Sauf si vous vivez dans une grotte depuis la semaine dernière vous êtes au courant qu'un attentat à la bombe puis une fusillade a eu lieu à Oslo. Outre les nombreux morts (76 au dernier bilan) et l'arrestation du principal suspect Anders Behring Breivik, les grands médias internationaux n'ont pas tardé à lancer des informations quant à la motivation barbare de cet individu. Et comme d'habitude, les jeux vidéos en ont pris pour leur grade. C'est dans cette optique, que le journal Le Monde a voulu recadrer la chose : une initiative courageuse de la part d'un grand média hexagonal qui mérite d'être soulignée.

actu

L'actu en patates, Vilberg

 

 

C’est un trait dominant chez ces meurtriers. Ils sont fascinés par des jeux vidéo violents comme World of Warcraft. Ces jeux consommés à haute dose provoquent une désensibilisation par rapport à l’acte criminel. Dans d’autres jeux, pour franchir les différents niveaux, il faut parfois tuer un policier ou une femme enceinte. Celui qui joue est par définition acteur, il n’est pas passif.

Stéphane Bourgoin, 58 ans, écrivain

spécialiste reconnu des tueurs de masse et tueurs en série.

Le 24/07/11 pour Le Parisien

 

Il n'a fallut que quelques jours pour voir cette hypothèse naître dans les principaux médias français. Notre pays n'est pas le seul à utiliser ce genre de raccourcis au sujet les jeux vidéos, ainsi la plupart des médias européens et américains leur ont rapidement emboîté le pas. Pourtant aujourd'hui Le Monde nous propose une analyse différente des choses vis à vis de ce tueur en série.

 

Olivier Mauco, chercheur au CNRS et spécialiste des rapports entre les jeux vidéos et la société, s'énerve de la rapidité avec laquelle les jeux vidéos sont mis en cause et rapporte que c'est devenu un "classique, depuis le massacre de Littleton". Il indique que les prémisses de cette mauvaise réputation des jeux vidéos vient des États-Unis et des différents massacres qui ont été mis en avant dans des films comme Bowling for Columbine de Michael Moore ou encore Elephant de Gus Van Sant. L'expert nous rapporte que même "Bill Clinton avait accusé les jeux vidéo, mais ce que l'on oublie souvent, c'est qu'il avait aussi demandé une enquête au Congrès pour mesurer l'impact des jeux sur la violence des jeunes. Et le Congrès n'avait pas trouvé de liens de cause à effet."

 

La formation de cette hypothèse a trouvé naissance dans un manifeste de l'auteur présumé de l'attentat, long de 1 500 pages. Disponible au début, cet écrit n'est maintenant plus en ligne. Dans ce texte, l'auteur informe qu'il joue régulièrement aux jeux vidéos, mais que les FPS ne lui plaisent pas. Son style correspond plutôt a des jeux de rôles comme World Of Warcraft ou encore Dragon Age. Plus loin, il explique que le jeu Modern Warfare 2 est "probablement de la meilleure simulation militaire du marché, et l'un des meilleurs jeux de l'année. [...] Je vois surtout Modern Warfare 2 comme faisant partie de mon entraînement."  Avant d'avouer quelques lignes plus tard : "J'avais également joué à Modern Warfare 1, mais je n'avais pas tellement aimé. Je suis plutôt un joueur de jeux de rôles fantastiques comme Dragon Age Origins et je n'apprécie pas tellement les jeux de tir."

 

Pour autant, Anders Behring Breivik n'était pas un hardcore gamer puisqu'il avait bien un personnage niveau 85 et un niveau 27. Il indique avoir passé une année entière à beaucoup jouer mais qu'il était devenu un casual gamer depuis ses 26 ans, soit en 2004. L'extension Cataclysm l'a un peu remotivé pour monter jusqu'au level 85, mais il n'a pas vraiment pris goût à la dernière version du MMO made in Blizzard. Ses anciens collègues de jeux ont informé qu'il ne se connectait que très rarement dernièrement. De plus, il a attendu plusieurs semaines avant de se procurer l'extension, un procédé plutôt éloigné du joueur compulsif.

 

En outre, l'accusé informe qu'il a utilisé l'image du joueur nolife afin d'"éviter les soupçons de (sa) famille, de (ses) voisins et de (ses) amis." Afin de pouvoir organiser son attentat et confectionner la bombe, il incite les gens à se préparer un alibi crédible en utilisant l'excuse des jeux vidéos. "Par exemple, dites-leur que vous avez commencé à jouer à World of Warcraft ou à un autre jeu de rôle en ligne, et que vous allez vous y consacrer pendant plusieurs mois. [...] Dites-leur que vous êtes complètement accros au jeu [...] Vous serez étonné de voir ce que vous pouvez faire en toute discrétion en blâmant ce jeu. Il est généralement considéré comme tabou ou honteux dans nos sociétés d'être accro à un jeu de rôle en ligne. En révélant ce 'secret' à vos proches, vous leur confiez un secret très privé. En général, ils contribueront à protéger ce secret pour vous [...] en mentant pour vous fournir des alibis pour garder votre projet jeu de rôle en ligne secret."

 

Le Monde révèle ainsi que les jeux vidéos n'occupent qu'une place minime dans les écrits de cette personne (quelques paragraphes noyés au milieu des 1 500 pages). Ainsi, cette question a beaucoup moins d'importance que les enjeux liés à l'islamisation de la Norvège. L'auteur s'est d'ailleurs expliqué sur la cause de ces attentats en disant qu'il voulait défendre son pays contre l'Islam et le marxisme, quitte à passer le restant de sa vie en prison. Ceci n'arrivera pas puisque la peine maximale en Norvège est de 21 ans de réclusion. Dès lors, pourquoi l'explication des "jeux vidéo violents" est-elle revenue très vite dans les analyses de plusieurs experts et journalistes ?

 

Pour Olivier Mauco, il s'agit d'un stéréotype dont l'origine remonte au début des années 1990. "A cette époque, la mise en scène de la violence est devenue un argument de marketing pour certains éditeurs de jeu, pour la sortie de Mortal Kombat par exemple. Le jeu vidéo était la nouvelle subversion, et cela faisait vendre. Pour les gens qui ne jouent pas, il est alors aisé de prendre cette mise en scène au premier degré, et de passer à côté de ce qu'est vraiment le jeu. Sans oublier que jouer créé aussi de la distance à l'image."

 

Finalement, le jeu vidéo a été pris à son propre piège, de par la position médiatique de certains jeux, mais aussi de par la prise de position facile des grands médias. Il n'est pas sans savoir que les principales chaînes télévisées préfèrent vous savoir devant un écran de télévision plutôt que devant celui d'un ordinateur. Un stéréotype qui, au final, se sera révélé utile pour quelqu'un : l'auteur présumé de l'attentat...

 

Quand on vous disait que le jeu vidéo générait de la violence.....