La carrière de soO est un roman, le genre de roman à l’histoire si prenante, si injuste, si belle qu’il est évidemment en tête des ventes. Devenant, au début de ce mois d’octobre, le premier joueur de toute l’histoire de Starcraft II à réaliser « l’exploit » de perdre 4 finales de GSL Code S d’affilée, soO est rentré dans la légende à sa manière, sans gagner. Cette singularité pose alors tout un tas de questions, notamment sur l’origine de cette incapacité chronique à remporter une finale, sur ses faiblesses mentales mais aussi, et surtout, sa supériorité technique. Car c’est bien là que se trouve sa curiosité. Et si, après tout, le meilleur joueur du monde, c’était soO ?

 

 

Un passé fait de persévérance

 

Aussi vrai qu’il n’existe pas de cause sans conséquence, il est évident que les difficultés de soO à remporter une finale trouvent leurs origines dans son propre passé, sa propre histoire, qui, vous allez le voir, n’est pas des plus glorieuse. Parsemée d’embûches, la route de soO donne l’impression de ne rien lui pardonner, et surtout de l’obliger à tout brûler et repartir à zéro dès que le succès frappe à la porte. Sa carrière commence sur Brood War, comme celle d’un joueur KeSPA classique… ou presque. Presque classique, car il est chez SKT1 ET qu’il est zerg, à vrai dire c’est une difficulté en soi. Faisons un petit flashback.

 


SK Telecom T1 est une franchise historique de la scène Starcraft, une des plus vieilles et une des plus titrées sur les titres de Blizzard, dans les compétitions individuelles comme par équipe. C’est aussi l’équipe fondée, dès 2002 et comme un symbole, par l’Empereur Terran en personne, le légendaire BoxeR. Et lorsqu’on jette un coup d’œil au roster des SKT1 sur Brood War, on trouve de tout sauf du zerg : Fantasy ou iloveoov chez les terrans, BeSt ou Bisu chez les protoss, mais aucun champion de leur trempe dans la troisième et dernière race. 

Zerglee et MuMuyung, les premiers zergs de SKT1, malgré leur succès en 2v2 dans une époque où la Proleague en comportait encore, demeuraient de bien mauvais joueurs de solo. Par la suite vinrent deux « champions », attendus comme les messies venus rétablir l’équilibre parmi les trois races dans la franchise de l’Empereur : GoRush et July. Malheureusement, leur arrivée chez SKT1 correspond de manière surprenante à un brutal coup d’arrêt de leur carrière et de leurs résultats, brillants par leur incapacité à gagner des titres une fois leur contrat signé. July se paya même le luxe, après des mois de disette et un changement d’équipe pour STX Soul, d’aller remporter une OSL devant BeSt. La bonne blague. C’est à ce moment-là que la troisième génération de zergs arriva chez SKT1, celle de soO, accompagné de TheZerg, s2 et HyuK, aujourd’hui coach de l’équipe sur Starcraft II. Deux Proleague perdues d’affilée plus tard (en finale contre l’ennemi juré KT Rolster avec pour presque seules défaites les matchs de ces zergs), et voilà qu’être un zerg chez SKT1 devient un « running-gag », et sans doute le favori de la communauté.

soO est pourtant le seul qui semble être capable de briser la malédiction qui s’abat à la fois sur sa race et sur son équipe, en devenant à la mi-2011, un des meilleurs joueurs de SKT en Proleague (avec 7/2 puis 6/0 en statistiques). Il est même tout près de réaliser l’exploit individuel en atteignant la même année la demi-finale de la Jin Air OSL. Pas de chance pour lui, c’est quelques semaines plus tard que la KeSPA décide d’amorcer sa migration sur Starcraft II, l’obligeant à tout recommencer du début et à redevenir un habitué des premiers tours de bracket et un joueur de Proleague moyen. Après un an passé dans le ventre mou de la hiérarchie mondiale, le moment est venu de réapprendre une fois encore le jeu, avec la sortie d’Heart of the Swarm entrainant un changement profond dans le métagame. Après plusieurs mois d’efforts, d’entrainement et de persévérance, ayant gravi tous les échelons, du Code B au carré final de Code S, soO arrive finalement à une place qu’il n’a jamais connu dans toute sa carrière en Octobre 2013 : sa première finale de GSL, contre Dear.


Comme un aboutissement en soi, comme la fin heureuse d’une mauvaise histoire, il part très confiant avant la finale, en ayant une pensée pour tous ses coéquipiers zergs de chez SKT1.

 


 Tous les zergs qui ont été jusqu’à maintenant chez SKT1 ont eu du mal. Je vais venger leur peine.

                                                         

Il perdra pourtant assez sèchement sur le score de 4 à 2. Un an plus tard et trois autres finales perdues consécutivement contre Zest, Classic et INnoVation (et une finale de Dreamhack contre Solar), nous voici à l’aube de la Blizzcon où soO est à la croisée des chemins. Triomphera-t-il de ses démons dans le plus grand évènement de l’année ? L’histoire serait magnifique, et à y regarder de plus près, il y a de bonnes raisons d’y croire.
 
 

Le nouveau « King of Silver » ?

 

Si le parallèle entre soO et JaedonG a souvent été fait, faisant référence à leurs nombreuses secondes places, il n’est pas entièrement correct. En effet, si JaedonG a été régulièrement stoppé sur la dernière marche, c’est à la faveur d’un impressionnant FlaSh, qui le dominait dans tous les compartiments du jeu. Au contraire de soO, dont la faiblesse est avant tout mentale et non technique, son principal rival restant... lui-même. Il a d’ailleurs déjà battu tous les adversaires qui l’ont empêché de ravir la première place, à d’autres stades d’autres tournois.

La similitude de sa situation avec YellOw est assez frappante. Ce dernier fut en effet, bien qu’étant sans conteste le meilleur zerg de sa génération et de sa période (2001-2005), incapable de remporter le moindre évènement majeur, échouant le plus souvent à la deuxième place, gagnant de ce fait le doux sobriquet de « King of Silver ».

 


 


 

L'état de soO après trois de ses finales perdues

 


Mais alors, me direz-vous, d'où vient le problème ? Pas besoin de s'appeller Coach Park pour comprendre que c'est au niveau mental que soO pêche. Il n'y a qu'à voir son état après les finales perdues, illustré dans cet article par quelques tweets. Mais, paradoxalement, malgré ce problème mental, il est pourtant un des joueurs les plus forts dans sa tête, pour deux raisons.


La première, et la plus évidente, c'est bien évidemment sa persévérance qui fait force de respect. Après 7 ans de carrière, 7 ans de dur labeur dont nous vous avons raconté les « meilleurs » moments en première partie, soO a su vaincre tous ses démons (celui de la finale mis à part) pour grimper tout en haut de l'affiche. Et ce ne sont pas cinq finales perdues en sept mois qui ont l'air d'entamer sa motivation et sa détermination. Dans ce cadre-là, soO fait preuve d'une force mentale hors du commun, alors que beaucoup d'autres joueurs auraient déjà abandonné, soit à la première difficulté, soit à la première finale perdue. Il est d'ailleurs amusant de constater qu'INnoVation, en remportant une seule GSL sans avoir figuré une seule autre fois dans le Ro16 cette année, a gagné plus d'argent que soO en additionnant ses quatre finales de GSL et sa finale de DreamHack.

 

 

This is looking bad, Zest


La deuxième, c'est son incroyable faculté à renverser la vapeur d'un match mal engagé. En dehors des finales, soO n'abandonne jamais : illustration parfaite avec sa demi-finale de GSL contre Zest il y a quelques jours à peine, où mené 3/1 et au bord de la rupture, il parvient à aller chercher les ressources mentales pour changer radicalement son style de jeu et s'imposer 4/3. Mais ça, c'est peut-être parce qu'il est tout simplement le meilleur. Ou presque.

 

 En route pour la BlizzCon 

 

Il est dommage de remarquer qu'on retient de soO d'avantage ses finales perdues que ses incroyables parcours qui l'y ont mené. Car en réalité, ces cinq finales perdues ne révèlent pas plus ses carences mentales que son extraordinaire régularité et son niveau de jeu proche de la perfection, dans une période où les zergs ne sont pas forcément à la fête. Le fameux principe du verre à moitié plein / à moitié vide, vous savez.

 

Solide le mec.


Aussi vrai qu'il y a un style FlaSh, un style TRUE, un style Polt, un style Trap il n'y a pas à proprement parler de style soO, pour la simple et bonne raison qu'il est le joueur le plus complet et le plus technique qui existe à l'heure actuelle. Capable d'enchainer sur deux games une impressionnante macro suivie d'un all-in complètement dégueulasse, il est imprévisible et surtout, il sait tout faire. Et il l'a prouvé en dehors de ses finales, en se défaisant de tous les adversaires les plus coriaces comme Soulkey, Life, INnoVation, PartinG, Bomber, Zest, TRUE, Solar et.. j'en oublie.


Vous comprendrez alors aisément la difficulté de se risquer à un pronostic de la Blizzcon, le plus grand tournoi du monde, étant donné que si soO y arrive clairement en favori, le syndrome de la finale perdue est à prendre en compte. Il est en tout cas certain de bien y figurer, parce que soO est un combattant, un gladiateur, et qu’il est d’ores-et-déjà rentré dans la légende en étant le seul joueur capable d’une telle régularité dans toute l’histoire du jeu. Remporter la Blizzcon sonnerait alors comme une mémorable revanche, la revanche d'un joueur qui a avancé dans l'ombre des autres pendant des années et dont la popularité repose sur des échecs plus que des victoires. Pour devenir, enfin, officiellement, le meilleur joueur du monde.