Les récents évènements qui ont secoué le monde du jeu vidéo ont inspiré parmi les aficionados des sentiments très diverses, allant de l'indifférence la plus totale à l'énervement déclencheur d'ulcères à l'estomac. Si beaucoup étaient d'accord pour dire que la pique de Canal + à l'encontre de Twitch relevait de l'ignorance crasse, le plus petit nombre criait à l'attaque personnelle et voulait la mort de Canal+, l'immolation d'Antoine de Caunes et la dispartition non moins définitive de Mathilde Serrell.

 

Mais une fois la fumée dissipée, que reste-il de ce mouvement d'humeur ? La satisfaction amère de l'enfant qui a fait une grosse colère et obtenu ce qu'il veut, tout en sachant pertinemment qu'il n'en ressort pas grandi. Reprenons depuis le début pour comprendre pourquoi nous étions énervés, et pourquoi ça n'en valait pas vraiment la peine.

 

 

Quand on attaque Twitch, les joueurs contre-attaquent

 

Inutile de revenir sur la "chronique" aisément oubliable qui a lancé le mouvement. Vue par l'immense majorité des utilisateurs français du site, elle a été très largement et suffisament décriée, obligeant même Canal+ à non seulement faire machine arrière mais aussi à présenter des excuses aux joueurs via Twitter. La seconde chronique était bien moins méprisante, et même si Mathilde Serrell ne savait toujours pas prononcer Pewdipie correctement, l'essentiel était sauf : Canal+ reconnaissait son erreur.

 

Pourquoi c'est bien

 

Parce qu'il est important qu'une chaine nationale et les médias en général (qu'ils soient par ailleurs télévisuels ou d'internet) ne dénigrent pas de manière aussi violente et absconse une mode qui n'est dans l'absolu pas plus stupide que de regarder du foot à la télé (même si le commun des mortels a encore du mal à le comprendre), et que quand on prend les gamers "pour des cons" de manière aussi évidente, il faut s'attendre à un retour de bâton. Surtout quand la communauté attaquée manie Twitter aussi bien, et aussi vite.

Par ailleurs, tout le monde du jeu vidéo a réagi, et pas seulement les ados boutonneux adeptes de WoW plantés devant leur PC (et "le Twitch") 10h par jour. On notera à ce sujet la jolie blague du CM de chez Xbox à l'encontre d'Antoine de Caunes.

 

 

 

Quand même les CM des grosses entreprises de jeu vidéo estiment que vous avez poussé le bouchon un peu loin, c'est probablement que vous avez abusé.

 

Pourquoi c'est allé trop loin

 

Parce qu'il n'est pas exclu que la communauté des joueurs ait versé dans la surréaction. Daniel Schneidermann, journaliste spécialisé dans l'étude des images télévisuelles, a développé sur "Arrêt sur Image" (sa chronique hebdomadaire) un point de vue a ce sujet très intéressant. Et comme une bonne citation vaut toujours mieux qu'une mauvaise paraphrase : 

 

La broncha est compréhensible.Même si leurs pratiques culturelles sont aujourd’hui économiquement dominantes, les joueurs de jeux vidéo, comme les amateurs de BD, ont conservé une susceptibilité d’adeptes de « sous-cultures » stigmatisées, qu’ils furent longtemps.

 

Daniel Schneidermann met ici le doigt sur un aspect de la communauté de joueurs qui est très souvent pointée du doigt sans pour autant être expliquée : sa suceptibilité. Le joueur de jeu vidéo ayant pendant si longtemps été rabaissé, considéré comme une sous-culture, voire même comme une sous-personne n'ayant aucune vie sociale ni aucun éveil au monde extérieur, il en a conçu un ressentiment violent et se sent prêt à sauter à la gorge de n'importe quelle personne dénigrant (légitimement ou non) sa passion. Ce dernier point est d'autant plus vrai que l'attaque est objectivement mal fondée et injustifiée, comme ce fut le cas de la chronique de Canal+. S'attaquer avec autant de mépris apparent à un phénomène économique majeur sous prétexte qu'il concerne le jeu vidéo ne pouvait qu'éxaspérer les fans du genre, donnant ainsi lieu aux réactions que l'on sait.

 

Et là est bien le problème. Certaines réactions ont versé dans l'insulte pure, le dénigrement, voire même le harcèlement (pensons notamment à la boite mail de Mathilde Serrell qui ne doit toujours pas s'être remise de ce haro). La frustration des gamers justifie-t-elle un tel lynchage ? Passés les premiers billets d'humeurs (le blog de votre serviteur compris), il reste la sensation de s'être énervé un peu fort contre une chronique qui méritait bien plus le dédain que la haine et la violence, fut-elle verbale.

 

 

Le cas du Cyprien Gaming Show

 

Symptomatique à mon sens du mépris grandissant des connaisseurs du milieu esportif (et non pas des joueurs en général), le Cyprien Gaming Show a recueilli moult critiques, les plus violentes déclarant doctement que cet évènement était une insulte au média vidéoludique et que les "vrais" joueurs n'avaient rien à y faire. Dans un sens, cette réaction a été bien plus grave que celel engendrée par l'affaire Canal+, car on passe du mépris des joueurs envers les non-joueurs au mépris d'une partie des joueurs envers une autre partie des joueurs. Et quand on se chamaille dans les rangs d'une même armée, ça ne présage rien de bon pour la guerre.

 

Qu'est ce que le Cyprien Gaming Show ? En gros, un spot publicitaire géant pour les futures sorties qui auront lieu dans les prochains mois. Un peu comme la chaine Youtube Cyprien Gaming, en fait, qui encense et teste les jeux qu'on lui demande d'encenser et de tester. Et c'est là que le bât blesse, pour certains joueurs.

La présence de grands youtubers dans un évènement comme celui-ci, comme notamment Norman ou Jérôme Niel, était pour certain une raison supplémentaire de boycotter l'évènement dès lors considéré à la fois comme trop "casu" et inintéressant d'un point de vue "e-sportif", et trop partial d'un point de vue "test pur" des jeux potentiellement à succès. De plus, la présence de noms français du milieu esportif (comme Lelfe, par exemple) a été pour le moins raillée, Lelfe étant apparament passé de rédacteur esportif confirmé au rang de Youtuber (ce qui est en dessous la limace sur la chaine alimentaire, visiblement) ne touchant plus qu'un public âgé de 10 à 12 ans ne jouant qu'à CoD sur Xbox. Et je caricature à peine.

 

Mais qui est ce traitre en chemise bleue à droite de la photo ?

 

 

Pourquoi c'est ridicule

 

Adieu l'ouverture d'esprit et la liberté du sous-genre underground pour passionnés, bonjour l'intolérance du milieu fermé accessible seulement aux "vrais" qui sont prêt à insulter gratis en profitant de l'anonymat d'internet. Si tu n'es pas au fait des derniers transferts sur League of Legend et que tu n'es pas prêt à te coucher à 6h du mat' parce que y'a la finale des LCS NA ou des IEM Toronto, t'es pas un vrai, retourne regarder des vidéos de Norman. Et la tolérance ? On s'asseoit dessus, tout en piétinant allègrement ce qui fait la force du milieu du jeu vidéo : sa diversité.

 

Les plus fervents critiques du Cyprien Gaming Show (ou de la chaine Cyprien Gaming en général et des programmes internet et télé s'en rapprochant) semblent oublier un point fondamental : il existe des sous-catégories dans les adeptes du jeu vidéo, et notamment une qui était le coeur de cible du spectacle de Cyprien au Grand Rex : les "casuals". Si ce mot est très souvent employé de manière péjorative dans le milieu esportif, il n'en reste pas moins qu'à la base il n'a qu'une connotation neutre : il désigne les gens qui jouent de manière occasionnelle, pour s'amuser et sans particulièrement rechercher ni le haut niveau ni l'amélioration de leur niveau de jeu. L'esport ne les intéresse pas, pas plus que d'enchainer les parties pendant 5 heures pour attendre un rang que l'on ne peut de toute façon pas mettre sur le CV et dont tout le monde (sauf notre amour-propre) se fout comme de sa première chaussette. C'est ce public casual qui était visé par le Cyprien Gaming Show, tout comme c'est ce même public qui est abonné à sa chaine Youtube (plus de deux millions de personnes). Etre un casual n'est pas une tare, c'est un état de fait, une situation, une volonté de la part d'un joueur. Cette volonté ne saurait être raillée.

 

 

L'heure de la remise en question

 

S'ils peuvent sembler différente sur le papier, les cas de l'affaire Canal+ et du Cyprien Gaming Show représentent visiblement une tendance commune dans le microcosme internet du jeu vidéo : l'intolérance massive et récurrente à l'encontre de tout ce qui n'est pas esportif. Un vrai mépris est affiché pour ceux qui n'y connaissent rien (comme Canal+) sans pour autant qu'une volonté de les éduquer et de leur ouvrir l'esprit à notre passion soit démontrée. Quand aux "casus" n'ayant aucune volonté de s'immerger plus dans le milieu vidéoludique en dehors de leurs 2 heures hebdomadaires sur un petit jeu solo ou un multijoueur pour la détente avec les copains, ils sont regardés de haut comme des êtres imparfaits n'ayant pas atteint le sommet de l'évolution. Ils représentent pourtant plus de deux millions d'abonnés de la chaine Cyprien Gaming et sont donc largement majoritaires.

 

La haine et l'acharnement, sont-ce là les seules armes dont nous disposons à l'encontre de ceux qui n'ont pas atteint notre niveau d'engagement dans le jeu vidéo ? Bien sur, le mépris doit être sanctionné, et quand il amène à un retour en arrière de la part d'une chaine de l'acabit de Canal+, on ne peut s'empêcher de se dire que la mission a été accomplie. Sauf que la manière n'y était pas. L'humour, le respect et la dignité ont été les grand absents de la riposte sur Twitter (qui je vous l'accorde n'est pas le lieu de prédilection des grands Hommes), et au lieu d'une tape sur les doigts d'un professeur à l'encontre d'un élève ayant mal fait son travail, nous avons assisté et même causé un tabassage par une bande organisée d'une femme seule et sans défense a 3 heure du matin dans le RER. Aucune classe, aucun honneur.

Et comme si cela ne suffisait pas, les railleries dont a fait l'objet le show de Cyprien, qui n'était ni plus ni moins qu'une bannière publicitaire géante (et qui s'assumait en tant que tel) saupoudrée de jeux vidéos et permettant à des casuals de rencontrer leurs stars de Youtube, démontrent si besoin il y avait que nous sommes une communauté fermée et intolérante qui ne supporte pas un regard différent du sien sur son média.

 

Amis gamers, ressaisissons-nous. Les utilisateurs de Twitch, tout nombreux qu'ils soient, ne forment pas la majorité des joueurs dans le monde et le fait d'être une minorité grandissante ne fait pas de nous une majorité. Ne ruinons pas les efforts fait par la génération précédente pour rendre le jeu vidéo plus accessible et plus vivant en excluant tout ceux qui ne souhaitent pas faire partie de la communauté. Nous nous devons d'être plus intelligents et plus matures, plus pédagogues et plus ouverts, plus tolérants et plus passionnés que jamais pour continuer à développer notre passion dans le monde, afin qu'un jour (pas si lointain), le fait d'entendre "je ne vois pas l'intérêt de jouer à ces jeux" ne soit plus qu'un souvenir brumeux renvoyés dans les abîmes de notre civilisation.

 

De la classe et du panache, que diable. On n'est pas sur Call of Duty.