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Un tête à tête avec le directeur esport de Webedia Gaming, Sasha Brodowski, en charge des équipes Millenium.

 

Aujourd'hui, dès que nous évoquons le nom de Millenium, nous voyons des mots comme "échec", "blague", "personnel incompétent" ou encore "catastrophe" apparaître en commentaire d’un article. Les deux derniers papiers sur la structure française, le recrutement de Veni Esports et un achat à 50 000 $ controversé sur CoD, ne dérogent pas à la règle. C’est devant ces deux dernières levées de bouclier de la part de la communauté que Sasha Brodowski, directeur esport de Webedia Gaming, a tenu à éclaircir des zones d’ombres en répondant à nos questions. 

 

 

*aAa* Flamm : Même si nous avons déjà eu l’occasion de parler de toi, tu restes un inconnu du grand public. Peux-tu nous résumer ton parcours dans l’eSport ?

Sasha Brodowski : Mon vrai premier contact avec cet univers, je l’ai eu avec Counter Strike. J’aurais dû mal à te donner la version, je dirais la béta 1.2 comme ça… C’était vers 1999, on vivait dans un village paumé avec le bon forfait AOL 20h par mois. C’est mon petit frère qui a découvert ce jeu, et dès qu’on l’a essayé on n'a pas pu décrocher. Bon, on était loin de se douter de la suite à cette époque. Là où j’ai commencé à percuter qu’il se passait quelque chose, c’est quand j’ai découvert les premiers add ons de bots pour CS. Je maintenais le site et le support d’un de ces add ons qui s’appelait « Rambot », ce qui m’a emmené tout droit sur Quakenet. J’avais 15 ans, j’étais dans le futur en découvrant ce truc-là. C’est comme ça que je suis tombé sur les channels de GG, SK, aT, coL, etc… Assez vite j’ai bossé avec des potes sur les ancêtres des WebTVs, les Webradios…. La notre s’appelait GameArena, on « shoutcastait » quasiment que du CS & du Warcraft III. Y’a pas longtemps je suis retombé sur quelques fichiers MP3 de l’époque…  On est en 2004, je rencontre mon meilleur pote et futur associé dans Bang Bang Management à la Lille Eurolan. Il était venu me taxer des piles, lui faisait tourner des serveurs HLTV pour pouvoir spec les games de CS… C’est quand même dingue de se dire qu’il y a encore 10 ans, il fallait tryhard comme jamais pour pouvoir se connecter sur un serveur HLTV et regarder une finale des IEM. Je suis parti à Toulouse ensuite, puis un apéro en amenant un autre, j’ai peu à peu complètement disparu du milieu.

 

Mon retour là-dedans s’est fait complètement par hasard avec Bruce Grannec. On est en 2011, j’organise des tournois FIFA chez moi chaque mois et je l’invite à passer… sur Facebook. Il ne me connait pas, je le connais pas, mais il vient. Au bout d’une heure, un de mes potes qui vient de se faire taper par Bruce lâche un « Mais il est champion du monde c’est pas possible. » On passe la soirée à se marrer, et ça me donne des idées. On est aux prémices de Twitch, l’esport que j’ai quitté cinq ans plus tôt a bien grandi, et j’ai le sentiment que le marché peut devenir viable. Quand je dis viable, je veux dire pouvoir se verser un salaire et en vivre, pas monter une boite . La boite, il a fallu attendre un an de plus pour qu’on la monte. C’est une aventure humaine qui dure depuis cinq ans, entre potes, et qu’on continue désormais chez Webedia depuis notre rachat au mois d’octobre 2016. 

 

Aujourd’hui j'ai 32 ans, je suis un employé du groupe, et mon job est de gérer avec mes équipes Bang Bang Management, le club Millenium, ainsi que la communication et le marketing du PSG eSports.

 

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Avec Manika à Berlin - Photo ©Milleniun

 

J’aimerais bien qu’on parle de Millenium et de votre équipe League of Legends aujourd’hui. Que s’est-il passé, pourquoi avoir recruté une nouvelle équipe temporaire ? 

Déjà si tu le veux bien, et parce que c’est important pour la réponse qui va suivre… Millenium, ce n’est pas juste un logo relié à deux autres par des tirets dans la galaxie Webedia, contrairement à ce que laisse penser régulièrement la galerie. Ce sont des nanas et des mecs qui chaque jour dans l’ombre des joueurs se la butent sur l’équipe qu’ils aiment, et qui se pointent à Levallois-Perret maillot de Millenium sur le dos. Ces gens, ils sont à des milliers de kilomètres des thèses complotistes que je peux voir passer autour de notre actionnaire. Ce qui m’amène à la suite : quand le PSG annonce son arrivée dans l’esport en octobre 2016 avec Webedia comme partenaire sur la partie de la communication et du marketing, évidemment que ça titille toutes ces personnes. Tu es un compétiteur, tu as envie de montrer à tout le monde que tu peux être une meilleure équipe avec un budget sensiblement moins élevé. Je ne suis pas encore en poste à ce moment-là, mais c’est dans cette logique là qu’est conçu le line-up League of Legends. Ça a été une erreur de penser que la communauté accepterait que Millenium puisse se passer de son identité francophone au prix de bons résultats, et on l’a vu avec notre victoire au Challenge France que beaucoup considèrent comme bien mal acquis. On est pas cons, on le voit passer tout ça, on lit et entend ce qui se dit. À la fin des Challenger Series on a donc décidé de revenir à ce qu’est et ce qu’on attend d’une équipe qui doit avoir un rôle de moteur sur la scène esport française. Le premier constat, c’est celui-ci. 

 

Le deuxième, et il est tout au moins aussi important, c’est le budget. Déjà de façon général dans l’esport ou le salaire des joueurs et le coût des transferts a pratiquement doublé entre 2016 et 2017, et encore plus dans les Challenger Series. La réalité, c’est que jouer le haut de tableau des Challenger Series coûte paradoxalement plus cher que de jouer le milieu / bas de tableau en LCS. La raison elle est assez simple : tu as des clubs de foot, des marques comme Redbull désormais, qui mettent beaucoup d’argent sur la table pour essayer de monter en LCS. Une équipe de LCS de milieu, bas de tableau, elle sait qu’elle trouvera quoi qu’il arrive des joueurs pour venir en studio jouer chaque semaine, même si elle les paye au salaire minimum imposé par Riot. On voit ta tête sur Twitch, tu joues devant du public, tu fais partie de l’élite. Les Challenger Series, c’est un format batard de cinq semaines en BO2 joués en ligne qui n’est pas vraiment mis en avant, c’est beaucoup moins sexy pour un joueur. Même si c’est pour jouer dans une très bonne équipe. Si tu veux compenser, tu sais ce qu’il te reste à faire. Tu as des joueurs de Challenger Series qui sont aujourd’hui à dix milles euros ou plus, comment tu veux qu’on puisse s’aligner ? C’est trois fois ce qu’on peut offrir.

 

C’est avec tout ça qu’on doit composer : des contraintes sportives, financières, ça prend du temps et on a une place à défendre du mieux possible dans ces qualifications pour les Challenger Series. D’où cette équipe qui était pour nous le meilleur compromis.

 

 

Vous dites avoir recruté Veni eSports mais en rajoutant d'autres joueurs français. Des précisions sur ces recrutements ?

On voulait des joueurs français, ou tout du moins francophones dans cette nouvelle équipe. Je crois que Nerroh n’est plus à présenter sur la scène française, c’est en revanche un peu moins vrai pour Akutsune. Ce garçon, plusieurs joueurs pros français dont certains évoluant en LCS m’en ont parlé. On l’a pas mal regardé jouer ces dernières semaines, et il a vraiment montré de belles choses. Du côté des remplaçants, on avait envie de donner leur chance à ceux qui pourraient être les nouveaux talents de la scène française de demain. Je pense à MTC TA qui est au tout début de sa carrière. Il a tout à apprendre, et c’est à nous de l’accompagner pour le faire grandir en tant que joueur et individu, comme Millenium a su le faire par le passé avec d’autres talents. Il est là notre ADN.

 

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Avec PSG pendant la Lyon Esport - Photo ©Milleniun

 

Ce n’est pas un peu risqué de procéder de la sorte alors qu'une place en CS EU est en jeu ?

On assume la décision sportive tout en subissant l’environnement financier.

  

Avoir une équipe compétitive en CS EU, ça représente quel budget ?

La grande différence entre les Challenger Series et les LCS, c’est la durée des contrats. A l’exception du PSG eSports qui a ses joueurs sous contrats de janvier à fin novembre, comme la totalité des équipes LCS, toutes les autres équipes de Challenger Series signent des contrats par split. C’est justement pour limiter les risques financiers pour des équipes qui n’ont pas toutes une vraie stabilité financière, on l’a vu avec les problèmes récurrents de paiements de joueurs ces derniers mois. Mais si on devait s’aligner sur une saison pleine, soit de janvier à fin novembre, ça tournerait entre trois cents et quatre cent mille euros. J’ai la conviction qu’au moins deux équipes de Challenger Series ont un budget avoisinant le million d’euro. La saison dernière, pour avoir un ordre de grandeur, deux cent mille euros « suffisaient ». Il y a une inflation terrible, très difficile à encaisser pour un club comme Millenium.

 

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Avec PSG pendant la Lyon Esport - Photo ©Milleniun

 

Est-ce que Millenium peut encore s'aligner financièrement face aux poids lourds qui débarquent dans le secteur comme Red Bull ? 

Clairement, non, et c’est avant tout un problème de modèle économique. Millenium fonctionne avec un budget à l’équilibre : le club dépense à peu près l’équivalent de ce qu’il gagne avec les sponsors, le merchandising, le « revenue sharing » des éditeurs, etc. Webedia nous aide quand c’est nécessaire et est utile au développement du club, mais ça ne pourra jamais être dans les proportions des nouveaux entrants qui ont une logique économique complètement différente de la notre. Schalke n’a aucun sponsor dédié pour sa section eSport, et pourtant ils investissent massivement depuis plus d’un an. Ils ont de bonnes raisons de le faire, mais qui ne peuvent s’appliquer à un club comme Millenium. De même pour Redbull, avec des raisons là encore différentes. Qu’elles soient en CS ou en LCS, ce sont ces équipes qui demain pourront s’offrir un joueur comme Hans sama dont la seule valeur sur le marché des transferts tourne aujourd’hui entre cent et cent cinquante mille euros hors salaire. C’est celle-là, la réalité du marché en 2017.

 

Vous n'avez pas peur de perdre de l'argent avec cette décision ? 

Il faut surtout pas faire ce job, et encore moins dans ce milieu, si le seul truc qu’on se dit en se levant le matin, c’est « va-t-on perdre de l’argent ? » Il y a un an et demi, l’équipe « HyperGames » Call of Duty que l’on gérait pour la marque Auchan n’allait pas bien en terme de résultats. On était encore une société indépendante, et on a pris sur notre marge le rachat des joueurs anglais de l’équipe « eXceL » qui avait terminé quatrième de la première saison de la Call of Duty World League. L’opération avait coûté aux alentours de vingt mille euros, clairement c’était une grosse somme pour nous, un vrai pari quitte ou double. On l’a gagné ce pari avec leurs très bons résultats, mais on aurait très bien pu le perdre aussi. Y’a toujours une part d’incertitude, c’est le propre même de la compétition. Quand je vois votre dernier article (« Un achat à 50 000$ controversé pour Millenium » ; ndrl) sur le prix et les performances de notre équipe Call of Duty, franchement Flamm… J’aime aAa, mais là ça tourne presque à la malhonnêteté. La controverse, elle n’est que dans la tête de votre jeune rédacteur. Payer ce prix-là pour des joueurs de ce calibre, qu’on a deux ans sous contrat, avec l’inflation du marché que l’on connait… C’est un super coup. Oui les débuts ne sont pas bons, mais c’est dans deux ans qu’on fera les comptes, sûrement pas au bout de deux mois. Nous étions contre les meilleures [structures] européennes pour avoir cette équipe, on ferait mieux de s’en réjouir.