headerPic

 

Que vous soyez vétéran de la scène Starcraft ou nouveau venu dans le monde de l’e-sport, vous avez forcément déjà entendu parler d’eux : les Coréens. Visage souvent impassible, doigts rapides comme l’éclair, ils trustent les podiums de toutes les grandes compétitions internationales depuis plus d’une décennie.

 

Mais pourquoi sont-ils les seuls à faire de telles performances ? Qu’est-ce qui différencie la Corée du reste du monde ? Pour le comprendre, remontons le temps jusqu’à un beau matin calme de 1998.

 

 

Là où tout a commencé

 

Cette année là, alors que la Corée du Sud souffre d’une crise économique majeure, Starcraft fait son entrée auprès du grand public.

 

À cette époque les connexions Internet haut débit sont déjà présentes en Corée mais peu répandues chez les particuliers. Pour en profiter, beaucoup de gens se rendent donc dans les PC bangs, qui sont à peu de choses près l’équivalent de nos cybercafés.

 

Il est difficile de déterminer qui de Starcraft ou des PC bangs a le plus aidé au développement de l’autre, mais toujours est-il qu’avec leur prix très abordable en ces temps difficiles (moins d’un euro par heure), les PC bangs poussent comme des champignons fin des années 90 pour atteindre le nombre de 15 150 établissements fin 1999.

 

 

pcBang

Un PC bang bondé (Crédit photo)

 

Deux ans après la sortie du jeu, la scène professionnelle émerge avec la création de la KeSPA, organisme dédié à la régulation de l’e-sport en Corée du Sud. Elle est notamment en charge de la gestion des diffusions télévisées des compétitions. Diffusions qui démarrent la même année avec la création de la première chaîne de TV spécialisée e-sport : OnGameNet.

 

Pendant plus d’une décennie, les compétitions vont s’enchaîner et faire rêver tout amateur de beau jeu. L’OSL, la MSL, la Proleague et bien d’autres sont autant d’occasions pour les joueurs les plus émérites d’entrer dans la légende.

 

De "YellOw" à "BoxeR" en passant par le Français "Elky", la plupart ont pris leur retraite depuis, même si certains ont fait la transition sur SC2 et bataillent encore aujourd’hui au plus haut niveau. On peut notamment citer "Flash", "Fantasy" ou encore "Jaedong" (bien que celui-ci ne joue plus en Corée).

 

 

scTimeline_1

Chronologie des événements marquants concernant l’e-sport Starcraft en Corée du Sud

 

 

Mais l’engouement des Coréens pour Starcraft ne se limite pas à quelques aficionados de jeux vidéos et d’e-sport. Le phénomène est global et l’ensemble de la société semble prendre goût au jeu.

 

À tel point que l’armée de l’air coréenne forme sa propre équipe en 2007 : Air Force ACE. Un service militaire de 2 ans étant obligatoire pour tous les hommes coréens, cette équipe a permis à certains joueur de ne pas interrompre leur entraînement durant cette période. Le plus célèbre d’entre eux étant certainement "BoxeR".

 

afaLogo

Le logo de la Air Force ACE

 

 

À ce jour, sur 9.5 millions de copies de Starcraft (y compris Brood War) vendues dans le monde, quasiment la moitié ont étés écoulées en Corée du Sud.

 

Cette popularité du jeu se décline aussi en popularité des joueurs. Là où en France, les gamers (fussent-ils pro) ont bien souvent une image de pâlots maigrichons asociaux, en Corée, les tout meilleurs sont de véritables stars.

 

Entre fan-club, gros salaire et même groupies, ils sont plus proches de la figure publique populaire que du nerd qui doit expliquer à ses proches comment il gagne sa vie en jouant à des jeux vidéos.

 

L’un des exemples les plus parlant est sans doute celui de "SlayerS’BoxeR" (aujourd’hui joueur de poker professionnel), marié à l’actrice et personnalité des médias Kim Ka Yeon (probablement plus connue des amateurs de Starcraft sous le pseudonyme de "SlayerS’Jessica" et pour son implication dans l’imbroglio qui mena à la dissolution de l’équipe SlayerS.)

 

 

boxer

BoxeR et Jessica vous saluent (Crédit Photo)

 

 

Une transition difficile

 

À l’occasion de l’approche de la sortie de Starcraft 2, Blizzard tente de renégocier les droits de diffusion de ses jeux auprès de la KeSPA, qui jusqu’ici ne reversait aucuns royalties. Mais la discussion semble tourner au dialogue de sourd puisque les deux parties n’arrivent pas à s’entendre.

 

Pour ne rien arranger, un scandale de matchs truqués éclate en avril 2010, incriminant 11 joueurs professionnels. Ceux-ci furent bannis définitivement de la KeSPA et du progaming, en plus de peines de justice allant d’amendes financières à des heures de travaux d’intérêt général.

 

Le 26 mai 2010, Blizzard et Gretech annoncent un partenariat donnant à GOMTV l’exclusivité pour la diffusion de tous les jeux Blizzard pendant 3 ans (aboutissant à la création de la GSL et plus tard GSTL). Mais la KeSPA ne l’entend pas de cette oreille et décide de passer outre, continuant à gérer et diffuser ses tournois SC:BW comme avant.

 

Cette situation sera officiellement réglée en mai 2011 avec la signature d’un accord entre Blizzard et la KeSPA autorisant celle-ci à diffuser les compétitions de SC:BW.

 

 

blizzardKespaDeal

Tout est bien qui finit bien (Crédit Photo)

 

Mais les luttes de pouvoir ne s’arrêtent pas pour autant, engendrant des dramas plus ou moins importants dans les années qui suivent. Le plus marquant étant sans doute l’opposition entre la KeSPA et l’eSF, une association formée en mars 2012 par les principales équipes hors-KeSPA et très liée à GOMTV.

 

Durant cet épisode, les deux parties interdirent à leurs joueurs de participer aux compétitions organisées par l’autre. Plus de peur que de mal au final ceci dit avec un rétropédalage des deux cotés.

 

Aujourd’hui, la transition vers Starcraft 2 est totalement effectuée et la KeSPA semble être en passe de retrouver le monopole de la gestion de l’e-sport Starcraft en Corée. En effet, l’eSF a annoncé sa dissolution fin Janvier 2014. Signant par la même la fin de la GSTL.

 

 

La rançon du succès

 

L’extrême popularité de Starcraft et d’autres jeux online en Corée du Sud n’a toutefois pas que du bon si on considère ce qui se passe hors de la scène e-sport.

 

En effet, d’après cet article du Washington Post, en 2006 une étude a révélée que 2,4% des Coréens de 9 à 39 ans souffriraient “d’addiction aux jeux vidéos”. Et 10,2% supplémentaires seraient proches de l’être.

 

En 2002 est ouvert le Korea Internet Addiction Center. Premier centre du genre qui, comme son nom l’indique, est destiné à aider les gens atteints de dépendance, notamment à Starcraft.

 

S'il est difficile d’obtenir des chiffres concrets sur l’évolution du phénomène, tout le monde s’accorde à dire que la tendance est à la hausse avec l’ouverture au fil des ans de plusieurs autres services et cliniques dédiés à aider les addicts.

 

Combiné à plusieurs faits divers sordides en relation avec les jeux en ligne et les PC bangs, le problème conduit le gouvernement coréen à adopter en mai 2011 une loi interdisant aux mineurs de moins de 16 ans de jouer à certains jeux online (dont Starcraft) entre minuit et 6 heures du matin.

 

 

Une domination jamais remise en cause

 

Plusieurs challengers ont porté les espoirs du monde Starcraft hors-Corée à travers les années. Et même si certains ont réussi à briller avec panache à l’international, force est de constater qu’aucun à ce jour n’a réussi à dépasser le stade du “oui, mais il est moins bon que les Coréens”.

 

Parmi les tout premiers à avoir tenté l’aventure en Corée du Sud on peut citer le Canadien Grrrr… et le Français Elky. Leurs faits d’armes les plus marquants sont respectivement d’avoir remporté une édition de l’OSL (en 2000) et d’avoir fini 2ème aux World Cyber Games (en 2001).

 

 

photoGrrrr

Grrrr... en pleine action (Crédit photo)

 

 

Le Suédois Jinro est sans doute le foreigner qui a réalisé les meilleurs performances en Corée en réussissant à atteindre les demi-finales du code S de la GSL en 2010 et une nouvelle fois en 2011. Il a par ailleurs remporté la MLG Dallas en 2010.

 

En 2012, les équipes Evil Geniuses et Team Liquid s’associent pour former un roster de joueurs qui va concourir en Proleague, la compétition par équipe phare en Corée du sud. L’aventure ne dure cependant que le temps d’une saison et s’achève sur un score peu glorieux de 16 rencontres gagnées sur un total de 42. L’équipe termine dernière du tournoi.

 

 

Du skill et des sous

 

La domination des joueurs du pays du matin calme sur la scène e-sport Starcraft est flagrante d’un point de vue financier si on croit les chiffres avancés par le site esportsearnings.com qui recense les gains des joueurs professionnels. Concernant SC:BW, on ne retrouve que 16 foreigners dans la liste des 100 joueurs ayant gagné le plus d’argent. Les 50 premiers étant tous coréens.

 

Les choses sont un peu moins tranchées pour SC2 en revanche avec 14 foreigners dans le top 50, mais seulement 2 dans le top 25 (Stephano en 7ème position et NaNiwa en 15ème position).

 

 

listEarningScPlayer

Les joueurs ayant gagné le plus d’argent sur Starcraft (esportsearnings.com)

 

 

Plusieurs pistes permettent d’expliquer cette percée des foreigners sur SC2 en terme de gains. La principale étant sans doute le développement de la scène e-sport à l’international. Si la Corée du Sud fit figure de précurseur en ce qui concerne les compétitions d’envergure proposant des cash-prizes conséquents, le reste du monde a depuis rattrapé son retard.

 

Ci-dessous un graphique de l’évolution des prize pools concernant les tournois majeurs non-spécifiques à la Corée du Sud. On peut d’ailleurs y voir clairement que les WCS ont bouleversé les choses.

 

evolutionPrizePool

Les chiffres proviennent de Team Liquid.

 

 

Pourquoi tant de réussite ?

 

Si les performances des joueurs coréens ne sont plus à démontrer, les raisons d’une telle efficacité sont moins évidentes. Deux éléments semblent les plus à même de l’expliquer : les méthodes d’entraînement et le contexte culturel.

 

L’une des différences majeures entre l’entraînement “à la Coréenne” et l’entraînement “à l’occidentale” est sans doute le fait que toutes les équipes coréennes vivent et s’entraînent systématiquement dans des gaming houses.

 

Les joueurs s’entraînent ensemble, mangent ensemble, font des activités hors Starcraft ensemble et souvent dorment dans la même pièce. Au-delà d’un esprit d’équipe renforcé, cela leur permet de maximiser leur temps d’entraînement et de discuter du jeu même lorsqu’ils ne sont pas dessus.

 

 

screenGamingHouse

Seed ne prend pas son entraînement à la légère... (Crédit Photo)

 

 

Loin de se limiter au jeu en lui-même, l’entraînement coréen agit aussi sur le mental des joueurs et même sur leur alimentation. Le coach occupe ainsi une place beaucoup plus importante que dans la plupart des structures occidentales.

 

La durée effective que passent les joueurs à s’entraîner semble varier selon les équipes et les périodes. Certains joueurs déclarent y passer plus de 10 heures par jour. D’autres, beaucoup plus. NesTea va jusqu’à dire qu’il a déjà fait un run de 24 heures d’affilées !

 

 

tweetTLO

TLO privilégie la qualité à la quantité.

 

 

La discipline est une notion très présente dans la société Coréenne. Nous avons déjà parlé du service militaire de plusieurs années obligatoire, mais les choses commencent bien plus tôt avec le port de l’uniforme à l’école pour les collégiens et lycéens.

 

Le test global passé par tous les lycéens souhaitant intégrer une université (CSAT) est réputé si compétitif et déterminant qu’il est souvent cité comme l’une des raisons principale du suicide chez les jeunes.

 

Il semble raisonnable de penser qu’avec un tel environnement, les jeunes Coréens ne sont pas vraiment intimidés quand il se lancent dans ce jeu compétitif qu’est Starcraft 2.

 

 

Et aujourd’hui ?

 

La scène coréenne semble avoir retrouvé son calme et son organisation bien huilée perturbée par l’arrivée de Starcraft 2. La KeSPA occupe de nouveau le rôle de grand régulateur de l’e-sport Starcraft au pays du matin calme et vient tout juste d’annoncer un nouveau tournoi majeur faisant partie du circuit WCS.

 

Les joueurs coréens continuent de dominer la scène internationale de la tête et des épaules, mais les espoirs foreigners ne s’éteignent pas pour autant. À l’heure actuelle, il reste 16 joueurs non-Coréens sur 26 en course dans la Premier League des WCS Europe. Et la moitié des participants à la Premier League WCS America.

 

Sera-ce suffisant pour aller poser problème aux Coréens lors des WCS Monde ? Difficile à dire. Mais pour reprendre l’expression consacrée : Fighting !

 

 

 

Références

 

1. Wikipedia : Crise Economique Asiatique

2. A Brief History Of Internet In Korea

3. Wikipedia : Conscription in South Korea

4. Blizzard Entertainment Statistics

5. Liquipedia : Match Fixing Scandal

6. Team Liquid : Blizzard - KeSPA license official

7. Liquipedia : KeSPA-GOMTV / e-sports Federation Dispute

8. Team Liquid : eSports Federation (eSF) disbands

9. BBC : Korean clinic treats web addicts

10. Time : South Korea Cracks Down on Gaming Addiction

11. CNN : South Korea Gaming : Skill or Addiction ?

12. ABC : Wired

13. Wikipedia : Shutdown Law

14. Wikipedia : Education en Corée du Sud

15. Al Jazeera : South Korea's exam suicides

16. NY Times : South Korea's Struggle With Suicide

17. CNN : World Class Gamer : Inside Look at MVP

18. Giant Bomb : oGs/Team Liquid House Tour

19. Inside look at Korean Starcraft 2 pro teams