfait de Dhokla. Je pense qu'il a une véritable capacité à grandir en tant que joueur, et aussi en tant qu'humain. En plus, il a vécu à la maison, parce qu’on n’avait pas d'appartement, donc il a vécu dans mon salon pendant quasiment deux mois. Donc je m'entends bien avec le gars. Donc Dhokla, pour l'instant titulaire, mais imaginons que demain, Marin vienne me dire qu'il veut venir jouer... Bon, Marin, je ne peux pas l'avoir... Mais imaginons qu'un joueur NA monstrueux, du genre Licorice, vienne nous voir et dise : "Je rêve de jouer pour OpTic". Je prends un exemple au hasard, mais tu as une question qui se pose. Est-ce que je prends Licorice, ou est-ce que je prends Dhokla ? Je pense que les deux méritent du temps de jeu, et c'est pour ça qu'on arrête de faire un 5-man roster et qu'on dit qu'il y a des titulaires et des remplaçants. Parce que moi, ce que j'ai envie de faire, c'est dix joueurs à disposition en permanence, et constituer une équipe A et une équipe B pour la semaine.

Avez-vous déjà trouvé un remplaçant pour LemonNation ? Quel profil de joueur cherchez-vous pour le remplacer ?
Moi, ce que je cherche, c'est un profil de lane. Parce qu'en fait, quand tu les essaies, la plupart des supports te disent : "Moi, j'ai une très bonne compréhension du jeu, je shotcall, et tout..." Mais en vrai, j'ai Arrow, Akaadian, POE et Dhokla qui shotcall, donc en fait je ne veux absolument pas que le mec shotcall. Ce que je veux, c'est un type qui, quand il prend Thresh, fait comme Hakuho, il met 85% de ses grabs. Quand il joue Blitz, il met 95% de ses grabs. Quand il joue Morgana, il met de la pression sur la lane. Ce que je veux pour le summer split, c'est voir Arrow devant. Donc j'ai demandé un joueur qui est vraiment mécanique, mais le problème, c'est que le pool de gros supports en NA, il est déjà lock. Les très gros supports, comme Aphromoo, Biofrost ou Smoothie, sont déjà bloqués. Donc c'est extrêmement difficile d'aller les débaucher, à moins d'avoir des millions. Et comme je te l'explique depuis le début, les millions, on ne les a pas.

Mais est-ce que ce genre de profil mécanique n'est pas justement le genre de profil plus facile à aller chercher en soloQ ?
Bah du coup c'est ce qu'on est en train de faire en ce moment. Personnellement, je suis rentré en France, mais j'ai mon assistant coach, mon positional coach et mon nouveau coach Academy. On a changé de coach Academy parce que l'ancien coach Academy ne voulait pas bouger à Los Angeles, et j'ai fait venir l'Academy, qui était à Dallas (QG d'OpTic, ndlr), et c'est son assistant, Alex, qui est devenu le head coach Academy. Donc eux, ils sont en train de tryout l'intégralité du ladder, en faisant des ratings, des points... et ils me demandent ce que je préfère comme profil, etc. Et du coup, le soir, j'ai toujours mon call de synchro avec eux. Et donc je me fie à leur jugement. Parce que moi, je suis Platine, je n'ai rien à dire sur la lane, donc je fais appel à des anciens joueurs pro comme Cop, mon assistant coach, qui me dit que ce mec-là c'est une bête, etc. Alors il y a quand même assez peu de chances qu'on sorte le nouveau Mata. Mais en tout cas, c'est ça qu'on cherche. Ce qu'on cherche, c'est que sur le botside, j'ai besoin d'un mec qui mette Arrow devant. Même s'il ne doit pas roam et tout ça, je veux qu'Arrow soit bien dans sa game, parce qu'Arrow est capable de faire des miracles quand il est bien. 

 

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Crédits photo @RiotGames

 

En ce qui concerne LemonNation, il est reconnu pour ses analyses et sa vision de jeu. Avez-vous prévu de lui garder une place dans le staff ?

Alors non, et moi je l'ai expliqué simplement. C'est qu'en fait, il était joueur et j'étais coach, et le rapport qu'on a ne me permet pas de le faire monter. Il a eu une position et un comportement de joueur, donc on a une relation qui n'est pas conflictuelle, mais qui est d'une certaine manière antagoniste, puisque le coach vient chercher le joueur et vient le tirer vers l'avant, alors que le joueur en général est plutôt une force de rétention. C'est assez rare, les joueurs qui poussent le collectif, parce qu'en général, les joueurs aiment leur zone de confort, etc. Et en plus, il y a un truc qui est très difficile pour moi, c'est que je suis un jeune coach, et Lemon est quelqu'un qui est extrêmement têtu. C'est probablement son principal défaut. Il est très intelligent, et généralement, quand tu opposes des idées, je comprends qu'il soit têtu parce qu'il ne se trompe quasiment jamais. Le problème, c'est que quand il se trompe, c'est la guerre. C'est la guerre parce que ça prend des heures et que c'est hyper énergivore.

Donc j'aurais aimé pouvoir continuer à travailler avec Lemon, parce que déjà, j'adore le gars. Je trouve que c'est un type formidable. Il est super drôle, super sympa, super intelligent, mais je pense qu'à court terme, s'il était passé de joueur à manageur, il aurait encore été dans le clan joueur. Alors que quand tu es dans le staff, tu es dans le clan staff. Même si finalement, il n'y a pas de clans et qu'on ne s'affronte pas, tu es parti pris avec ton head coach. Tu ne peux pas arriver et dire publiquement : "Bah non, je pense que tel joueur, ceci ou cela." Tu es dans une position ou il y a un bloc coachs, on essaie de parler d'une seule voix, on essaye d'avoir un projet sportif, d'amener des joueurs dans le projet sportif, et après on débriefe. C'est comme papa et maman. T'as pas envie que ton père te dise "non tu sors pas", et que ta mère te dise "mais si tu sors, y'a pas de soucis !" C'est un peu ça, et du coup je pense que cette position-là était trop ambiguë pour que Lemon comprenne. Et pourtant, Lemon, je ne pense pas qu'il ait travaillé autant que ce que j'attendais de lui, mais d'un point de vue éthique de travail, ce n’est pas un mauvais gars. Il est là à l'heure, il est pro, il est toujours dispo, il m'a beaucoup aidé sur les drafts parce que c'est quelque chose sur quoi il est fort... Donc pour moi, ça reste un asset hyper intéressant, mais en l'occurrence, je pense qu'à court terme, c'était trop compliqué de l'orienter en tant que coach.

Quelle est selon toi la responsabilité du coach dans ce genre de situation ? Dans le sport traditionnel, c'est souvent le coach qui sert de fusible en cas de mauvais résultats. Est-ce toujours justifié ?
C'est une question qui est très complexe. Et en plus, tu te doutes que je me la pose tout le temps, parce que tu ne peux pas dire que tu as bien entraîné tes joueurs quand tu gagnes et dire que tu ne les a pas mal entraînés quand ils perdent. Il y a un autre truc, c'est que tu peux très bien faire ton rôle de coach, et pourtant... par exemple quand mes joueurs perdent la lane, avant même que les décisions et tous les schémas de jeu que je leur ai inculqués ne se mettent en place. Est-ce que je dois prendre ma responsabilité en tant que coach de dire que mon joueur n'a juste pas bien joué à LoL ? Il ne clique pas assez vite ? Je ne sais pas trop. Donc je pense qu'il y a un peu des deux. Pour moi, ce qui compte, c'est qu'il y ait une confiance de la part de ton top management et de ton manageur direct, donc pour moi, ça va être Romain et les gens qui sont au-dessus chez OpTic, et après, c'est une relation à entretenir. Si jamais les joueurs font remonter que je ne suis pas bon en tant que coach, eh bien j'ai besoin de le savoir. Si jamais mon staff, ou Romain, n'est pas satisfait de moi, j'ai besoin de le savoir. Après, en l'occurrence, j'ai eu un retour qui était très positif de la part de tout le monde sur mes qualités de coach pour l'instant. Donc je ne pense pas avoir trop mal fait mon travail. Je pense que je ne l'ai pas assez bien fait, certes. Je pense que j'ai beaucoup de choses à améliorer pour le Summer Split, et je prends toute la responsabilité possible dans cet échec qu'a été le Spring Split. Mais je pense que c'est plus un fiasco global qui est lié au manque d'argent, au manque de temps, au manque d'expérience... Face à des franchises et à des structures super huilées, c'était pratiquement impossible.

Qu'as-tu à répondre à ceux qui pensent que cette mauvaise saison est la conséquence de ton inexpérience et au fait que tu sois un coach rookie ?
De toute façon, c'est difficile d'expliquer aux gens parce qu'ils ne savent même pas concrètement ce que je fais dans mon métier. Je vais juste prendre un exemple qui est hyper intéressant, celui de Duke. Duke, il était chez PSG eSports. Je suis encore convaincu qu'il a fait un excellent travail chez PSG eSports et je l'ai toujours dit. J'ai beaucoup discuté avec lui, je le connais très bien et c'est l'un de mes meilleurs amis. Pendant un moment, il a même vécu à la maison, donc je pense quand même être capable de témoigner de l'honnêteté du gars. Et tout le monde a dit que Duke n’était pas le bon gars. Tout le monde, la presse spécialisée, des types comme Drijo qui disaient que Duke, ce n’était pas le bon gars. Donc probablement que ce n’était pas le mec idéal, mais ça ne veut pas dire que c'était le pire coach de la situation. C'est peut-être un excellent coach dans une mauvaise situation. C'était une nouvelle franchise, avec des joueurs qui tiltaient on stage et qui gagnaient tous leurs scrims. C'est des mecs qui arrivaient à battre G2 Esports en scrims, et qui se retrouvaient à faire 0-2 le week-end. Qu'est-ce que tu veux faire dans ces moments-là ? C'est très compliqué, et on a tous dit : "Ouais, Duke, ses drafts elles étaient nulles !" Et moi je parle avec Duke, je lui disais : "Tu peux faire ça ?" "Bah non parce qu'en fait mon midlaner, quand il joue ça on perd. Donc je sais que c'est fort, mais on ne peut pas le jouer." C'est normal, c'est du pragmatisme sportif, c'est ce que moi aussi je suis obligé de faire. Parfois, on me demande pourquoi mon midlaner il ne joue pas ceci ? Parce que quand il joue cela, il est plus fort, donc je le fais jouer ça. Et Duke aujourd'hui, il fait n°3 avec Splyce. Duke, c'est le prisme de Splyce en France avec Nisqy, ce n’est pas Peter Dun, même si Peter Dun, c'est un coach extraordinaire d'après ce que me dit Duke, et je pense que c'est probablement lui le facteur déclenchant du succès de ce projet-là, du recrutement jusqu'à la réalisation en jeu. Mais aujourd'hui, tout le monde est là : "Duke, comment tu fais ? C'est super intéressant ! Elles sont super tes drafts, parles-en moi ! etc." Alors qu'il y a encore 6 mois, tout le monde lui chiait dessus.

 

Donc finalement, on ira toujours dire que c'est ma faute, parce que c'est le prisme que les gens ont sur l'équipe d'OpTic, parce que je suis français et que les gens me connaissent. Mais par exemple, pour Reddit qui est américain, c'est de la faute de LemonNation et de Zig, et pour certains, c'est même la faute d'Akaadian. Il n'y a que POE et Arrow qui sont épargnés. Parce que généralement, sinon, tu insultes les joueurs. Chez Schalke, est-ce que les gens disent que c'est de la faute du coach ? Personne ne s'est posé la question de savoir si c'était de la faute du coach. C'est une équipe qui a une super line-up, qui a Krepo dans son analyst staff qui tire plus ou moins les ficelles derrière, qui a recruté des joueurs du calibre de Vizicsacsi et qui se retrouve à ne pas aller en playoffs, alors que H2K y va. Et personne ne s'est posé la question de savoir si X, Y ou Z sont de mauvais coachs. Et tout le monde se fout de savoir quel joueur est mauvais. Par contre, parce que c'est OpTic et qu'on connaît Zab, on va dire que c'est de ma faute. Donc qu'est-ce que j'ai à leur répondre ? Bah faites-moi confiance. Peut-être que je n'y arriverai jamais, mais laissez-moi le bénéfice du doute. On ne peut pas juger de la valeur de quelqu'un en une saison. Il y a des coachs qui ont mis des années avant de connaître le succès.

Avec l'expérience et le recul, qu'aurais-tu fait différemment pendant ce split ?
J'aurais été moins gentil. J'ai beaucoup donné la parole à mes joueurs, sur leur positionnement dans l'équipe. Je leur ai donné un poids qui était trop élevé, parce que je ne suis pas arrivé avec un plan de jeu "clé en main". Ce que j'avais fait avec mes rookies au Scouting Grounds. Au Scouting Grounds, je suis arrivé, je me suis dit "c'est des rookies", "vous faites ça" et terminé. Et quand un mec me disait un truc, je lui disais "c'est de la merde." Alors qu'avec un joueur, je disais "tu ne penses pas que ça serait mieux..." alors qu'en fait non. Tu arrives, tu dis "ça c'est de la merde". Mais au début, tu arrives et tu as POE en face de toi : c'est compliqué de dire à POE "non je ne suis pas d'accord, c'est de la merde". Mais en fait c'est mieux d'arriver et de dire que c'est de la merde, et que ton joueur dise "non, ce n’est pas de la merde pour X, Y, Z, T." Et là tu dis "OK, désolé, ce n’était pas de la merde, tu avais raison, on passe à autre chose". Parce que ce qui est important, c'est que tu leur donnes des directives fortes.

 

Imagine que tu es chargé du recrutement. Imagines que tu as ton DRH qui arrive et qui te dit : "Arrête de me prendre des gens qui ont un niveau technique monstrueux, mais qui sont des autistes". C'est facile. Et c'est même plutôt du genre : "Prends des gens qui sont socialement développés". Il faut utiliser un verbe d'action. Du coup tu te dis, bon bah d'accord, je vais prendre des gens qui sont socialement développés, et voilà, c'est simple. Et au pire, tu peux lui dire : "Bah non, je ne suis pas d'accord avec toi !" Tu as le droit de lui dire ça. Mais tu préfères qu'il arrive avec une instruction claire, plutôt que le mec te dise "tu ne penses pas que..." Et du coup tu ne sais jamais si tu fais quelque chose de bien ou de mal. Et toute la mécanique de progrès, elle est drivée par du feedback positif. Tu dis pas "ne fais pas ça". Tu dis : "Fais ça", et le joueur discute ensuite l'action. Tu transmets aussi ta volonté comme ça. Si tu dis "est-ce que tu ne penses pas qu'éventuellement ça", le joueur se dit que s'il le fait pas, ce n'est pas grave. Alors que si je lui dis "fais ça", et qu'il ne le fait pas, il va à l'encontre du coach.

Du coup, une fois que tout est clair, et que l'équipe est consciente de ce qui fait la qualité de l'équipe et de ce qui la fait gagner, quand tu arrives et que tu reprends le point du joueur et que tu fais : "Regarde là, là, tu étais sur la midlane, et c'était quoi le next moove ?" Et là le joueur te regarde et te dit "je sais pas" parce que le joueur se cache un peu. Et tu arrives et tu répètes : "C'était quoi le next moove ? Qu'est-ce qu'on a dit ?" -"Bah c'était botlane" -"Pourquoi tu es encore sur la midlane ?" -"Bah je ne sais pas, je voulais prendre ma wave" -"Mais la wave était pas là, qu'est-ce que tu faisais ?" -"Bah en fait je ne faisais rien." -"D'accord, bon bah qu'est-ce que tu feras..." Et là tu as de l'impact en tant que coach. C'est toute cette mécanique-là d'être un bon coach, et ça, je le ferai, je pense, beaucoup mieux au prochain split.

 

Donc tu penses que c'est sur ce point particulier que tu as le plus progressé pendant ce split ?
Oui, je pense que c'est ça.

 

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Tu as parlé de mettre en place un roster de dix joueurs. Cette saison, OpTic Gaming gère aussi une équipe Academy qui a terminé la saison régulière à la neuvième place. Quel est ton niveau d'intervention par rapport à cette équipe Academy, et quels sont tes objectifs vis-à-vis d'elle ? Le but, c'est juste d'avoir une équipe A la plus performante possible et l'Academy est là juste pour donner de l'expérience aux joueurs, ou est-ce qu'il y a aussi des objectifs de performance ?

Mon niveau d'intervention est global maintenant. Concernant le statut de l'Academy, ce n'est pas du tout clair. Parce qu’ils leur font faire un tournoi, mais en fait, la seule vocation de l'Academy, c'est d'entraîner des joueurs. Donc moi, mon point de vue, c'est juste que l'équipe A soit performante. Je n’en ai un peu rien à foutre de ce que fait l'Academy. Après, j'ai doublé les postes. Bon, il y a forcément des postes... tu te doutes qu'à moins d'un cataclysme, POE et Arrow, je ne vais pas souvent les remplacer. Mais par contre, ce que je veux, c'est avoir des doublettes performantes. On a libéré notre jungler académique. Toplane, on n'en a plus parce que c'est Dhokla qui a pris le poste, mais on n'a plus de toplane. On a libéré notre jungler parce que c'était un import et que je ne peux pas le faire jouer en équipe A, et j'ai aussi libéré ADC et support. Donc l'objectif, c'est d'avoir cinq joueurs qui vont progresser et qui vont avoir exactement le même plan de jeu et les mêmes automatismes que l'équipe A. De telle sorte que lorsque l'on change un joueur, ça ne change rien. 


Mais du coup, c'est toi qui coache l'équipe Academy pour ça ?
Non, j'ai un coach pour ça. Mais je lui transfère tout ça. Donc là par exemple, le 25 avril, je rentre à Los Angeles, et je vais avoir un workshop avec l'intégralité de mon coaching staff, où je vais avoir une quinzaine de powerpoints et leur expliquer : "Voilà, c'est ça qu'on va faire. C'est comme ça qu'on va les faire bosser, et ça, c'est immuable, c'est gravé dans la roche, ce sera comme ça jusqu'à la fin du split. Le seul moment où on peut travailler dessus, c'est maintenant". Donc pendant trois jours, les autres coachs vont dire : "Moi je voudrais faire ci, moi je voudrais faire ça" -"Ok, on a 20 minutes après une game. Ça sera chronométré, au bipper, tout le monde s'arrête. Toi, de combien de temps tu as besoin pour faire ça ?" "Ok, j'ai besoin de tant et tant de trucs. J'aimerais faire ci, j'aimerais faire ça." -"Ok. Donc finalement, moi Zab, je vais peut-être faire 10 ou 15 minutes de feedback, et toi et toi, mes deux assistants, cinq minutes chacun, vous arrivez et vous faites un feedback à l'équipe. Ou alors, je fais 15 minutes, et après les deux coachs font 5 minutes avec deux joueurs spécifiques si c'est nécessaire..." Il s'agit d'articuler le truc pour que la routine de travail soit systématiquement la même tous les jours.

J'imagine que vous devrez aussi vous mettre d'accord sur l'aspect du plan de jeu en lui-même ? Sur la meta ?
C'est pour ça que je vais former le coach Academy et que le plan de jeu sera imprimé. Ça ne dépend pas de la meta, tu gagnes toujours pareil à League of Legends. LoL se joue tout le temps pareil. Il y a eu douze patchs et pourtant, c'est toujours pareil. Tu gagnes la midlane, tu descends sur un côté, tu prends la première tour, tu prends un autre côté, tu termines la midlane, tu mets des wards, tu prends le baron et tu gagnes la game. La meta, c'est juste la manière dont tu vas arriver à ces choses-là.

Comme tu l'as dit, tu vas retourner à Los Angeles fin avril - et à la surprise de beaucoup d'observateurs, d'ailleurs, puisque tu es revenu en France pendant l'offseason. Avec tous ces changements, n'aurait-il pas été mieux que tu restes sur place ?
J'en ai parlé avec Romain, et Romain m'a dit qu'il pensait que c'était plus important que je prenne des vacances. Je lui ai fait confiance. Honnêtement, les deux étaient viables, mais il faut se rendre compte que mes joueurs sont partis. Donc en gros, j'aurais été seul dans un bureau et j'aurais fait la même chose que ce que je suis en train de faire ici. Donc en l'occurrence, je préfère être là, me ressourcer un peu, voir les gens ; je pense que c'est important pour moi aussi. On n’en a pas vraiment parlé mais il faut voir que je suis expatrié, que je ne connais personne et que je n’ai pas d'amis à Los Angeles. Je travaille quasiment tous les jours, soit 5-6 jours sur 7. Je ne sors pas, etc. Donc c'est important pour moi aussi de retrouver un peu les miens et de souffler, parce qu'indépendamment de la performance, ça a été onze semaines très difficiles. Je ne suis pas rentré juste parce que j'aime faire la fête. Je suis rentré parce que je n’ai pas fait la fête, je n’ai pas vu mes potes, je n’ai pas vu mes parents, et je suis un être humain. Je n'ai pas des responsabilités infinies, et je ne suis pas un robot tout le temps. Mes joueurs américains, ils font deux heures d'avion et ils sont chez leurs parents, ils peuvent passer un week-end. Moi, ce n’est pas mon cas.

 

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Crédits photo @RiotGames

 

Quel est ton programme pour l'offseason ? Te verra-t-on au MSI ? As-tu prévu de caster l'évènement avec OG ?

Je suis encore en discussion avec l'équipe de cast, avec la production française et avec le management, donc pour l'instant, je ne peux rien dire.

Et au niveau de l'équipe, tu as des jalons ou des deadlines à respecter avant la reprise ?
Bah 1er mai, c'est le workshop avec l'équipe de coaching. 7 mai, arrivée des joueurs, si on arrive à tout faire, parce que là on a changé de locaux donc ça devrait arriver...

Vous avez prévu un bootcamp ?
Non. Enfin, eux, ils bootcamp, mais moi je n’ai pas besoin.

Tu es un des fondateurs de Marty Agency. Quelle est ta situation vis-à-vis de ton agence ?
J'ai dû tout quitter. Je n'ai plus rien à voir avec Marty aujourd'hui. Riot m'a demandé de me séparer de mes parts. Donc j'ai coupé mon mail, j'ai rendu mes parts, je n'ai plus de travail d'agent avec aucun de mes talents. Marty Agency, ce n'est plus Zab. Je ne sais même pas ce qu'il s'y passe, parce que sinon, je me fais radier de chez Riot, donc c'est impossible que je fasse ça. Riot est venu et a dit "Zab doit quitter Marty". Donc en 3 semaines, j'avais fait mes démarches, j'ai montré le papier à Riot comme quoi je ne suis plus du tout affilié à Marty Agency, et je n'ai pas du tout le souhait de travailler à Marty Agency de toute façon, parce que j'adore mon travail chez OpTic, et voilà. J'ai monté cette agence, et maintenant je fais autre chose.

Riot a annoncé que l'on verrait les franchises arriver en Europe dès 2019. Serais-tu intéressé par le fait de coacher une franchise en Europe ?
En vrai, je m'en fous. Je pense que rester en NA, c'est bien. Mais si jamais j'ai une offre de ouf en Europe, je peux venir en Europe. Après, moi, j'aimerais bien rester chez OpTic, parce que j'aime bien l'équipe, les joueurs et le management. Après on verra. On verra parce qu'aujourd'hui, c'est trop difficile de répondre à cette question. Mais je n'ai pas un gout particulier pour le froid de Berlin. La vie ensoleillée d'LA, elle ne sera pas aussi dure.

Un dernier mot pour les lecteurs d’aAa ?
Je sais que vous êtes durs avec moi. Ce que je comprends. Aussi bien que je comprends vos rancunes et vos attentes vis-à-vis de moi. Essayez de comprendre votre méconnaissance du travail de coach, et continuez de soutenir ce que vous pouvez de mon équipe, même quand je perds, ça fait toujours plaisir !