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Avant toute chose, il est nécessaire de bien définir le statut de joueur professionnel de Starcraft II, car contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, il ne suffit pas de jouer 4h par jour et de gagner quelques euros mensuels pour se revendiquer progamer. Être joueur professionnel c’est faire du jeu vidéo son métier, c’est vivre au quotidien de sa passion, sans rien faire d’autre à côté et donc pouvoir subvenir à ses besoins basiques (se loger, se nourrir, consommer…) uniquement grâce aux revenus provenant du jeu.

 

En réalité, peu de joueurs dans le monde vivent réellement et effectivement de Starcraft II, la faute principalement à un manque d’encadrement national et international du statut de joueur professionnel de jeu vidéo, à l’inverse de celui de joueur professionnel de foot ou de n’importe quel autre sport.  Nous allons voir que selon le pays dont nous parlons, la situation diffère et qu’il y a beaucoup d’idées reçues sur ce qu’est le progaming, notamment concernant le pays du Matin Calme.

 

 

Des sources de revenus plurielles

 

Ce qui fait la particularité d’un joueur professionnel, c’est que dans la grande majorité des cas, ses sources de revenus sont multiples et souvent fluctuantes. La principale source de gains d’un joueur, et la plus importante puisqu’elle est censée être régulière et régie par la loi, c’est le salaire versé par sa structure (qu’elle soit une équipe ou un sponsor individuel). Il est aujourd’hui difficile de concevoir le métier de progamer sans ce soutien extérieur, qui, en plus d’apporter une aide financière, apporte également souvent une aide matérielle (ordinateur, équipements, vêtements…) et administrative (déplacement en LAN à l’étranger, visas à obtenir…).

 

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Dragon, l'un des plus gros streamers de Stracraft II

 

 

La deuxième source de revenus (qui dépasse parfois le salaire de structure) c’est tout ce qui est lié au streaming. TwitchTV et Dailymotion règnent en maître sur ce secteur, et se battent pour proposer le meilleur CPM (Coût Pour Mille, en gros le prix versé par ces organismes pour mille vues d’une pub) et attirer dans leur giron les joueurs les plus populaires. Un joueur connu, qui stream régulièrement, peut espérer vivre quasi-entièrement du streaming, d’ailleurs certains d’entre eux ont décidé de se retirer de la compétition pour se consacrer uniquement à cela (Destiny ou Dragon par exemple). C’est un privilège toutefois accessible à bien peu de joueurs, étant donné qu’il faut disposer d’une fanbase conséquente. Les revenus liés au streaming sont de plus extrêmement variables puisqu’ils dépendent évidemment de l’audience, trop parier dessus peut donc s’avérer dangereux.

 

La troisième source de revenus c’est évidemment les gains de tournois, qui sont aussi, et même bien plus, variables que le streaming. Si des joueurs, comme Mvp en son temps (près de 300.000 Dollars de cashprize gagné en 2011), pouvaient carrément se passer de tout autre revenu, les choses ont changé. Tout d’abord parce que la concurrence s’est accrue, et qu’il y a aujourd’hui, bien plus qu’à cette époque, beaucoup de joueurs très compétitifs (en cause le passage des joueurs KeSPA de BroodWar à Starcraft II évidemment). Être dépendant de ses gains de tournois pour vivre, c’est extrêmement précaire, sachant que pour gagner ou même bien figurer dans un évènement majeur aujourd’hui, le skill ne suffit plus, même pour les coréens (donc je vous laisse imaginer pour les foreigners). L’écart de niveau est désormais tellement peu important entre les concurrents, que la chance et d’autres facteurs rentrent en ligne de compte. 

 

En résumé, deux des trois sources de revenus ne sont pas fixes, et dans le cas d’un joueur qui n’aurait pas assez de son salaire pour vivre (c’est le cas majoritaire), le métier de progamer devient plus que précaire et freine tout projet de vie à long terme puisqu’il n’offre que très peu de stabilité et de sécurité.

 

 

 

Des situations différentes selon les pays

 

On cite souvent la Corée comme l’exemple à suivre, le pays où les joueurs sont grassement payés et peuvent vivre du jeu vidéo comme des stars. La réalité est bien différente, puisqu’en fait, très peu de joueurs coréens sont salariés. Hormis certaines équipes KeSPA (surtout celles de la première heure, comme CJ Entus, KT Rolster SK Telecom 1, etc.), la grande majorité des équipes coréennes n’offre aucun salaire mais bien certains avantages (comme le logement, l'entraînement, la nourriture), les revenus de leurs joueurs dépendant exclusivement de leurs gains en tournois. C’est cette situation qui a poussé et qui pousse encore énormément de coréens à s’expatrier, étant donné que les tournois sont moins difficiles à gagner hors de Corée, et qu’ils pourront facilement se faire salarier par une équipe européenne ou américaine.

 

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L'équipe TSL, pionnière de la salarisation en Corée sur Starcraft II

 

 

En 2011, l’équipe TSL (Team SCV Life) devient la première équipe professionnelle coréenne à verser des salaires à ses joueurs (30.000 Dollars annuels pour FruitDealer, premier vainqueur de la GSL) , avec le résultat que l’on connaît en étant contrainte de disband quelques mois plus tard à cause d’un manque de sponsors.

 

Les récents changements pour les WCS 2014 annoncés par Mike Morhaime, président de Blizzard, ont d’ailleurs renforcé cette tendance tout récemment, énormément de joueurs souhaitant désormais rejoindre des équipes étrangères et s’installer dans d’autres pays pour pouvoir participer aux WCS régionaux. Millenium a d’ailleurs été une des principales équipes contactées, notamment par certains joueurs AZUBU dont les contrats se terminent à la fin de l’année 2013. La situation pour devenir progamer n’est donc pas forcément plus aisée pour nos amis coréens, contrairement à la croyance populaire. 

 

Mais alors, quels sont les pays les plus attractifs, ceux où il est le plus facile et le plus pratique d'exercer le métier de progamer ? Certains pays disposent en effet d’avantages par rapport à d’autres, qu’ils soit juridiques, légaux ou tout simplement structurels, afin de permettre la professionnalisation des joueurs. Les États-Unis ou l’Allemagne sont des pays où les sponsors sont extrêmement présents et investissent très facilement dans des équipes (bien plus qu’en France par exemple), l’eSport y est incontestablement plus développé et les communautés plus puissantes (une équipe comme Evil Geniuses fonctionne grâce au sponsoring).

 

Un autre point important, et c’est la que le bat blesse en France, c’est l’environnement légal. Il faut savoir que le principe du salaire minimum (le SMIC en France) n’est pas appliqué dans tous les pays, et que la Suède ou l’Allemagne par exemple n’y sont pas contraints. Cette absence de salaire minimum imposé par la loi, combinée à un cadre juridique différent (en Suède surtout, mais c’est valable dans beaucoup d’autres pays, c’est le perdant d’un procès qui paye les frais de justice) permet aux équipes de salarier bien plus facilement des joueurs. Il est donc aisé pour une équipe d’attaquer un joueur qui aurait cassé un contrat pour rejoindre une autre équipe.

 

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mouzMaNa, joueur polonais dans une équipe allemande, est progamer depuis bientôt 2 ans

 

 

Le déséquilibre ne réside d’ailleurs pas seulement dans la présence d’un salaire minimum ou non, on peut constater également que dans des pays où il existe un salaire minimum, il est bien moins élevé et permet donc là aussi une professionnalisation plus facile. En Pologne par exemple, le salaire minimum est d’environ 400 euros par mois, contre 1430 euros par mois environ pour la France. Une équipe aura donc beaucoup moins à dépenser pour faire vivre un joueur en Pologne qu’en France. 

 

Aussi bizarre que ça puisse paraître, sur Starcraft II, Il peut donc être bien plus facile et confortable de vivre du jeu et d’être joueur professionnel dans un pays européen ou aux USA qu’en Corée, surtout pour les joueurs qui ne font pas partie du top monde. Mais qu’en est-il de la France ? Quel est l’état du progaming dans notre pays et surtout, est-ce viable aujourd’hui, que ce soit en tant que structure ou en tant que joueur, de devenir progamer sur Starcraft II ?

 

 

 

 

Le cas particulier de la France

 

Nous l’avons vu précédemment, la France n’est pas vraiment aidée pour développer le progaming par rapport à ses voisins européens. Peu de sponsors investissent réellement dans l’esport en France, et il faut avouer que le retour sur investissement (le fameux ROI) est très discutable. On peut citer en exemple le géant de l’électroménager LG, qui s’est retiré quelques mois après avoir sponsorisé l’équipe Incredible Miracle, se rendant sûrement compte que son investissement n’avait pas forcément fait augmenter ses ventes de machines à laver. C’est d’ailleurs le propos que tenait déjà FXOBoSs, patron d’un des plus grands sponsors de l’histoire du jeu vidéo, dans son blog, il y a plus d’un an. Sponsor qui depuis a d’ailleurs arrêté son implication dans une quelconque équipe. 

 

Le sponsoring est d’autant plus difficile en France à cause des raisons évoquées précédemment, il est plus coûteux d’entretenir une équipe professionnelle dans notre pays, et que donc les sponsors doivent investir bien plus chez nous que chez d’autres pour le même résultat. 

 

 

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Millenium Dayshi, un des rares joueurs professionnels de Starcraft II en France

 

 

La situation obligeait donc les grosses structures françaises à trouver un nouveau modèle économique, moins dépendant des sponsors, unique en son genre et existant seulement dans notre pays : les WebTV. Aujourd’hui, Millenium finance ses équipes principalement grâce aux revenus générés par sa WebTV, qui est la première du pays, toutes catégories confondues. Le rôle de Dailymotion est d’ailleurs prépondérant dans ce modèle, dont s’inspire aujourd’hui Eclypsia par exemple, qui propose un CPM (Coût Pour Mille) très élevé et permet donc aux structures de se faire beaucoup d’argent grâce à leur contenu. 

 

On peut donc imaginer qu’Eclypsia, d’ici quelques temps, pourrait très bien ré-ouvrir une line-up sur Starcraft II, après avoir tout fermé il y a pile un an puisque, en plus de tous les problèmes subsidiaires, il y avait un souci important de rentabilité. 

 

 

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Dailymotion, principal acteur de la professionnalisation de l'esport en France

 

La création de ce système a donc permis à Millenium (et à d’autres) de gagner suffisamment pour professionnaliser des joueurs, puisque 13 d’entre eux gagnent leur vie avec le jeu vidéo dans la structure française. On peut donc imaginer à moins d’une dizaine le nombre de joueurs de Starcraft II qui vivent du jeu en France, ce qui est encore très peu par rapport aux autres pays, mais la situation évolue et de plus en plus de nouveaux joueurs décident d’arrêter momentanément leurs études, à l’image de MarineLord il y a quelques semaines, sans doute inspirés et motivés par le succès connu par Stephano. 

 

À noter d’ailleurs que O’gaming ont eux aussi décidé il y a quelques jours de lâcher TwitchTV pour rejoindre le gros des structures françaises chez Dailymotion, éprouvant des difficultés à financer convenablement leur projet et désireux d’obtenir un CPM plus élevé.

 

Cependant, à chaque solution son problème. Et le problème ici est de taille, car, il faut le dire, une partie du succès de ce nouveau modèle économique basé sur le streaming est bidon. Quasiment en même temps que Dailymotion a commencé à développer sa plate-forme de streaming en France, les structures qui l’utilisent ont découvert l’embed. Le principe consistant à insérer le stream sur une autre page pour qu’il soit visionné sans volonté préalable et parfois même à l’insu de l’utilisateur, on se souvient d’ailleurs de ce blog qui avait fait couler beaucoup d’encre sur un embed caché d’Eclypsia. Plus récemment, Millenium a décidé, pour augmenter ses statistiques et ses vues, d’insérer leur WebTV sans son directement dans la homepage du site, qui est très fréquenté, ou encore sur un autre jeu le mini-drama créé par un dédoublement de vues sur le stream Thunderbot

 

Il est donc légitime de s’interroger sur la part réelle de viewers de nos WebTV françaises. La rentabilité de ce système reposant sur l’espace publicitaire vendu par Dailymotion à des entreprises extérieures, que va-t-il se passer si jamais ces entreprises se rendent compte qu’une partie des vues est fictive, et que, parmi les vues réelles, bon nombre d’entre elles sont soumises au logiciel Adblock ? On revient à un problème similaire à celui que connaît le sponsoring, et le sacro-saint ROI risque donc d’être remis en cause, l’illusion de la pérennisation d’un véritable esport professionnel stable en France pourrait bien disparaître. 

 

 

Toutefois, l’heure est plutôt à l’optimisme. En effet, les États-Unis ont tout juste accordé à un joueur coréen reconnu, viOLet, un visa d’athlète pour exercer son métier de joueur de Starcraft II durant 5 ans sur le sol américain. C’est la toute première fois qu’un joueur de Starcraft II est reconnu officiellement comme un athlète, à l’instar d’un sportif de haut niveau. C’est donc une excellente nouvelle et peut-être le début de la véritable reconnaissance du jeu vidéo comme étant un sport à part entière, ouvrant des possibilités infinies sur le développement de ce dernier. 



 


 

Billet rédigé par Only, manager de l'équipe Nuit Blanche, que vous pouvez retrouver sur Twitter.