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La sanction de NaNiwa  en GSL montre que celui-ci s’approche de plus en plus du sport traditionnel puisqu’il sanctionne enfin les « catastrophes » médiatiques de certains de ses joueurs. Mais dans quelle direction le sport électronique doit-il aller ?

 

Ping-Pong et Tennis de Table

 

Je cherchais récemment dans le cadre d’un débat alcoolisé un sport auquel on pouvait comparer l’esport, en particulier StarCraft II puisque c'est la discipline omniprésente. Je n'ai pas eu à chercher très loin, j'ai joue pendant près de 10 ans au tennis de table en compétition au niveau régional, et en de nombreux points, en y regardant de plus prés, ce sport est très similaire a StarCraft II.

 

En ce qui concerne le jeu en lui-même, on y retrouve déjà des fortes similitudes avec StarCraft II. Tout d'abord c'est un jeu individuel, il y a des clubs et les compétitions par équipe qui essaiment la saison, mais l'enjeu principal reste les championnats individuels internationaux. La préparation est intensive, beaucoup s'entrainent 6 heures par jour à la table, contre "robot" ou "relanceur". Chacun garde évidemment ses préparations spécifiques secrètes et ne fourbit ses armes qu'au dernier moment. Il y a différents types de jeux polyvalents, offensifs et défensifs, mais au final un match serré se gagne toujours au mental, en particulier depuis les « patchs » ramenant les sets a 11 points et les balles a 40mm (par conséquent plus lentes et plus techniques).

 

Comme à StarCraft II, les Asiatiques dominent outrageusement, et pourtant en France, on ne trouve pas leurs matchs passionnants. Je me rappelle encore que lors des stages de formation (équivalent des bootcamps) nous regardions en pyjama les K-7 de Jean-Philippe Gatien battant le numéro 10 Chinois, comme certains moussent encore en LAN devant les VOD de Pomf et Thud sur Stephano ou un autre battant le numéro 50 Coréen... Alors que l'un comme l'autre prendront une raclée contre les 10 asiatiques suivants qu'ils joueront respectivement et ont pris en ont prise une contre les 10 précédents...

 

J-P. Gatien et P. Chila, les Stephano et ToD du tennis de table

 

Un sport ne perce en compétition que si le public peut s'identifier aux vrais champions, tout le monde a joué au ping pong, et y rejouera chaque été, mais personne n'a envie de voir un Chinois affronter un autre Chinois en finale d'un tournoi mondial. Parce que oui, comme pour les WCG Corée par rapport aux WCG Monde, les Qualifications aux JO en Chine sont plus dures que les JO eux-mêmes au tennis de table.

 

Ainsi le jeu vidéo est le Ping Pong et le sport électronique le tennis de table, ce qui est un loisir pour des milliards de joueurs est en fait totalement différent de ce qui est une compétition pour une minorité. Tout le monde joue au Ping Pong, dans les cours de récré, les campings, même en entreprise dans de nombreuses start-ups on peut trouver des tables et des gens qui aiment fondamentalement ca, mais il ne leur viendrait pas a l'esprit d'aller voir un match ou de s'inscrire en club.

 

Les esportifs ne représenteront probablement jamais des modèles à atteindre et ne feront pas rêver, la situation économique de l'esport ne bougera probablement pas en continuant à forcer sur le système actuel. Les clubs de tennis de table se satisfont d'avoir comme sponsors Donic et Cornilleau, mais tout le monde sait rester a sa place, les joueurs ne sont pas professionnels et les clubs ne leur demandent pas des montagnes.

 

Cette modestie leur permet de garder une certaine stabilité, si des jeunes un peu foufous avaient il y a 10 ans avance de l'argent à fond perdu pour recruter des joueurs Asiatique de manière anarchique, la scène aurait implosé. Les clubs ont préféré tous gérer leurs budgets de manière raisonnable, en ne comptant pas sur d'hypothétiques recettes de sponsoring futures pour faire des folies dans le présent. Ce qui n'empêche pas aujourd'hui que les trois premiers au classement individuel Francais soient respectivement un Sud-Coréen, un Taïwanais et un Singapourien.

 

Vroom

 

La solution alternative pour une médiatisation et par conséquent un développement du sport électronique devrait donc à défaut de patience suivre un autre exemple, la Formule 1. La F1 est le sport ayant le meilleur ratio nombre de pratiquants/spectateurs, puisqu'en 2010 527 millions de téléspectateurs ont observé seulement 22 pilotes tourner en rond. Ce sont les sponsors qui poussent la F1, à la différence du Football où les sponsors n'ont pas besoin d'insuffler de passion aux tifosis. Pourtant dans les sports mécaniques, le motocross ou le karting offrent des spectacles bien plus impressionnants et visuels, mais la F1 offre une part de rêve, d'élite.

 

Il ne faut pas que le sport électronique ait peur de se scénariser, de voir les egos s'affronter, les structures s'envoyer des boules puantes par communiqués interposés et les réglementations créer des polémiques et changer des scores sur tapis vert. C'est exactement le scenario d'une saison de Formule 1, il n'est d'ailleurs pas anodin que le présentateur, dramatisant a souhait, de F1 a la Une soit Denis Brogniart, fasse le même job pour Koh Lanta. Dans un sport qui apparait froid à l'écran, il est nécessaire de rajouter une histoire, une légende autour de ses participants, on est dans les recettes de la télé-réalité.

 

Jean Todt et Denis Brogniart, un exemple pour l'esport

 

La Corée a parfaitement réussi cela, camouflant des personnalités de NEET (ni étudiant, ni employé, ni stagiaire) traduisant pourtant souvent un rejet complet de la part de la société Coréenne en gladiateurs de l'écran CRT et en modèles (majoritairement, certes, pour d'autres NEET). Il y a eu de belles tentatives dans le reste du monde, mais celui-ci souffre le défaut d'être trop décentralisé, et les légendes circulant aux Etats-Unis ont peu de chance d'atteindre le cercle restreint des lecteurs de TeamLiquid dans la vieille Europe. Pourtant le progamer Coréen est bien plus en marge de la société que la majorité des joueurs Français connus.

 

Cela pourrait changer si un vrai circuit était créé, ou même une "fédération" non organisatrice d'une compétition, mais simplement d'un classement et d'une animation autour de la compétition. Apres tout l'ATP n'organise pas de tournois elle-même au Tennis, en dehors des ATP World Tour Finals, dont l'importance reste modérée par rapport aux tournois du Grand Chelem. Pour reprendre l'exemple de la F1, ce n'est pas non plus la FIA qui organise un grand prix toutes les deux semaines. Les tentatives qu'il y a eu jusqu'a présent ont échoué à cause des intérêts contradictoires des organisateurs de ces circuits voulant a tout prix organiser une finale au bout du compte, prendre trop directement leur part du gâteau en taxant les autres organisations ou n'ayant tout simplement aucun sens des réalités.

 

Un sport technique ou peu visuel a besoin d'icones pour sortir du lot, et le sport électronique a l'inconvénient de posséder les deux caractéristiques, à l'exception notable des malencontreusement déconsidères jeux de sport et jeux de tir très visuels comme Halo. Sans Chabal, ni Douillet, le nombre de licencies des clubs de rugby ou de judo n'aurait probablement jamais explosé, quand bien même les nouveaux inscrits n'ont aucune idée des règles du regroupement et pensent que le waza-ari est la sauce verte épicée qui accompagne les sushis. L'esport a besoin de ces personnalités capables d'aller chercher plus loin que dans le périmètre actuel des Webtéléspectateurs de l'esport, pas de convaincre le monde entier que l'esport c'est cool mais que pour le comprendre il faut en apprendre les règles.

 

On le voit, la bulle StarCraft II s'essouffle, le jeu étant trop exigeant pour être joue a long terme par les joueurs casuals, ceux-ci dégonflent cette masse superficielle et il faudra désormais s'intéresser aux prochains supports pour espérer quelque chose de plus. Mais DotA 2 et CS:GO seront une fois de plus difficiles à aborder car peu visuels et très techniques. Ils sont moins attendus que SC II, et seront donc paradoxalement moins dangereux pour le sport électronique qui semble avoir besoin de trouver la stabilité du tennis de table avant d'explorer sa voie de Formule 1, qu'il mérite.